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Arche de Zoé, le procès de la mauvaise conscience

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 13/12/2012

On connaîtra le 12 février le sort judiciaire que le tribunal correctionnel de Paris entend réserver aux six prévenus de l'Arche de Zoé, contre lesquels des peines de deux ans ferme à huit mois avec sursis ont été requises. Mais … Continuer la lecture

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On connaîtra le 12 février le sort judiciaire que le tribunal correctionnel de Paris entend réserver aux six prévenus de l'Arche de Zoé, contre lesquels des peines de deux ans ferme à huit mois avec sursis ont été requises. Mais d'ores et déjà, ces deux semaines de débats laissent un sentiment de malaise.

On le doit d’abord à la défection d’Eric Breteau et de sa compagne Emilie Lelouch. En annonçant depuis l'Afrique du Sud où ils vivent désormais, qu'ils n'entendaient ni être présents ni être représentés à l'audience, ils n'ont pas seulement privé le procès de leurs explications. Par le mépris dont ils ont témoigné à l'égard de la justice française, ils ont surtout fait payer très cher le prix de leur absence à leurs co-prévenus.

Assommés par l’abandon du dirigeant de l’association et par l’opprobre qui pèse sur leurs épaules depuis ce jour d'octobre 2007 où ils ont été arrêtés alors qu'ils s'apprêtaient à embarquer 103 enfants dans un avion pour la France, Philippe Van Winkelberg, Alain Peligat, Christophe Letien et Marie-Agnès Peleran ont subi de la part de la présidente du tribunal et de ses deux assesseures, une instruction très à charge menée avec la certitude tranquille de ceux qui connaissent la fin de l'histoire.

Malaise aussi face aux parties civiles. Au début de l’audience, un certain nombre d’anciens bénévoles, qui s’étaient engagés avec enthousiasme derrière Eric Breteau dans l’opération de l’Arche de Zoé, se sont constitués partie civile pour demander réparation du préjudice subi depuis que leur nom est associé à ce fiasco. Entre ceux-là, élevés au rang de « bons » bénévoles et les mauvais, assis au banc des prévenus et accusés de tous les maux, la frontière est souvent apparue ténue.

Même gêne à l’égard des familles – une vingtaine sur plus de trois cents – qui considèrent avoir été escroquées puisqu’elles n’ont pas pu accueillir ou adopter « l’orphelin du Darfour » promis par l’Arche de Zoé. En acceptant de payer plus de 2000 euros chacune pour ce qui pourrait s’apparenter à un « achat d’enfant », elles ont pourtant une part de responsabilité, au moins morale, dans l’opération. Que la très grande majorité des familles se soit pudiquement abstenue de toute procédure judiciaire à l’encontre de l’association a d’ailleurs fragilisé l’accusation. La procureure l’a reconnu qui, tout en demandant la condamnation pour escroquerie d’Eric Breteau, d’Emilie Lelouch et de l’Arche de Zoé en qualité de personne morale, a observé : « Il est vrai que certaines victimes sont un peu coupables… »

Reste la principale question. A quoi a servi ce procès ? Si le but était de convaincre l’opinion que l’opération d’évacuation d’enfants menée en octobre 2007 au Tchad par les membres de l’Arche de Zoé a été une tragique pantalonnade, il est atteint. Mais nul besoin d’un procès pour cela, la conviction en est acquise depuis longtemps.

S’agissait-il de souligner la dérive d’une doctrine humanitaire au nom de laquelle on s’octroie le droit de décider ce qui est bon et ce qui ne l’est pas pour les enfants des autres ? Ce procès là a été instruit par le Tchad, qui a condamné en décembre 2007 six membres de l’Arche de Zoé à huit ans de travaux forcés pour « enlèvements d’enfants » (ils ont été grâciés quelques mois plus tard par le président tchadien Idriss Deby).

De l’audience devant le tribunal correctionnel, on aurait en revanche pu attendre qu’elle réponde à un certain nombre d’interrogations : comment, en dépit des alertes lancées par l’association Enfance et familles d’adoption, tant auprès du ministère des affaires étrangères que de la brigade des mineurs sur la dérive de l’Arche de Zoé, une opération à l’intendance aussi lourde a-t-elle été rendue possible ? Existait-il en septembre 2007, au cabinet de Bernard Kouchner voire à l’Elysée auprès de Cécilia Sarkozy alors épouse du président de la République, une forme de soutien officieux au sauvetage annoncé des « orphelins du Darfour », comme l’a soutenu Eric Breteau ou était-ce de pures affabulations ? Pourquoi, alors que des centaines de familles étaient au courant de ce projet d’évacuation, via des sites, des forums de discussion et des réunions publiques, les pouvoirs publics ne sont-ils pas intervenus plus tôt, et publiquement, pour dénoncer une tentative d’escroquerie à l’adoption sous couvert d’opération humanitaire ?

Ou alors faut-il comprendre que ce versant national du procès de l’Arche de Zoé n’est au fond qu’un moyen commode de faire payer notre mauvaise conscience d’aujourd’hui à la poignée de zélotes qui sont partis, hier, au nom de notre bonne conscience ?

 


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