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Mur des cons : C’est une œuvre d’art !

Actualités du droit - Gilles Devers, 25/04/2013

Oh quel pataquès avec ce « mur des cons »… découvert dans les...

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Oh quel pataquès avec ce « mur des cons »… découvert dans les locaux du Syndicat de la Magistrature. Des plaintes qui pleuvent comme à Gravelotte, des indignations allant jusqu’à demander la dissolution du syndicat. Et le syndicat qui ne trouve rien d’autre pour se défendre que de parler d’un truc de potaches…

Le mur des cons

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Chacun a vu ce qu’il en est. On est dans une salle de réunion du Syndicat de la Magistrature, et un mur est couvert de photos de personnes, qui sont ainsi regroupées parce qu’elles sont qualifiées de « con ». On lit en effet cet avertissement : « Avant d’ajouter un con, vérifiez qu’il n’y est pas déjà ».

Françoise Martres, présidente du Syndicat a expliqué à Métro : « Pour nous, c'est un non-évènement. Ce mur est quelque chose de complètement privé et interne au syndicat. Ce mur est quelque chose de complètement privé et interne au syndicat. Il s'est construit à une époque bien particulière, durant les années Sarkozy, où les magistrats étaient vivement critiqués et ont fait l'objet d'attaques très violentes de la part d'une certaine droite. Et particulièrement le Syndicat de la Magistrature avec parfois des choses assez nauséabondes. Il a surtout servi de défouloir. Alors oui, ce sont des blagues qui ne sont pas vraiment très futées et qu'on peut ne pas apprécier. Nous sommes absolument déconcertés de voir qu'elles sont diffusées. Ce n'est pas quelque chose de public. On n'insulte pas les gens publiquement ». Elle ajoute : « Ce sont des blagues de potaches, c'est vraiment de ce niveau-là ».

La qualification pénaleliberté d'expression,artiste,syndicat

La qualification pénale ne fait pas beaucoup de doute. Traiter quelqu’un de con, c’est une injure au sens de l’article 29, 2° alinéa de la loi de 1881 sur la liberté de presse : « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. »

Cette injure est devenue publique par le fait de la diffusion dans la presse, mais ce n’est pas le fait du syndicat. Lorsque l’injure est proférée en privé est une contravention de première classe, définie par l’article R 621-2 du Code pénal, et passible selon l’article 131-13 du Code pénal d’une amende de 38 euros.

 

38 euros par le tribunal de police, comme peine maximale, c’est pas bézef. Mais il faut dire aussi que l’injure privée est la plus con des infractions : tu injuries quelqu’un en faisant tout pour qu’il ne la sache pas.

 

Le mur invite à collectionner les cons, ce qui oriente la qualification, mais ça ne clôt pas le débat. C’est au juge de se prononcer… et je veux dire au juge-juge qui juge le juge-syndicaliste.

 

Or, pour certains, ce n’est pas évident, et je pense en particulier à Brice Hortefeux, qui est représenté avec le sigle du FN sur le front, et avec la légende « L’homme de Vichy ». Donc, on l’affiche comme con, mais on l’accuse de traître, ce qui induit une idée, et pas seulement un outrage, et on peut discuter la qualification de diffamation.

 

Le fait que le mur soit dans une salle de réunion et donc visible par plusieurs personnes ne suffit pas à le rendre public au sens de la loi. On retreindrait, par référence à la jurisprudence de la Cour de Cassation, qu’il y a une « communauté d’intérêts » entre les membres du groupe, qui partagent des objectifs et une aspiration commune. Il en serait différemment si le mur se trouvait dans un hall d’accueil.

Pour la culpabilité, tous les auteurs ne pourront être identifiés… Mais la présidente du Syndicat de la Magistrature assume cette publication. Alors, no problem.

La qualification disciplinaireliberté d'expression,artiste,syndicat

Il est de principe qu’un fait commis en dehors des fonctions statutaires mais rejaillissant sur la considération due à la profession est de nature disciplinaire.

De même, si la jurisprudence reconnaît au syndicaliste une liberté d’expression spécifique, cette marge accordée ne fait pas disparaitre l’obligation de réserve.

Un magistrat doit se conduire avec délicatesse dans les rapports humains, et avec le souci de défendre la considération pour la profession.

Aussi, on est certainement ici en zone limite, surtout si la seule défense est de revendiquer les blagues de potache.

En réalité, tout ceci reste mineur. Qu’on se rassure : le Syndicat n’a pas de compte en Suisse… et rien ne permet d’évoquer la partialité des juges.

La furie des réactions ne résulte que d’un effet d’aubaine pour ceux qui n’ont jamais pu piffrer l’action de ce syndicat. S’il fallait engager des poursuites chaque fois que quelqu’un lors d’une réunion amicale a lâché le mot de con à l’égard d’un autre, on ferait exploser les tribunaux !

Mais le Syndicat pourrait peut-être mieux se défendre.

Une œuvre d’art contemporainliberté d'expression,artiste,syndicat

Que cherchent les auteurs de ce mur ? Certainement pas à injurier les nominés, car sans la caméra cachée d’Atlantico, tout serait resté secret.

Non, ils ont voulu faire le tableau vivant d’une donnée sociale très forte : ceux qui discréditent la Justice. Et comme ils estiment être les mieux placés pour défendre la Justice, ils ont embarqués ceux qui contestent leur action.

Et oui, c’est un tableau vivant, une sorte de crèche de leurs affreux attitrés. L’ensemble occupe un mur, ce qui est le lieu naturel d’exposition d’une œuvre, et l’effet esthétique de cette foule de portraits est certain. C’est un hommage aux collages des grands maîtres qu’ont été Picasso et Braque, et ce qui séduit, c’est le côté collectif et mouvant de l’œuvre. Chaque jour, on peut retirer un portrait ou en ajouter un autre. Il est seulement demandé d’éviter les doublons. C’est de l’art vivant. Donner à voir.

De plus, la conception de cette œuvre est à l’honneur de ces artistes restés anonymes, qui matent leur égo par l’effort collectif, bien dans l’esprit de la grande histoire syndicale française : « Marchons côte à côte, et frappons ensemble ! ».

Enfin, le choix artistique établit l’engagement des auteurs. Le confort nous amène à choisir pour la décoration de nos bureaux les plus amicales des œuvres. Aussi, je m’attendais à trouver dans les bureaux du Syndicat de la Magistrature des reproductions de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, Les amoureux de la Liberté de Matisse, ou une allégorie de la Justice, par exemple la magnifique de Gaetano Gandolfi. Non, rien de cela.

Avec une grande force de caractère, nos amis syndicalistes ont choisi d’embellir les murs de leur bureau par les portraits de ceux dont ils combattent les idées. Bravo, qui le ferait ? Imagine-t-on Copé afficher dans son bureau les photos des membres du Comité directeur du PS ? Ou les vestiaires de l’OM avec des posters du PSG ?

Aussi, nous sommes loin d’une condamnation. Une œuvre d’art mérite protection, surtout quand elle est mouvante et éphémère. Et puis, que peut faire la Justice pour le monde ? On peut parfois être raisonnablement pessimiste, alors que depuis Dostoïvestki nous savons que « La beauté sauvera le monde». Aussi, merci aux artistes anonymes du Syndicat. 

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Damien Hirst, Spot Painting, 1986


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