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La liberté de religion et le travail

Actualités du droit - Gilles Devers, 18/05/2012

La vie privée ne se limite pas à l’accomplissement personnel dans la sphère...

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La vie privée ne se limite pas à l’accomplissement personnel dans la sphère privée, mais suppose aussi d’être respectée dans la vie sociale, et notamment au travail. C’est dans ce contexte que s’analyse le rapport entre la loyauté qui résulte du contrat de travail et le respect des convictions religieuses. Un arrêt de la CEDH de ce 15 mai (Fernandez Martinez c. Espagne,  no 56030/07) est l’occasion d’une mise au point sur ces questions, qui sont toujours d’actualité.

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La « vie privée » est une notion large qui ne se prête pas à une définition exhaustive (Schüth, no 1620/03 ; Sidabras et Džiautas, nos 55480/00 et 59330/00). En effet, l’article 8 de la Convention protège le droit à l’épanouissement personnel (K.A. et A.D. no 42758/98 et 45558/99), que ce soit sous la forme du développement personnel (Goodwin [GC], no 28957/95) ou sous l’aspect de l’autonomie personnelle, qui reflète un principe important sous-jacent dans l’interprétation des garanties de l’article 8 (Pretty, no 2346/02).

Chacun a le droit de vivre en privé, loin de toute attention non voulue (Smirnova,nos 46133/99 et 48183/99) etil serait trop restrictif de limiter la notion de « vie privée » à un « cercle intime » où chacun peut mener sa vie personnelle à sa guise et d’écarter entièrement le monde extérieur à ce cercle (Niemietz, série A no 251-B).

L’article 8 garantit ainsi la « vie privée » au sens large de l’expression, qui comprend le droit de mener une « vie privée sociale », à savoir la possibilité pour l’individu de développer son identité sociale. Sous cet aspect, ce droit consacre la possibilité d’aller vers les autres afin de nouer et de développer des relations avec ses semblables (Campagnano, no 77955/01).

Ainsi, il n’y a aucune raison de principe de considérer que la « vie privée » exclut les activités professionnelles (Bigaeva, no 26713/05).

Vie privée et activités professionnelles

Des restrictions apportées à la vie professionnelle peuvent tomber sous le coup de l’article 8, lorsqu’elles se répercutent dans la façon dont l’individu forge son identité sociale par le développement des relations avec ses semblables. Il convient sur ce point de noter que c’est dans le cadre de leur travail que la majorité des personnes ont l’occasion de resserrer leurs liens avec le monde extérieur (Niemietz, série A no 251-B).

En outre, la vie professionnelle chevauche très souvent la vie privée au sens strict du terme, de telle sorte qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer en quelle qualité l’individu agit à un moment donné. Bref, la vie professionnelle fait partie de cette zone d’interaction entre l’individu et autrui qui, même dans un contexte public, peut relever de la « vie privée » (Mółka, no 56550/00)

Si l’article 8 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée. Celles-ci peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux. liberté de religion,contrat de travail

Si la frontière entre les obligations positives et négatives de l’État au regard de l’article 8 ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu, l’État jouissant en toute hypothèse d’une marge d’appréciation (Evans [GC], no 6339/05 ; Rommelfanger, no 12242/86 ; Fuentes  Bobo, no 39293/98). Cette marge d’appréciation est plus ample lorsque l’État doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou entre différents droits protégés par la Convention (Evans).

Liberté de religion et travail

Les communautés religieuses existent traditionnellement et universellement sous la forme de structures organisées et que, lorsque l’organisation d’une telle communauté est en cause, l’article 9 doit s’interpréter à la lumière de l’article 11 de la Convention qui protège la vie associative contre toute ingérence injustifiée de l’État. En effet, leur autonomie, indispensable au pluralisme dans une société démocratique, se trouve au cœur même de la protection offerte par l’article 9.

Sauf dans des cas très exceptionnels, le droit à la liberté de religion tel que l’entend la Convention exclut toute appréciation de la part de l’État sur la légitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d’expression de celles-ci (Hassan et Tchaouch [GC], no 30985/96).

Par ailleurs, le principe d’autonomie religieuse interdit à l’État d’obliger une communauté religieuse à admettre ou exclure un individu ou à lui confier une responsabilité religieuse quelconque (Sviato-Mykhaïlivska Parafiya, no 77703/01).

Lorsque se trouvent en jeu des questions sur les rapports entre l’État et les religions, sur lesquelles de profondes divergences peuvent raisonnablement exister dans une société démocratique, il y a lieu d’accorder une importance particulière au rôle du décideur national (Leyla Şahin  [GC], no 44774/98)

Se pose enfin la question des relations de travail établies auprès d’un employeur dont l’éthique est fondée sur la religion ou les convictions, et pour lesquelles l’obligation de loyauté est renforcée (Directive 78/2000/CE ; Schüth, n° 1620/03 ; Obst, no 425/03). Les contraintes liées à cette obligation de loyauté sont acceptables dans la mesure où elles ont un but légitime, comme la préservation réelle des intérêts de l’employeur.

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