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Pensées profanes sur les Gilets jaunes et autres...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 6/12/2018

Le 8 décembre on le prédit, on nous l'annonce, on le craint, on le veut, probablement une déferlante de Gj et de casseurs dans leur foulée va s'abattre sur Paris. Il n'y aura pas que le pouvoir, le ministre de l'Intérieur, le Préfet de police qui seront jugés. Mais aussi tous les Gj.

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Avant même la manifestation du 8 décembre dont on semble attiser les risques pour les déplorer ou les espérer - un Gilet jaune (Gj) avec une certitude inquiétante nous annonçant " qu'il y aura des morts" (CNews) ou un autre que "l'insurrection est aux portes de la France", et le gouvernement évoquant maintenant des "factieux" -, je me donne le droit de formuler quelques pensées profanes sur ce qui depuis le 17 novembre bouleverse et défait la France.

On a bien compris que les Gj ont suscité d'abord une immense et majoritaire sympathie à partir de leurs revendications d'origine puis même de leur glissement vers des exigences plus radicales. On a saisi que c'était la révolte de la France d'en bas, abandonnée, négligée, condamnée longtemps au silence malgré une quotidienneté plus que difficile, contre la France d'en haut, le Pouvoir et les élites. A force d'entendre répéter cette analyse - par moi aussi - elle est devenue une banalité qui ne nous informe pas sur ce qu'il conviendrait d'accomplir pour maintenir notre pays un et indivisible.

Les Gj médiatisés à outrance, occupant les plateaux, ont révélé, à force, pour certains, le caractère incohérent, délirant, extravagant, purement démagogique de leurs prétentions comme si après avoir été délaissés par le Pouvoir, ils n'avaient qu'une envie : celui d'y entrer. La remarque de l'un de leurs leaders est signifiante qui fixe pour objectif du 8 décembre une irruption à l'Elysée pour que le président les écoute. Un authentique dialogue ne leur suffirait plus mais une confrontation menaçante qui leur donnerait évidemment gain de cause.

Le pouvoir a cessé sa condescendance trop tard sans doute mais le Gouvernement ne fait qu'écouter et céder depuis plusieurs jours. Il est sûr en tout cas qu'il convient de cesser de les sanctifier en les écoutant proposer tout ou n'importe quoi au prétexte que leur cause dans son principe était légitime mais qu'ils l'ont complètement abandonné au bénéfice d'un combat qui les voit dénaturer la démocratie pour ne pas dire plus. La haine des riches, la lutte des classes font un retour tonitruant, effrayant. Qui coupera les têtes ?

Il est devenu à la mode de critiquer la communication du Pouvoir. Certes il y a eu quelques maladresses et dérapages, arrogances et bêtises mais pour l'essentiel comment ne pas reconnaître qu'il est malaisé de réagir face à un message confus, équivoque, envieux socialement, politiquement abracadabrant, teinté de pulsions révolutionnaires ou de bon sens populaire, insurrectionnel ou encore honorablement républicain ? Si la parole est trouble, troublée, la réplique est atteinte par contagion.

Comment répudier, par exemple, une humeur, une subjectivité qui énoncent que "il est têtu le petit roi...Il a un air...On dirait qu'il se fout de nous" ?

Il me semble également qu'il faut rester circonspect face à ces coagulations qui s'opèrent et vont se poursuivre, par une sorte du mimétisme du désordre et de la violence, parce qu'elles ne révèlent rien d'autre que la volonté d'aller crier, bloquer et protester ensemble : les Gj, une trop belle opportunité pour s'agréger! Peu importe si chacun de ces mouvements : 200 à 300 lycées, routiers, infirmiers, agriculteurs, etc, devra s'inventer un prétexte pour aller s'opposer aujourd'hui plutôt qu'hier ou que demain . Ce qui domine est l'aspiration à faire nombre, pour donner de l'ampleur à une colère dont on serait bien en peine de nous élucider les ressorts conjoncturels.La focalisation médiatique ignore souvent qu'ils suivent plus par réflexe social que par conviction collective.

J'ai été scandalisé par le comportement de ceux qui ont hué le président avenue Kléber ou au Puy-en-Velay alors qu'il ne s'agissait de sa part que d'une démarche compassionnelle et solidaire et en aucun cas politicienne.

Sur ce plan, et bien plus profondément, je suis effaré par l'intensité et la vulgarité de la haine qui, sans retenue ni limite, s'exprime à l'encontre du président. Je conçois la lutte politique, la contestation sociale, la polémique intellectuelle, même la fureur républicaine mais ce ressentiment purement personnel, cette hostilité destructrice et jusqu'au-boutiste, cette rage vindicative centrée, si vite et à ce point, sur ce seul président de la République pour des motifs évidents et/ou obscurs m'apparaissent absolument injustes par rapport à ce qu'il a accompli durant sa première année et malgré sa descente aux enfers avec la calamiteuse gestion de l'affaire Benalla.

Le président, selon un proche, "vit très mal d'être détesté par les Français" (Le Monde).

N'est-il pas en train de payer une rançon dont une part importante devrait être réglée par ses prédécesseurs ? Ou bien dois-je admettre que la France ne tolère que des Pères de la patrie passifs - par exemple Jacques Chirac et son immobilisme - mais se cabre face à ceux qui aspirent à la réformer ? L'inaction récompensée ou l'énergie sanctionnée ?

Ce souci d'équité à l'égard du président de la République - aujourd'hui, même ferait-il quelque chose de bien qu'il serait insulté ! - ne me rend pas aveugle pour appréhender la conduite générale de celui-ci et du Gouvernement face à cette crise inouïe qui offense la France en même temps qu'elle la stimule. On a l'impression diffuse qu'ils ne font pas le poids. A quoi servirait à Emmanuel Macron de partir dans un autre Baden-Baden puisqu'il n'aurait pas un Pompidou à Matignon ?

Je ne sais pas si le désaccord entre Emmanuel Macron et son Premier ministre est aussi net que les médias le prétendent. Il n'empêche qu'il y avait quelque chose de surréaliste en écoutant le discours de ce dernier à l'Assemblée nationale, applaudi par une majorité à la fois énorme et poussive, et en songeant à l'état du pays. Un gouffre entre la France réelle et sa représentation parlementaire.

C'est probablement la cause fondamentale de ce sentiment d'être étrangers dans leur propre pays qu'éprouvent beaucoup de Français que cette inégalité scandaleuse dans leur incarnation parlementaire. Qu'on ne nous remette pas sur le tapis l'incapacité à gouverner quand tant d'Etats ont le scrutin proportionnel sans être tombés dans une chronique instabilité !

Le 8 décembre on le prédit, on nous l'annonce, on le craint, on le veut, probablement une déferlante de Gj et de casseurs dans leur foulée va s'abattre sur Paris. Il n'y aura pas que le pouvoir, le ministre de l'Intérieur, le Préfet de police qui seront jugés. Mais aussi tous les Gj.

Qu'ils y songent.

Le Capitole est proche de la Roche Tarpéienne, le désenchantement de l'enthousiasme, le soutien du désaveu, les larmes de l'exaltation collective.


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