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Nabilla : téléréalité ou réalité de la télé !

Justice au singulier - philippe.bilger, 10/11/2014

Si on dépasse le sort de Nabila, je ne suis pas persuadé que les médias dits sérieux en sortent grandis. A l'exception de quelques journalistes de haute volée, on devine trop, chez beaucoup, la volonté de ménager les puissants, de rudoyer les faibles réels ou apparents et de nous convaincre que leurs questions sont plus fondamentales que les réponses. J'espère qu'un jour Nabilla sera appréciée pour ce qu'elle peut avoir de meilleur. Si on veut bien nous le montrer.

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Il est hors de question de me moquer de Nabilla Benattia dite Nabilla.

Je relève sur Wikipédia qu'elle est née le 5 février 1992, qu'elle est mannequin et qualifiée de personnalité médiatique franco-suisse.

Le 9 novembre elle a été mise en examen pour tentative d'homicide volontaire et pour violences aggravées sur son compagnon Thomas Vergara. Puis incarcérée.

Je ne sais quelle sera l'issue judiciaire de cette procédure mais mon souci n'est pas de relater les variations et les contradictions que l'enquête de police a fait apparaître et qui ont entraîné la mise en cause de cette jeune personne pour des faits graves récents, auxquels on a joint un dossier plus ancien (Le Parisien).

Dans tous les cas, la situation, aujourd'hui, de Nabilla est suffisamment préoccupante pour qu'on ne fasse pas une sorte de surenchère dans l'opprobre et la dénonciation.

Ce qui m'importe, c'est de montrer à quel point, et avec quelle obstination vulgaire et complaisante, le destin de Nabilla a été façonné, exploité, magnifié, surestimé, dégradé et, en définitive, détruit par l'univers médiatique, les réseaux sociaux, la réalité de la télévision.

C'est au cours du printemps 2013 que dans les Anges de la téléréalité, elle prononce son fameux : Allô! Non mais allô quoi, qui a fait, comme on dit, un buzz révélant davantage sur nous et notre appétence du médiocre que sur elle.

Quelques mois plus tard, elle devient la vedette de sa propre émission de téléréalité Allô Nabilla.

A la fin du mois de septembre 2014, chroniqueuse dans Touche pas à mon poste ! avec Cyril Hanouna et d'autres, j'ai cru comprendre et remarquer qu'on s'était beaucoup gaussé d'elle.

Et le 7 novembre, son interpellation, sa garde à vue suivies de sa mise en examen.

Sans tomber dans le pathos - ce qu'elle a accompli, si elle est déclarée coupable, ne le justifierait en aucun cas -, je désire seulement mettre l'accent sur le cours singulier de cette médiatisation si précipitée et tellement caractéristique de notre modernité qui éclabousse de lumière et en même temps tourne en dérision.

Combien de fois ai-je été choqué, sans être obsédé par les anecdotes insignifiantes qui la concernaient, par le traitement dont elle bénéficiait et dont à la fois elle pâtissait. Abusivement et superficiellement glorifiée, en même temps elle était humiliée, réduite à ses appâts ostensibles et définie comme idiote.

Cette ambiguïté douteuse des médias usant de l'ironie et du sarcasme, dans le domaine du divertissement, à l'égard de jeunes êtres appréhendés comme des "produits" et par ailleurs encensés pour leur futilité, m'a toujours révolté. On révère et on crache. On ne veut rien manquer sur aucun plan.

Ce ne serait que la confirmation de dérives usuelles si celles-ci, parfois, n'entraînaient pas des désastres humains. Il faut avoir les reins, la tête et la personnalité solides pour savoir, pour pouvoir résister à ce cirque qui enivre mais défait si on n'y prend pas garde. Voir Loana.

Il n'y a pas non plus de quoi se consoler en prétextant qu'il s'agit d'un journalisme et d'informations sans importance et qu'après tout le poison instillé dans une fragilité est la rançon des peopolisations sans drame.

En un certain sens, les réseaux sociaux et les exploitants-exploiteurs de Nabilla sont clairement responsables d'une fêlure qui n'a cessé de s'élargir. Elle devrait donner mauvaise conscience à ceux qui de gaîté de coeur et cyniquement ont profité de cette "matière" pour la mettre sur un pavois qu'elle ne méritait pas et, aussi, l'accabler. En brûlant ce qu'ils faisaient absurdement adorer dans le même mouvement.

Si on dépasse le sort de Nabilla, je ne suis pas persuadé que les médias dits sérieux en sortent grandis. Je ne ressens jamais une curiosité nue et impartiale, une empathie critique, un effacement de soi pour libérer le meilleur de l'autre.

A l'exception de quelques journalistes de haute volée, on devine trop, chez beaucoup, la volonté de ménager les puissants, de rudoyer les faibles réels ou apparents et de nous convaincre que leurs questions sont plus fondamentales que les réponses.

J'espère qu'un jour Nabilla sera appréciée pour ce qu'elle peut avoir de meilleur. Si on veut bien nous le montrer.


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