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Obligation de reprise du personnel et principe d’égalité entre les candidats à l’attribution d’un marché public

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, Benjamin Touzanne, 14/11/2012

Le juge judiciaire du référé précontractuel vient de prendre position sur l’épineuse question des obligations de l’autorité contractante de communication d’informations relatives au transfert des contrats de travail, lors d’une procédure de passation d’un marché public.
La personne responsable de la passation d’un marché public a-t-elle l’obligation, au titre du principe d’égalité de traitement des candidats, de communiquer les éléments d’information relatifs au personnel du titulaire sortant ?

Le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, statuant en référé précontractuel par son ordonnance du 29 août 2012 (n° RG 12/55211) - selon sa pratique usuelle du référé d’heure à heure qui ne s’impose pas de soi comme vecteur du référé précontractuel - sur la régularité d’une procédure de passation soumise à l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, laisse à penser que la réponse est négative.

L’un des candidats à l’attribution d’un marché de transport de voyageurs dont la procédure de passation avait été lancée par l’association des paralysés de France, se plaignait d’avoir été victime d’une inégalité en ce que l’association n’avait pas rendu publiques les informations relatives à la masse salariale du personnel à reprendre dès le lancement de la consultation. Rejetant la requête, le juge judiciaire décide, d’une part, que le principe d’égalité entre les candidats n’a pas été méconnu dès lors que l’obligation de reprise du personnel ne s’imposait pas uniformément à chacun des candidats et, d’autre part, que la requérante ne justifiait d’aucun intérêt lésé à même de rendre son moyen recevable.

L’application de l’article L. 1224-1code du travail impose le transfert de tous les contrats de travail en cours au jour du transfert d’une entité économique autonome conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise (Cass. Ass. plén., 16 mars 1990, n° 89-45.730, Bull. civ. Ass. plén. n° 4). Pour autant, l’attribution d’un marché public de services ne suffit pas à réaliser, par lui-même, le transfert d’une entité économique conservant son identité et dont l’activité est poursuivie ou reprise au sens des dispositions du code du travail (Cass. Soc., 6 novembre 1991, n° 90-21.437. Ainsi, dans de nombreux secteurs économiques, des conventions collectives sont venues étendre l’application des dispositions de l’article L. 1224-1 du code du travail.

En pratique, pour les procédures de passation de contrats publics, trois situations sont susceptibles de se présenter, entraînant l’application d’un régime juridique propre à chacune.

Si l’obligation de reprise du personnel ne s’impose, légalement ou conventionnellement, à aucun candidat, les informations relatives à la masse salariale de l’opérateur sortant sont indifférentes.
Si l’obligation s’impose à tous les candidats, le Conseil d’Etat juge que la non-communication, par la personne publique, du coût de la masse salariale du titulaire du précédent marché constitue un manquement aux obligations de mise en concurrence car l’obligation de transfert des contrats de travail fait de cette information un élément essentiel du marché eu égard au poids des charges du personnel pour les prestations attendues (CE, 13 mars 1998, SA Transport Galiero, req. n° 165238 , 19 janvier 2011, Société T.E.P technique d’environnement et de propreté, req. n° 340773; CE, 11 avril 2012, CCI de Bastia et de la Haute-Corse, req. n° 355183).

Si, enfin, l’obligation de reprise du personnel ne s’impose pas à uniformément à tous les candidats, c'est-à-dire dans le cas où un marché public en renouvellement n’entre pas dans le champ de l’article L. 1224-1 et où seulement certains candidats sont concernés par cette obligation par l’effet d’une convention collective qui leur est applicable, les candidats se retrouvent dans des situations différentes.

Pour le candidat évincé, entrant dans le champ de la convention collective, la question se pose de savoir s’il peut se prévaloir de l’inégalité entre les candidats inhérente à l’application sélective de cette convention pour faire annuler la procédure. Si le pouvoir adjudicateur (ou l’entité adjudicatrice) a l’obligation de traiter de manière égale les candidats (égalité formelle), il ne lui appartient pas de prendre des initiatives pour rétablir l’égalité réelle entre ces derniers.

Cependant, compte tenu de l’importance objective du paramètre de la masse salariale dans la construction d’une offre performante, l’on doit se demander si la solution jurisprudentielle ne devrait pas, au contraire de ce qui a été jugé, retenir que cette donnée doit être portée systématiquement à la connaissance de tous les candidats, indépendamment de leurs obligations conventionnelles au titre de leur secteur d’activités.

Le juge judiciaire n’intervient que rarement en matière de référé précontractuel. L’on ne sera pas surpris que l’ordonnance rapportée n’ait pas suivi les étapes usuelles du raisonnement retenues par son homologue administratif. Elle aurait pu, en effet, se borner à se prononcer, d’abord et uniquement, sur la recevabilité du moyen, pour l’écarter au motif du défaut de justification d’un intérêt lésé de la part de la requérante qui aurait pu obtenir les informations en cause en saisissant l’association contractante en se fondant sur les obligations conventionnelles qui la gouvernent. L’on sait que cette condition est impérative pour obtenir l’annulation d’une procédure de passation (CE, 3 octobre 2008, SMIRGEOMES, req. n° 305420).

Le sujet est d’importance du point de vue des salariés, de la commande publique et du droit l’Union européenne. En effet, le thème fait débat au sein des organes de l’Union en matière de services d’assistance en escale (voir la proposition de règlement du parlement européen et du conseil sur les services d’assistance en escale dans les aéroports de l’Union et abrogeant la directive 96/97/CE du Conseil et les documents préparatoires).


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