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Si j'avais eu encore besoin...

Justice au singulier - philippe.bilger, 6/11/2014

Si j'avais eu encore besoin de me persuader qu'il ne faut jamais rien lâcher parce qu'après l'aveuglement de 2007, le sursaut sera possible au moins en 2017 et qu'une vie politique sans Sarkozy n'est non seulement pas inconcevable mais nécessaire, j'ai trouvé ce qu'il me fallait. Celui qui abaisse, c'est qu'il est bas, a écrit Henry de Montherlant.

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Sans doute vais-je décevoir la majorité de mes lecteurs. Je ne vais pas écrire sur François Hollande mais sur Nicolas Sarkozy. Encore, diront certains qui m'imputent à charge son omniprésence.

Pour le président de la République, l'attente aura été grande mais l'espoir mince avant son intervention sur TF1. Quand ce billet sera publié, elle aura eu lieu et il sera temps alors de se demander si elle a répondu à l'inquiétude et aux doutes sur sa personnalité et les perspectives de sa politique.

En tout cas, pour moi, une sympathie, une écoute, mais surtout un écart dramatique et une perception traumatisante entre un extrême volontarisme verbal et une réalité qui s'obstine à ne jamais obéir aux injonctions de la politique du verbe.

Mais puisque Nicolas Sarkozy a pris le risque de se remettre ouvertement au centre du débat public, comment ne pas tirer des leçons à la suite de la publication de deux ouvrages que j'ai lus et qui concernent notre ancien président, tant durant son quinquennat qu'après sa défaite ?

Le livre de Gérard Davet et de Fabrice Lhomme "Sarko s'est tuer" constitue une analyse détaillée, technique et honnête des onze affaires concernant Nicolas Sarkozy à des degrés divers, sans qu'on puisse préjuger une issue judiciaire favorable ou défavorable à sa cause.

Ces deux journalistes, dont je persiste à considérer, sans les inciter à se pousser du col, qu'ils sont nécessaires à notre démocratie, sont demeurés prudents, mesurés sur France Inter avec Patrick Cohen, comme s'ils avaient intégré le fait que leur démarche professionnelle a été mise en cause par beaucoup, et pas seulement Valeurs actuelles, et qu'ils avaient cherché légitimement à rassurer les mauvais coucheurs de la République.

Je regrette que Patrick Cohen ne les ait pas questionnés sans fard sur la nature de leurs sources, pour crever un abcès qui devient purulent mais qui ne me fait pas confondre, à leur avantage, le doigt avec la lune.

Si j'avais eu encore besoin de m'accabler à la suite de mon vote de 2007, motivé certes par une campagne brillante mais, je dois le confesser, dénué de profondeur et d'intuition psychologique et politique, ces deux auteurs m'auraient aidé avec la narration de ces séquences dont le nombre constitue un record absolu, inouï pour un président de la République et qu'on ne saurait chasser avec désinvolture comme l'a fait récemment Laurent Wauquiez. Quand j'entends les inféodés à Nicolas Sarkozy, ses amis, invoquer la présomption d'innocence, j'ai l'impression que tout en y croyant de moins en moins, ils s'en servent comme d'un talisman formel pour chasser le mauvais sort.

Contrairement au noyau fanatique de l'UMP - je vais finir par détester la fidélité si elle devient l'autre nom de la bêtise - je n'ai jamais accepté que la République irréprochable promise soit devenue cet interminable chemin de croix pour l'état de droit de 2007 à 2012.

Si j'avais encore eu besoin d'être persuadé que le retour possible de Nicolas Sarkozy serait à la fois une privatisation partisane, un désastre pour la droite et une fausse bonne idée contre le FN, le livre "Ca reste entre nous, hein ?" de deux journalistes du Parisien (Frédéric Gerschel et Nathalie Schuck) rapportant les propos qui leur ont été tenus par le président battu, m'aurait fourni une argumentation décisive que même le pire de ses adversaires n'aurait osé espérer.

Certes ces échanges n'ont pas trait directement au quinquennat écoulé même si beaucoup d'appréciations souvent méprisantes se rapportent à des personnalités qui ont fait plus qu'y tremper.

Toutefois, à comparer ces cinq ans, avec l'exacerbation dont NS s'était fait un art discutable et la violence médiatique dont il a été à plusieurs reprises victime, à la tonalité incroyablement vulgaire et vaniteuse des conversations que les auteurs ont eues avec lui, on perçoit une triste cohérence entre l'amont et l'aval, entre hier et aujourd'hui, entre le Sarkozy incorrigible et permanent et celui vendu prétendument nouveau (pour la 20ème fois !).

Les insultes publiques que le président a subies et qui pouvaient apparaître dans l'instant outrancières, choquantes, comme s'il était une victime, apparaissent dorénavant comme une sorte de rançon préventive pour tout ce que lui-même charrie, dès qu'il se croit libre, de narcissique, de méprisant et de caractériel.

Fillon est un "loser", Wauquiez en prend pour son grade, Le Maire est un âne savant ennuyeux et parlant allemand, tous les UMP sont "des cons", Marine Le Pen est "un déménageur", François Hollande et Valérie Trierweiler sur la plage "les Bidochon" et le président de la République serait nul parce qu'il mangerait des frites et ne ferait pas de sport ! Et ainsi de suite.

Avec une passion de l'argent immodérée et sans élégance : deux millions d'euros avec ses conférences qu'il ne veut pas interrompre, Carla le prendrait "pour un chômeur". C'est pire que le "sans dents" si François Hollande l'a dit, alors qu'il continue à le nier par une généralité sur son rapport avec les Français (TF1).

François Fillon feint de ne pas prendre au sérieux ce jeu de massacre et de culte effréné de soi par détestation systématique des autres et de son parti en déclarant qu'il serait "indigne d'un homme d'Etat", ce qui est une manière de qualifier ces lamentables billevesées et vulgarités, ces aperçus auxquels font défaut la finesse d'un Mitterrand ou la gouaille pertinente d'un Chirac.

Quant à Brice Hortefeux, en voix de son maître, il énonce que "Nicolas Sarkozy a une règle : ne pas s'en prendre aux autres". Il y a de quoi s'étrangler d'un rire saumâtre quand on lit le défilé de saillies concernant aussi bien l'apparence que le fond débité par Sarkozy (Le Parisien).

François Fillon, au vrai, est si parfaitement conscient qu'il se serait rendu à l'Elysée pour suggérer qu'on pousse les feux judiciaires à l'encontre de Sarkozy.
L'ancien Premier ministre a démenti mais cette visite correspond si bien à leur nouveau rapport de rivalité depuis 2012 qu'elle est, Davet et Lhomme l'ont certifié, incontestable.

François Fillon est si lucide sur l'avenir qu'il a évidemment dénoncé par avance la démarche de Sarkozy quand il deviendra président de l'UMP : changer le nom du parti, pour faire passer à la trappe la Haute Autorité chargée de garantir des primaires loyales, ouvertes et pluralistes en 2016. Si le pire advenait sur ce plan, François Fillon se présenterait comme candidat "sauvage" - cela lui va mal - en 2017 (Le Figaro).

Ces péripéties, tensions et désaccords ne font pas oublier l'essentiel : Sarkozy prétend revenir à toute force alors qu'il méprise son parti, beaucoup de ceux qui l'ont servi et se sont humiliés pour rien - d'où la chance, demain, d'Alain Juppé - et qu'il n'a aucune légitimité pour "se payer" ainsi ses affidés, ses soutiens et ses militants. Cela manifeste à quel point sa tactique est de pur ressentiment, l'UMP qui a payé - au sens propre - pour lui est un marche-pied et 2017 le seul baume qui conviendrait à sa vanité blessée par 2012.

Si j'avais eu encore besoin de me persuader qu'il ne faut jamais rien lâcher parce qu'après l'aveuglement de 2007, le sursaut sera possible au moins en 2017 et qu'une vie politique sans Nicolas Sarkozy n'est non seulement pas inconcevable mais nécessaire, j'ai trouvé ce qu'il me fallait.

Celui qui abaisse, c'est qu'il est bas, a écrit Henry de Montherlant.


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