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Chevaline : De vraies questions sur les huit heures d’attente

Actualités du droit - Gilles Devers, 8/09/2012

Chevaline. Le crime, qui a eu lieu vers 15h 45, a été découvert à 15h50,...

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Chevaline. Le crime, qui a eu lieu vers 15h 45, a été découvert à 15h50, et les gendarmes ont été aussitôt avisés. Mais c’est uniquement à minuit que les enquêteurs ont découvert dans la voiture, une fillette de 4 ans, indemne ! Le protocole de « sanctuarisation » a été respecté, ce qui conduit à se poser de sérieuses questions sur la validité de ce protocole. 

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Aussitôt alerté, le commandement départemental de la gendarmerie avise le procureur de la République, et diligente les gendarmes de la brigade la plus proche pour se rendre sur place pour les premières mesures de sauvegarde. Très vite, arrivent soixante enquêteurs de la cellule d'investigation criminelle, dépendant de la section de recherches de la gendarmerie  de Chambéry, ccompagnés d'un médecin légiste. Ils bouclent le secteur et procèdent à une visite extérieure de la voiture, confirment la présence des trois cadavres et engagent les secours pour la jeune fille grièvement blessée, qui a été trouvée hors de la voiture.

Mais il reste dans la voiture, blottie derrière les jambes des cadavres de sa mère et sa grand-mère, une petite fillette de 4 ans. Indemne. Les gendarmes ne voient rien... et pourquoi?  L’équipe de la cellule d'investigation criminelle de Haute-Savoie - de très grands pros - n’a pas le droit d’ouvrir le véhicule !

On fait décoller un hélicoptère pour vérifier, par caméras thermiques et infrarouges, le nombre de corps, et Raymond-la-Science confirme : trois cadavres. La sur-puissante science n'a pas repéré le corps de la fillette, seule vivante au milieu des morts, ne distinguant pas un corps chaud et des corps froids. J'émets des réserves majeures sur la qualité de ce matériel, si coûteux (plus coûteux que d'ouvrir une portière).

A minuit, huit heures plus tard, les gendarmes de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), venus de Rosny-sous-Bois (93) (Huit heures pour ralier Paris et Chambéry... ils doivent circuler en tapis volant,... ou en train normal), arrivent sur place : 26 spécialistes parmi lesquels des experts en balistique, des micro-analystes en résidu de poudre, un entomologiste chargé de dater les décès, des gendarmes au top pour les véhicules et le recoupement entre affaires criminelles font partie du voyage.

Ils ouvrent alors la voiture et découvre la fillette. Bravo la spécialisation.

Le lieutenant-colonel Benoît Vinnemann, qui commande la section de recherches de la gendarmerie de Chambéry a expliqué : « On avait pour consigne de ne pas entrer dans le véhicule pour ne pas modifier le positionnement des corps, sur une scène de crime "gelée". Les pompiers, les techniciens, les médecins ont regardé dans la voiture par des trous à travers les vitres mais ils n'ont pas vu la petite. La gamine, terrorisée, n'a jamais bougé ».

Le procureur de la République d'Annecy, Éric Maillaud, tente de justifier cette aberration : « Quand on est sur une scène de crime extrêmement importante, l'essentiel est que l'enquête ne soit polluée par rien. Les choses doivent se faire de manière méthodique. Au moment de l'intervention des services d'enquête, rien ne permettait de savoir qu'il y avait d'autres personnes ». Justement, il fallait vérifier.

Le ministre de l’Intérieur s’est dépêché d’affirmer qu’aucune faute n’avait été commise. En fait, il n’y pas eu de faute car le protocole a été respecté, et tout le problème est la validité du protocole.

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Il est certain que :

-          dans toute affaire criminelle grave, les constatations matérielles de police scientifique, surtout dans une affaire avec usage d'armes, apportent des informations essentielles et irremplaçables ;

-          la brigade locale de gendarmerie, dans un tel cas, ne peut avoir pour rôle que de se rendre sur place pour sauvegarder les lieux en attendant les équipes de l’enquête criminelle ;

-          ces affaires sont rares et les techniques de constatations scientifiques à mettre en œuvre justifient des regroupements de compétences et de moyens, par quelques équipes nationales.

Tout ceci est bien net, et j'ajoute : les ordres sont les ordres, et s’imposent tant qu’ils ne sont pas manifestement illégaux. La question est donc la pertinence du « protocole ».

Cette question est cruciale. La petite fille n’a pas été atteinte, par un miracle dans le contexte de cette fusillade, mais si elle avait été blessée, sa vie aurait été mise en péril par « le protocole ». Huit heures d’attente...  avec 60 enquêteurs très compétents qui se tournent les pouces en attendant l'arrivée des cracks de l'équipe nationale.

De plus, quel sort horrible pour l'enfant. A quatre ans, un enfant a une grande perception des évènements. La fillette a été retrouvée en état de choc, comme prostrée. Le suivi du protocole a conduit cet enfant à rester seule pendant huit heures, plongée dans l’univers du crime et de l’horreur, blottie contre les cadavres de sa mère et de sa grand-mère. C’est extrêmement grave.

Il est invraisemblable qu'ait été intimé l'ordre à ces très expérimentés gendarmesde ne pas vérifier de visu, en ouvrant une portière, s’il ne restait pas un survirant blessé,  alors que personne ne connaissait – par hypothèse – le nombre d'occupants du véhicule ! 

Il faut bien imaginer la scène. Les super gendarmes, qui gèrent les enquêtes criminelles sur tout le département, plantés devant la voiture, regardant à travers les trous faits par les tirs, pendant que la fillette attend dans la voiture. Huit heures…

Quel était le grand risque ? On parle du déplacement de corps ! Stop ! Ne prenez pas les gendarmes des brigades criminelles pour des demeurés ! Conserver la position des corps est essentiel pour déterminer le trajet de balles et donc identifier le nombre de tireurs et leur position. Jamais ces gendarmes ne se seraient permis de bouger les corps des cadavres, avant l'arrivée des balisticiens.

Autre raison invoquée, le risque que la vitre, trouée par les tirs, se brise. Ce serait certes regrettable, mais des précautions peuvent être prises, et il reste encore bien des moyens de mesurer le trajet de tirs, et leur distance, à partir de constations corporelles. Alors, qu’en contrepartie, c’est le moyen de peut-être sauver une vie…

Enfin, l’affaire a été confiée à la gendarmerie, ce qui conduit à faire appel à l’IRCGN du 9-3. Mais il existe à Lyon, à une heure de route, un service de compétence similaire, l’Institut national de police scientifique (INPS). Alors, pourquoi ne pas avoir saisi l’INPS ?

La jeune fille est sauve, et tout le monde souhaite passer à la suite, à savoir l’avancée de l’enquête.  Certes. Mais cette affaire met à jour de vraies carences sur les méthodes d’enquête pour les affaires les plus graves et sur la coordination des services de l’Etat.

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