Actions sur le document

Quelles copies (privées) numériques en entreprises ?

Paralipomènes - Michèle Battisti, 30/10/2012

La question. Sachant que le support numérique est très volatile et sa propagation si rapide que l’on perd vite le lien avec la source, comment s’assurer que la copie numérique a été réalisée à partir d’une source licite et avec un matériel personnel ?  Est-il permis de prêter cette copie privée ? Sous quelle forme ? De manière [...]

Lire l'article...

La question. Sachant que le support numérique est très volatile et sa propagation si rapide que l’on perd vite le lien avec la source, comment s’assurer que la copie numérique a été réalisée à partir d’une source licite et avec un matériel personnel ?  Est-il permis de prêter cette copie privée ? Sous quelle forme ?

De manière très concrète : j’achète la revue « Documentaliste » et je souhaite la montrer à mes collègues. Mais au lieu de leur remettre la revue papier, je mets une copie numérique à leur disposition. Dans ce cas, est-ce encore un usage privé ? Si oui, comment s’assurer que les « emprunteurs » ne feront pas de copie ‘illicite’ de cette copie privée ? Faut-il accompagner la copie d’un texte alertant sur la contrainte d’usage de la copie privée ?

Mise en garde. La réponse à cette question anonymisée ne vise qu’à rappeler quelques principes, mais n’est pas en mesure de se substituer à un conseil juridique.

La source licite est  exigée par la loi  du 20 décembre 2011 pour calculer l’assiette de la redevance pour copie privée. Mais nous sommes plusieurs à penser  que le contrôle de la licéité ne doit pas être imposé à l’utilisateur.

Quant au matériel personnel, il s’oppose, comme avait souhaité le faire la Cour de cassation dans un arrêt en 1984, au matériel appartenant à l’entreprise, à l’officine ou à la bibliothèque, … : la photocopieuse, aujourd’hui plus souvent ce qu’on a pu appeler des « photocopieuses numériques », à savoir des photocopieuses munies d’une option de numérisation.  Si ceci signifie qu’il ne peut y avoir de copie privée que lorsque celle-ci est réalisée avec le matériel de reproduction appartenant au copiste, ce n’est toutefois  que l’une des conditions requises.

Prêter la copie ? Il s’agit, comme vous le dites vous-même, non d’un prêt mais de copies en quelques exemplaires. Une copie, donc.  Dans «  le cercle de famille », oui ; dans un cadre professionnel, même étroit, cela s’apparente, même s’il s’agit de collègues proches, à un usage collectif, redevable de droits. Et évidemment toute rediffusion allant au-delà du « cercle de famille », sur les réseaux sociaux ou sur des plateformes comme Scribd par exemple, est interdite.

D’où les mises en garde sur l’interdiction d’une rediffusion qu’il serait opportun de faire auprès du public, lorsque celui-ci utilise divers appareils lui appartenant et permettant la numérisation d’œuvres protégées par le droit d’auteur, d’autant plus si l’on met un scanner à sa disposition (que certains établissements préfèrent interdire). Aujourd’hui, la rémunération pour copie privée, payée lors de l’acquisition de ces appareils, ne couvre pas le partage des œuvres à des fins non commerciales.  En outre, si votre copie est diffusée gratuitement, vous opérez toutefois dans un cadre commercial, et déterminer avec précision les frontières de la nature non commerciale de l’échange, fera sans nul doute l’objet d’un débat tout à fait passionnant, mais que nous aborderons une autre fois.

Sans entrer dans toutes ces considérations, en ce qui concerne la revue Documentaliste, pour reprendre votre exemple, l’accès à la revue est libre deux ans après sa publication. Dans ce cas, le lien étant (encore) libre, il suffira d’indiquer le lien permettant de consulter l’article sur notre site. Chacun de vos collègues pourra ainsi, à tout moment, prendre connaissance de l’article que vous avez choisi de « partager ».

On pourrait même imaginer qu’au bout de 2 ans de réservation, les articles soient mis ensuite sous une licence Creative Commons interdisant l’usage commercial, voire la modification (pour rassurer les auteurs). Malheureusement, il nous faudrait pour ceci obtenir une autorisation en ce sens de la part de chaque auteur,  puisqu’ils ne nous ont pas accordés de droits à cet effet et que libre accès ne signifie pas libre réutilisation par des tiers. En outre, si une telle licence était adoptée, payer des droits pour des photocopies en nombre ou des numérisations auprès de société de gestion collective n’aurait  plus aucun sens ; que devient en effet la gestion collective obligatoire de la photocopie, lorsque celle-ci est  diffusée en nombre et à des fins gratuites, gestion obligatoire qui va bien au-delà de ces deux ans, soit toute la durée de protection de l’œuvre, et de laquelle aucun éditeur ne peut s’échapper ?

On peut aussi s’interroger sur l’utilisation des articles avant leur libre accès au bout de  deux ans ? Liés à l’actualité, ce sont même ceux qui vous intéresseraient sans doute le plus.

Imaginons que vous ayez conclu un contrat pour des accès numériques avec l’un de nos diffuseurs, par exemple,  le prix qui serait exigé varierait notamment en fonction du nombre d’utilisateurs.

Mais voilà ! Vous avez payé un abonnement papier et vous ne recevez qu’un exemplaire de la revue. Il est vrai que l’exemplaire papier peut circuler au sein de votre entreprise (un salarié pendant un délai donné et qui peut-être en fera même des photocopies !!!). Copies privées ? Sachez que dès lors que des photocopies en plusieurs exemplaires en sont faites, vous seriez obligés a priori de déclarer celles-ci au CFC et de payer des droits, puisqu’il s’agit d’un cadre professionnel et non privé (ce qui fut aussi l’objet de débats intéressants au moment de l’adoption de la loi de 1995 sur la reprographie, débats qui pourraient peut-être resurgir).

Et, comme rien n’est simple, la question se pose ensuite de savoir si le Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) est agréé pour récupérer des droits sur la diffusion des œuvres numérisées. Oui, affirme-t-il, lorsque les copies  sorties de l’imprimante sont identiques à la version papier. Il vous faudrait alors les déclarer comme de banales photocopies. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas votre cas, puisque vous entendez numériser l’article pour l’envoyer à vos collègues.

Or, le CFC a créé un nouveau type de contrat couvrant les copies numériques internes (au sein des entreprises), soit pour des copies faites en dehors des panoramas de presse numérique sur intranet ou sur extranet, objet de  deux autres contrats qu’il propose aussi : conclure donc un tel contrat, pour copies numériques internes,  pour couvrir les copies de la revue Documentaliste remises à vos collègues, une solution ? Eh bien non, car l’ADBS n’a pas donné un mandat exprès pour ceci au CFC. Le CFC ne peut donner d’autorisation que pour les publications dont il détient un mandat des éditeurs. Il ne vous reste plus qu’à demander à l’ADBS une autorisation expresse (qui pourrait  être accordée gratuitement, qui sait ?) et à garder soigneusement une trace de l’autorisation donnée.

Que dire alors ? S’il s’agit d’un usage très ponctuel : un article de temps à autres,  à deux ou trois collègues, lié à une préoccupation commune du moment ? Je serais d’avis de fermer les yeux. Le préjudice serait davantage établi si vous numérisiez plusieurs articles de la revue et que vous les envoyiez à une dizaine de personnes et cela systématiquement pour tous les numéros. Il serait fâcheux, reconnaissez-le (pour l’éditeur que nous sommes, l’accès gratuit en deçà des 2 ans n’étant pas envisageable aujourd’hui), de ne pas négocier pour obtenir des droits pour un accès numérique collectif répondant à vos besoins. En d’autres temps, vous auriez (peut-être) accepté de payer des abonnements pour plusieurs exemplaires papier. Mais oui, cela a existé !

Ill. Bière et Bavière. Hajatiana. CC by-nc-sa


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...