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La frustration démocratique

Justice au Singulier - philippe.bilger, 18/05/2015

La frustration démocratique, c'est de devoir s'indigner moins à cause des scandales qu'en raison de leur impunité.

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Je n'éprouve pas de plus grande frustration démocratique qu'en face d'un scandale dont vraisemblablement aucune conséquence ne sera tirée.

On a peut-être compris que je faisais allusion à la nomination de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).

Le pire est que les qualités personnelles et professionnelles de cette femme estimée par beaucoup ne sont pas en cause. Au point, dit-on, que chez Orange Stéphane Richard était heureux de voir partir une possible rivale et n'a rien fait pour la retenir.

On aurait pu certes considérer que la méconnaissance totale du domaine qui allait lui échoir constituait un réel problème mais ce n'aurait pas été la première fois que, dans le monde politique, culturel, judiciaire ou médiatique, l'ignorance, loin d'être un handicap, aurait été jugée comme un atout. Au moins, on arrive vierge et sans préjugés.

Mais là n'est pas l'essentiel. Delphine Ernotte a profité d'un concours de circonstances et d'un concert de manoeuvres, de pressions et d'irrégularités, mis exlusivement à son service. Ils ont fait perdre prématurément la partie à de remarquables candidats comme Marie-Christine Saragosse ou Didier Quillot puis, dans la joute finale, à Pascal Josèphe, vieux routier auquel aurait pu être reproché à l'inverse de trop bien connaître ce à quoi il aspirait.

On fait nommer et on influence quelques conseillers, on écarte sans justification sérieuse des rivaux dangereux, on plagie le projet d'un candidat et on promeut une femme - la bonne, pas l'autre -, tout cela dans un climat de connivence et de clientélisme aux antipodes de la transparence que l'audiovisuel aurait exigée et dont Mediapart, bon gré mal gré, est le vecteur salubre.

J'entends qu'on me questionne sur mes sources. Le terrain à nouveau va être délicat puisqu'elles viennent justement de ce site honni et adulé, parfois par les mêmes. Avec cet impressionnant mélange d'idéologie alter mondialiste pour le pire et, pour le meilleur, d'investigation efficace et pluraliste.

L'enquête et les révélations de Laurent Mauduit sur cette affaire m'ont totalement convaincu parce que je n'ai jamais pris cet excellent journaliste en défaut sur les sujets qu'il a traités.

Il me semble qu'il suffira de lire sa dense contribution pour être persuadé comme moi et être effaré par tout ce qui s'est perpétré sous le manteau pour faire gagner une cause parce qu'il fallait à tout prix ruiner les autres, même les plus valables.

Si Mediapart, comme je le crains, n'est pas contestable dans la version de ces péripéties et - osons le terme - de ces magouilles, le citoyen est empli de honte devant de telles dérives qui n'ont pas été suscitées par la négligence ou l'incompétence mais par la volonté perverse d'aboutir à cet effet capital : la nomination de Delphine Ernotte.

Je n'ai pas l'intention de paraphraser le texte de Laurent Mauduit et de reprendre les noms des personnes qui à des degrés divers ont participé à cette fraude à la transparence et à l'équité. Tout de même, tout honneur au transgresseur en chef !

Quand Olivier Schrameck a été nommé à la tête du CSA, des inquiétudes s'étaient manifestées, certes, au sujet de ses possibles dépendance et partialité politiques mais qui aurait pu imaginer que quelqu'un, dont on vantait la rigueur et l'intégrité, et d'abord lui-même jamais à court, s'abandonnerait à une manipulation l'ayant conduit à préparer en amont, avec de pitoyables complaisances, l'injustice commise et prétendument délibérée en aval ?

Ma frustration démocratique est là, dans cette indécence et ces violations ayant offensé tout le CSA à cause de quelques-uns. Les organes de la République sont comptables de notre honneur et le CSA aurait dû s'en souvenir au lieu de le brader alors qu'il avait notre confiance. En ce sens, le CSA est bien plus que le CSA : dégradé, il nous entraîne tous vers le fond.

Mais que fera-t-on, que pourra-t-on accomplir pour rectifier, corriger, gommer cette anomalie choquante, ce processus qui n'a plus de secrets et qui met toutes les responsabilités à découvert ? Rien, probablement.

Alors que le CSA ne devrait pas s'en remettre.

A moins que la suggestion géniale d'un juriste en même temps éclairé et indigné vienne faire espérer qu'un jour, le bon grain puisse succéder à l'ivraie.

Mais je n'y crois pas.

La frustration démocratique, c'est de devoir s'indigner moins à cause des scandales qu'en raison de leur impunité.


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