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Pour un droit au partage des livres numériques

:: S.I.Lex :: - calimaq, 8/11/2012

Philippe Aigrain a réagi sur blog à l’annonce de la plainte déposée par les éditeurs français contre le site de la Team AlexandriZ, ainsi qu’aux discussions qui s’en sont suivies sur les réseaux. Il y défend l’idée qu’un droit au … Lire la suite

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Philippe Aigrain a réagi sur blog à l’annonce de la plainte déposée par les éditeurs français contre le site de la Team AlexandriZ, ainsi qu’aux discussions qui s’en sont suivies sur les réseaux.

Il y défend l’idée qu’un droit au partage doit être reconnu pour les livres numériques, thèse qu’il avait déjà mise en avant dans un billet publié au début de l’année :

La prévisibilité de cette guerre au partage m’a poussé depuis longtemps à estimer que c’est aussi et même particulièrement dans le domaine du livre numérique qu’il faut d’urgence reconnaître un droit au partage non-marchand entre individus associé à de nouvelles rémunérations et financements, faute de quoi le déploiement massif des DRM et la guerre au partage feront régresser tragiquement les droits des lecteurs - et parmi eux des auteurs - même par rapport aux possibilités du livre papier.

Flying Books. Par graymalkn. CC-BY. Source : Flickr.

C’est la raison pour laquelle plusieurs points des Éléments pour la réforme du droit d’auteur et des politiques culturelles liées, publiés cet été, font référence directement au secteur du livre. La contribution créative notamment, qui serait mise en place avec la légalisation du partage non-marchand, aurait pleinement vocation à s’appliquer aux échanges de livres numériques.

Je souscris pleinement aux analyses développées par Philippe Aigrain, et notamment à la critique des modes d’échange centralisés, auxquels la Team AlexandriZ concoure par certains aspects de son fonctionnement. Je conteste cependant que l’on puisse assimiler le partage des objets numériques à du vol. D’un point de vue légal, c’est faux, puisque la contrefaçon d’oeuvres protégées constitue un délit distinct du vol, définie comme « la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui » et donc inapplicable aux biens immatériels.

Copier n’est pas voler. C’est un des principes de base qu’il faut garder à l’esprit lorsqu’on réfléchit à la question du droit d’auteur dans l’environnement numérique.

Par ailleurs, je souscris à l’appel que Philippe Aigrain adresse aux « éditeurs équitables » de s’emparer de la question du partage en ligne des oeuvres, car c’est un des points essentiels de la recomposition du pacte de lecture entre les auteurs, les éditeurs et les lecteurs.

Je reproduis ci-dessous le billet de Philippe Aigrain, placé sous licence CC-BY-SA.

***

Les enseignements des affaires TeamAlexandriz

Il y a la grande affaire, la plainte du SNE et des grands groupes éditoriaux qui en sont membres contre TeamAlexandriz. Et la petite affaire, celle de la colère de François Bon quand il a trouvé des eBooks de publie.net sur les sites centralisés de partage de fichiers référencés par TeamAlexandriz. Au-délà du commentaire qu’en a déjà fait Hubert Guillaud, ces affaires méritent qu’on revienne sur le partage des livres numériques et la guerre qui va continuer à se développer contre celui-ci. Et aussi que l’on réfléchisse à la situation des entreprises d’édition équitable, dont publie.net.1

Comme je l’annonçais, la guerre au partage des livres numériques est commencée à l’initiative des grands groupes éditoriaux. Contrairement à ce que ces éditeurs affirment, ils sont en train de répéter en pire l’erreur des majors musicales. Ils s’imaginent qu’il est possible et prétendent qu’il est souhaitable d’installer la rareté des copies des œuvres dans le monde numérique par une combinaison de verrous technologiques et d’actions judiciaires et politiques. Contre cela, je réaffirme avec force que le partage avec d’autres individus d’une œuvre qui est entrée en notre possession est un droit culturel essentiel, dont la portée est plus étendue dans le monde numérique. Pour concilier l’exercice de ce droit culturel fondamental avec une économie culturelle numérique soutenable, j’ai proposé de le reconnaître en le restreignant, d’une part aux activités hors marché et d’autre part au partage entre individus sans centralisation de contenus sur un site de prestataire. Dans mes propositions, j’ai même précisé la définition de cette absence de centralisation en spécifiant que le partage devrait être autorisé « d’un espace de stockage placé sous le contrôle souverain de l’individu à un espace placé sous le contrôle souverain d’un autre individu ». TeamAlexandriz ne centralise pas de contenus, mais utilise des sites centralisés comme hébergeurs de contenus (des usagers). On peut considérer (sous réserve de ma bonne compréhension), que TeamAlexandriz est un agrégateur de liens vers des contenus mis en ligne sur des sites centralisés commerciaux.2

Ce que nous révèle la plainte du SNE et de ses principaux membres, c’est la guerre contre les droits du public qu’ont décidé de conduire ces groupes, avec l’appui des plate-formes propriétaires contrôlées par des distributeurs. Ceux-ci leur mangeront la laine sur le dos quand ils auront fait le sale boulot contre les citoyens lecteurs. Je n’apprécie pas le mode de partage promu par TeamAlexandriz avec son utilisation dérivée de sites centralisés. Pour les exemples audiovisuels et musicaux, on peut considérer que c’est la guerre au partage pair à pair qui a poussé les utilisateurs vers les sites centralisés type Megaupload ou autres. Dans le cas des livres, on ne peut pas vraiment invoquer ce motif. Cependant, TeamAlexandriz a aussi fait un travail apprécié de production et mise à disposition d’eBooks de livres indisponibles, dans divers champs dont la science-fiction.3 Tout ceci étant dit, tant que l’on aura pas défini un droit au partage dans la sphère numérique, et forcé les plateformes d’eBooks à respecter les droits élémentaires des lecteurs, je continuerai à m’opposer (dans la limite de mes moyens) à toute action judiciaire contre ceux qui compensent partiellement ces limites, même s’ils le font de façon maladroite ou inappropriée.

Passons maintenant au cas des ePub de publie.net. Ceux-ci sont diffusés sans DRM (seuls les versions Kindle ou pour d’autres plate-formes propriétaires en ont). Rien n’empêche matériellement le possesseur d’un ePub publie.net de le transmettre à un autre lecteur, et c’est très bien ainsi. On peut donc considérer que l’argument que je développe plus haut de la correction d’une situation inacceptable ne s’applique pas et que la promotion de la mise en ligne (à ma connaissance on ne sait pas qui l’a effectuée) de ces ePub était inamicale à l’égard d’un modèle commercial parfaitement légitime parce que respectueux à la fois du public et des auteurs. Mais François Bon a-t-il eu raison de traiter de voleurs ceux qui avaient rendu accessibles ces copies ? Et ceux qui les ont référencées ? L’existence d’une copie numérique non-autorisée d’une œuvre numérique n’enlève rien à personne. La seule question qu’on puisse se poser est celle de l’équilibre entre le bénéfice d’accessibilité et de notoriété de l’œuvre et les pertes éventuelles de revenus résultant de ventes non réalisées. En l’espèce, je doute que cette perte de revenus existe, mais je reste ouvert à l’apport de preuves contraires.4

En d’autres termes, il est urgent que les éditeurs numériques équitables s’emparent eux-mêmes de la question de quel partage ils veulent voir exister. Faute de quoi leur mécontentement de voir le partage se développer de façon anarchique sera utilisé comme prétexte pour de nouvelles actions répressives par les oligopoles de l’édition et les éditeurs équitables perdront l’occasion de développer une synergie entre partage et ventes.

  1. Disclosure: publie.net est en train d’éditer en eBook un de mes livres : Cause commune, paru en version papier chez Fayard (éditeur membre du groupe Lagardère), et diffusé en PDF sous licence Creative Commons sur Internet. []
  2. Le cas de certains services comme dropbox étant complexe à analyser car les individus semblent y avoir un authentique contrôle sur l’espace de stockage qui leur est propre. []
  3. Le lecteur découvrira peut-être avec surprise qu’un livre comme la traduction française des Clans de la lune alphane de Philip K. Dick est indisponible, mais c’est bien le cas. []
  4. En tout état de cause, la mise en place de la contribution créative telle que je la défend créerait une source de revenus supplémentaire largement supérieure. []

Classé dans:Penser le droit d'auteur autrement ... Tagged: échanges non-marchands, livres numériques, partage, Philippe aigrain, piratage, publie.net, team alexandriz

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