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Le paradis, c'est les autres !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 16/03/2020

En même temps que cette ardente obligation du confinement à venir, la troublante sensation d'une méprise dans le passé. Quelque chose m'est déjà advenu qui va compter dorénavant.

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Très discipliné, je vais me plier à la remarquable et précautionneuse organisation qu'a mise en place Sud Radio. Ainsi qu'au confinement social et tellement nécessaire que probablement le président de la République va nous annoncer ce soir du 16 mars.

Sans l'ombre d'une hésitation. Tant j'éprouve une sorte de volupté civique à respecter ce que trop de Français batifolant au soleil ont au contraire transgressé durant le dimanche 15 mars.

Mais l'essentiel, pour moi, n'est pas là. Navré de m'abandonner à un narcissisme au prétexte d'un examen de conscience: je m'observe et ne me reconnais pas.

Moi qui me suis tellement vanté, durant mes quarante années de magistrature et dans la suite, d'avoir trop bien cultivé l'art de déplaire, d'être presque fier d'éprouver du malaise dans la vie collective, effarouché face au pluriel, obsédé par mon souci de discriminer et de choisir lucidement les quelques élus que mon tempérament sauvage pourrait aimer et supporter, je me sens, avec cette perspective du confinement et de cette solitude, aussi délicieusement conjugale qu'elle soit, tout drôle.

Comme si les autres, soudain, allaient me manquer et que contrairement à ce que Jean-Paul Sartre prête à l'un de ses personnages dans Huis clos, l'enfer ce n'est pas les autres mais l'interdiction d'autrui.

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Savoir que tout à coup je vais être privé de visages chers et amicaux, du regard de ceux qui chaque soir, avant même nos mots, me parlaient et m'écoutaient, de l'attention et de la contradiction directes et immédiates des "piliers" des Vraies Voix, m'est comme une sorte de crève-coeur, crève-esprit.

Sans complaisance ni flatterie.

On a beau dire, ce n'est pas la même chose de participer à une émission de deux heures de chez soi et au téléphone, de répliquer à distance, de contester dans le confort de l'éloignement, de ne pas être dans un face-à-face pour proférer le meilleur ou le pire, la banalité ou la provocation. On ne pourra plus remarquer ce qui se déroule sur le visage ou dans le regard de son collègue qui était devenu si proche, ni jouir de l'impalpable et miraculeux bonheur d'un compagnonnage qui était quasiment devenu comme une seconde existence.

Ainsi cette humanité dont je me méfiais, qui m'intimidait et dont je prétendais pouvoir me passer quand je ne l'avais pas soigneusement sélectionnée, elle est près de m'inspirer de la nostalgie. Cet homme, cette femme qui marche à une distance respectable, je ressens presque de l'émotion à appartenir à ce qu'ils représentent, à ce qu'ils sont.

Me suis-je toujours trompé ? Le paradis ce serait donc les autres. Ce serait alors un leurre que de goûter cette allégresse de n'avoir que soi pour interlocuteur, dans ces débats intimes si faciles mais parfois si mélancoliques qui vous font "veiller tard" ?

En même temps que cette ardente obligation du confinement à venir, la troublante sensation d'une méprise dans le passé.

Quelque chose m'est déjà advenu qui va compter dorénavant.


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