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Une directive européenne pour réutiliser le matériel culturel public

Paralipomènes - Michèle Battisti, 5/10/2013

Article écrit pour le dossier « De quels droits ? Ar(abes)ques, n° 72, octobre-novembre-décembre 2013. Revue publiée sous licence CC BY-ND 2.0 Mettre « les collections de notre patrimoine culturel et les données qui y sont associées »  à la disposition de tiers, tel est l’enjeu d’une

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Article écrit pour le dossier « De quels droits ? Ar(abes)ques, n° 72, octobre-novembre-Enluminure_Drogondécembre 2013. Revue publiée sous licence CC BY-ND 2.0

Mettre « les collections de notre patrimoine culturel et les données qui y sont associées »  à la disposition de tiers, tel est l’enjeu d’une directive européenne du 26 juin 2013 [1].

Ce texte modifie plusieurs dispositions d’une directive qui, depuis 2003, encadre la réutilisation des informations du secteur public dans les États membres de l’Union européenne en étendant son périmètre « aux bibliothèques, y compris aux bibliothèques universitaires, aux musées et aux archives ».

La fin d’une exception culturelle ?

Puisque la directive de 2003 [2] laissait à chaque État le soin de définir les dispositions à leur appliquer, en France, une ordonnance de 2005 [3] autorise les établissements culturels ainsi que les établissements d’enseignement et de recherche à fixer les conditions de la mise à disposition des documents qu’ils détiennent ou produisent. Échappent totalement à ce régime les établissements chargés d’une mission de service public à caractère industriel ou commercial (EPIC).

Mais la Commission européenne [4] souhaitait attraire les établissements culturels dans le champ de la directive. Sans surprise, elle voulait harmoniser davantage des règles qui, trop différentes dans chaque pays [5], créent des obstacles à une circulation transfrontalière de documents estimés avoir un fort potentiel économique et, à l’heure du Big Data et de l’Open Data, créer des conditions favorables à des opportunités nouvelles.

Mais, point important, restent toujours écartés du champ de la nouvelle directive les documents sur lesquels des tiers détiennent des droits d’auteur, ceux qui contiennent des données confidentielles [6] ou dont l’accès est limité, selon les règles en vigueur dans chaque pays de l’Union, à ceux – personnes ou entreprises – qui « justifieront d’un intérêt particulier ». Quant aux documents contenant des données à caractère personnel, ils sont soumis à la législation nationale appliquée à cette question soit, en France, à la loi Informatique et libertés.

Des modifications radicales ?

Les établissements d’enseignement et de recherche échappent toujours à la directive de 2013. Une distinction avec les bibliothèques de ces mêmes établissements serait-elle donc facile à établir ?  Échappent aussi à ce régime les établissements culturels eux-mêmes ainsi que les bibliothèques et les archives des orchestres, des opéras, des ballets et des théâtres, ces derniers « en raison de leur spécificités de spectacle vivant » puisque « la quasi-totalité du matériel en leur possession fait l’objet de droits de propriété intellectuelle détenus par des tiers ». Mais ne visait-on pas  les œuvres du domaine public ainsi que les métadonnées associées ? Ces ressources y seraient-elles si rares ?

Ce sont la plupart des bibliothèques, des musées et des archives qui ne bénéficieront plus en France du régime dérogatoire accordé précédemment. Entrer dans le champ de la réutilisation des informations publiques, pour les établissements concernés, signifie une mise à disposition gratuite des documents qu’ils produisent ou détiennent, même pour des fins commerciales.

Quoique …  Selon la directive, non seulement ces établissements peuvent prévoir des licences pour couvrir les coûts marginaux de la mise à disposition des documents mais, pour « ne pas entraver le bon fonctionnement normal des organismes ceux qui doivent générer de recettes », ils peuvent imposer des redevances supérieures aux coûts marginaux, un cas prévu aussi dans la directive de 2003 qui évoquait « les besoins d’autofinancement ». Bien plus, « compte tenu de leurs particularités », ils peuvent adopter « les prix appliqués par le secteur privé pour la réutilisation des documents identiques ou semblables ».

Quant aux contrats d’exclusivité, leur bien-fondé est toujours reconnu, mais ils n’excéderaient pas une durée de 10 ans, sauf si un examen du contexte devait en décider autrement. On a adapté ici les dispositions de la directive de 2003 pour les rendre applicables aux données culturelles et prévu des mesures transitoires pour « prendre les dispositions qui conviennent ».

Une liberté conditionnelle

On place certaines bibliothèques, services d’archives et musées dans le régime commun tout en prévoyant des dérogations importantes. Il est vrai que l’on a précisé qu’il restait possible d’adopter des redevances inférieures aux coûts marginaux, voire même ne pas en exiger. En considérant  l’esprit du texte, on s’en doutait.

Il appartient aussi aux États membres de définir les critères de fixation des redevances supérieures aux coûts marginaux qui doivent être « objectifs transparents et vérifiables » permettant un « retour sur investissement raisonnable ». S’il fallait y trouver un élément nouveau, puisque nouveauté il y a, l’obligation de générer des recettes qui peut être imposée à des organismes publics doit faire l’objet d’un réexamen régulier par les États membres. Ce sont des organismes « appropriés » à qui cette charge sera confiée.

Le texte, malgré les apparences, est plus coercitif que le précédent. L’Europe avance à petit pas mais inexorablement. Les établissements culturels et d’enseignement feraient-il l’objet de la prochaine étape ?  En France, le Conseil national du numérique souhaitait déjà élargir le champ de la  directive à certains jeux de données des EPIC et aux établissements culturels. Mais la directive n’encourage-t-elle pas les États à favoriser le libre accès et ne définit-elle pas des dispositions minimales que chaque État est libre d’élargir ? Ne  conviendrait-il pas de ne plus raisonner en type d’établissements mais en documents dont certains éléments seulement (données personnelles, secret, propriété intellectuelle, etc.) seraient protégés [7] ?

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Œuvres ou données ?  Si les données ne sont pas protégées par le droit d’auteur, les bases  de données peuvent l’être lorsque le choix des données et/ou leur structure est « original ». Le droit sui generis accordé au producteur qui prouve avoir investi de manière « substantielle » pour les constituer (en excluant les frais liés à l’obtention de la donnée elle-même) lui permet de s’opposer à toute extraction « substantielle » de celles-ci.

Le droit européen des bases de données représenterait un obstacle à la réutilisation des données. La Commission européenne qui avait constaté que l’impact économique et juridique de ce droit ne répondait pas à ses attentes avait songé à abroger ou modifier le texte. Mais la tâche était trop complexe [8].

Les œuvres « originales » sont protégées par le droit d’auteur. Pour les œuvres dont la durée des droits a expiré, seul le respect de droits moraux s’impose, ce qui, pour la directive de 2013 ne semble pas représenter un obstacle à leur réutilisation. Aucun droit patrimonial ne peut être revendiqué pour des œuvres « tombées dans le domaine public » que l’on s’est borné à numériser et on peut considérer qu’on a tenu compte du  droit moral lorsque la paternité de l’œuvre est indiquée et apprécier le respect de l’« intégrité » de l’œuvre dans un sens restrictif (voir ci-après).

Le droit d’auteur des agents publics. En France, ils ne cèdent leurs droits que pour les œuvres créées dans le cadre de leur mission de service public ou d’après les instructions reçues. Mais certains agents (enseignants, chercheurs et conservateurs de musées, notamment) gardent leurs droits. Par ailleurs, même créées dans leur cadre de leur mission, les agents publics devraient [9] être au moins « intéressés » par l’exploitation de leurs œuvres. Si les droits moraux feraient échapper les œuvres à la qualification d’information, le respect ici est limité à la mention de paternité et  à la non-atteinte à l’honneur de l’auteur. Toutefois le régime français des agents publics n’est pas adapté à une réutilisation autre qu’une mission de service public alors que la directive s’applique aux documents dont la fourniture est une activité qui relève des missions de service public. N’y aurait-il pas un hiatus à combler ?

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Non publié dans l’article d’Ar(abes)ques (faute d’espace suffisant)

À propos des données personnelles

Focus sur les archives départementales [1]. Pour réutiliser des documents contenant des données à caractère personnel, l’ordonnance de 2005 spécifie que leur usage est « subordonné au respect de la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés » [2] et impose qu’à défaut d’une disposition législative ou réglementaire le permettant, il faille obtenir le consentement des personnes concernées ou anonymiser  les informations.

La Commission nationale Informatique et libertés (Cnil) a défini des règles [3] pour les données mises en ligne par les services archives eux-mêmes. Mais les archives départementales ne peuvent pas s’opposer à la réutilisation de leurs registres d’état-civil en s’appuyant sur l’existence de données personnelles et, si elles ont la liberté d’imposer des licences, celles-ci ne doivent pas être discriminatoires [4].

Un paysage flou. Le tribunal administratif de Poitiers s’était appuyé sur le droit du producteur de base de données pour donner raison aux archives départementales de la Vienne, neutralisant ainsi la loi sur la réutilisation des informations publiques, un changement d’angle rendu possible par l’enchevêtrement de lois (archives, Informatique et libertés, accès et réutilisation des informations publiques, propriété intellectuelle) applicables aux documents qu’elles détiennent. Un jeu de lois appelé à évoluer, une jurisprudence non fixée, des règlements fixés par la collectivité territoriale dont dépend un service d’archives, voilà le paysage actuel offert aux réutilisateurs de ces données.

Un souci de cohérence. Une Cnil qui va au-delà des règles imposée par la loi sur les archives (durées d’embargo, indexation)6, des licences à géométrie variable [5] alors qu’il serait de « la responsabilité de l’Etat et des collectivités territoriales de rechercher des consensus et d’harmoniser autant que possible les licences » 6].


[1] Les archives : des données publiques [pas] comme les autres, Bruno Texier, Archimag, n°263, avril 2013.

[2] Cette loi qui date de 1978 a transposé en 2004 les dispositions de la directive européenne de 1995 relative aux traitements des données  à caractère personnel. Elle reprendra à l’identique les dispositions d’un règlement européen en cours de discussion.

[3] Archives publiques sur Internet : quelles sont les données personnelles concernées ? CNIL , 15 mai 2012

[4] Tribunal administratif de Clermont-Ferrand, le 13 juillet 2011 et Cour administrative d’appel de Lyon, le 4 juillet 2012.

[5] Tout accès et même toute réutilisation à des fins non commerciales devrait être  gratuite. Les licences trop coûteuses sont à éviter, celles-ci ayant des effets pervers car créant des barrières à l’entrée trop élevées.

[6] Avis n°12 du Conseil national du numérique relatif à l’ouverture des données publiques (« Open Data »), 5 juin 2012

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Illustration. Enluminure. Sacramentaire de Drogon. Wikimédia Commons. Domaine public 

Notes (article publié sur Ar(abes)ques)


[1] Directive 2013/37/UE du 26 juin 2013 modifiant la directive 2003/98/CE concernant la réutilisation des informations du secteur public.

[2] La directive de 2003 ne s’applique pas  « aux documents détenus par des établissements d’enseignement et de recherche, et notamment par des écoles, des universités, des archives, des bibliothèques, des instituts de recherche, y compris, le cas échéant, des organisations créées pour le transfert des résultats de la recherche ni aux documents détenus par des établissements culturels, et notamment par des musées, des bibliothèques, des archives, des orchestres, des opéras, des ballets et des théâtres ».

[3] Ordonnance 2005-650 du 6 juin 2995 et décret n° 2005-1755 du 30/12/2005 relative à la liberté d’accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques, pris pour l’application de la loi n° 1978-753 du 17/7/1978.

[4] Depuis une revendication d’Ancestry ? Ce serait caricatural. Suite, sans doute, à la consultation publique organisée en 2010 par la Commission européenne sur la révision de la directive de 2003

[5] Open Data sur le site de la Commission européenne 

[6] [Certaines] données statistiques, les secrets d’affaire, professionnels ou d’entreprise.

[7] Pour des indications sur les démarches à adopter Ibid 12  et « L’Open Data en France. Rapport Open Glam : recommandations pour l’ouverture des données et des contenus culturels, 2012

[8] La Commission européenne publie son évaluation de la directive « base de données »,  P. Van den Bulk et E. Wery, Droit & Technologies, 13 mars 2006

[9] Le décret donnant des précisions n’a pas paru.


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