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Le bonheur du contrôle

Justice au Singulier - philippe.bilger, 17/02/2015

Mais j'ose à peine le dire : pour la sécurité de tous, je serais prêt à concéder un peu de ma liberté superficielle. La profonde me resterait.

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Par ce titre, je ne veux pas évoquer ces moments d'effervescence festive où, face au débridement général et souvent alcoolisé, de rares esprits demeurent lucides, heureux de conserver leur maîtrise, au risque d'un décalage entre eux et tous les autres.

Mais cette société du contrôle à laquelle le plan Vigipirate dans sa plénitude nous habitue quotidiennement.

J'entends bien que depuis le mois de janvier elle est justifiée par les assassinats qui ont endeuillé Paris et la France et pour prévenir le retour meurtrier du terrorisme et à ce titre je crois que quasiment toute la communauté nationale y adhère et l'accepte.

Pour ma part, même dans les temps calmes, je n'ai jamais éprouvé la moindre difficulté à me soumettre à ce que l'autorité publique impose, à ce que l'état de droit implique et aux mille contraintes d'une organisation collective. J'irais jusqu'à avouer qu'il y a, pour l'honnête citoyen, un bonheur du contrôle - la satisfaction de se voir légitimé dans son comportement irréprochable et de constater qu'il en est d'autres, défaillants, qui n'échappent pas au couperet.

Combien de fois me suis-je senti à la fois indigné et passif, dans le métro, quand devant des guichetiers coincés et impassibles n'interpellant même pas par la voix, des fraudeurs, au su et au vu de tous, sautaient décontractés par-dessus les composteurs automatiques ! Cette indifférence était blessante, comme la désinvolture des contrevenants. La première ne tentait même pas un embryon de réaction et la seconde profitait d'une société qui, en ces lieux, présumait à tort l'honnêteté de tous.

Récemment, à République, lors d'un changement dans un long couloir, un contrôle était effectué par plusieurs fonctionnaires de police et, si moi-même j'ai pu passer mon chemin, j'aurais été presque désireux d'être arrêté pour un double motif.

D'une part, j'aime cette idée d'une équité au moins apparente des forces de sécurité et d'autre part ces jeunes gens africains n'auraient pas été seuls, en l'occurrence, à être questionnés.

Ces épisodes vont beaucoup plus loin que la constatation qu'ici ou là il y a des contrôles. C'est le rapport à ceux-ci qui est éclairant. Il y a pour le moins, dans notre pays, une tradition classique, conservatrice et une approche libertaire.

Pour la première, qui est la mienne, dès lors qu'elle est mise en oeuvre avec la courtoisie républicaine qui sied, celui qui est en règle a sa faveur, son assentiment. Sa sympathie va plus volontiers vers une normalité respectueuse et tranquille que vers la provocation transgressive. Elle aspire à être unie, solidaire avec la majorité silencieuse que la loi n'intimide pas mais rassure. Elle n'a pas besoin de coups d'audace, d'instants de folie extériorisés, préférant, si elle veut en être irriguée, ses territoires intimes.

Le seconde au contraire n'admirera que l'exception, la dérogation en honnissant le totalitarisme de la règle. L'infime qui sortira des sentiers battus recueillera son aval et elle aura toujours plus de dilection pour le voleur que pour le propriétaire, pour paraphraser une ancienne, célèbre et scandaleuse harangue d'Oswald Baudot, membre du Syndicat de la magistrature.

Ce bonheur du contrôle, cette allégresse civique à ne devoir rien craindre de ceux qui assurent notre sécurité et veillent sur notre tranquillité publique font que ma conception de l'état de droit se tourne principalement vers la multitude qu'il devrait protéger plus que vers la minorité des délinquants et des criminels à laquelle il offre exclusivement ses garanties.

Ce n'est pas que j'aspire à une société qui nous mettrait sans cesse à rude épreuve. Avec une sorte de sadisme qui n'aurait pour ambition que de vérifier en permanence notre moralité, notre insertion et notre comportement.

Mais j'ose à peine le dire : pour la sécurité de tous, je serais prêt à concéder un peu de ma liberté superficielle.

La profonde me resterait.


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