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Et si une directive européenne permettait de financer la numérisation du domaine public ?

:: S.I.Lex :: - Lionel Maurel (Calimaq), 3/12/2013

Lorsque l’on parle du domaine public et en particulier de sa numérisation, une des questions les plus épineuses concerne le financement de ces opérations, très onéreuses, et de leur durabilité dans le temps. Lors de l’affaire des accords de numérisation … Lire la suite

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Lorsque l’on parle du domaine public et en particulier de sa numérisation, une des questions les plus épineuses concerne le financement de ces opérations, très onéreuses, et de leur durabilité dans le temps. Lors de l’affaire des accords de numérisation conclus par la BnF avec des sociétés privées, ce fut un des points majeurs du débat et ceux qui ont soutenu ces partenariats public-privé avançaient que sans cet apport de fonds par des sociétés, les oeuvres du domaine public ne pourraient pas être numérisées ou seulement très lentement. C’est ce qui a conduit certains à accepter les exclusivités de 10 ans conférées aux partenaires de l’établissement en échange de leurs investissements, alors que nous les avons combattus de notre côté au nom de la préservation de l’intégrité du domaine public.

Money. Par Adrian Serghie. CC-BY-NC-SA. Source : Flickr.

En ces temps de disette budgétaire, les établissements culturels sont soumis à des restrictions budgétaires ou à l’obligation de dégager des ressources propres et ce contexte fait du domaine public une victime collatérale de la situation de crise dans laquelle nous nous trouvons. Mais une proposition, venue de l’Union européenne, est peut-être susceptible d’apporter une solution de financement pérenne pour la numérisation du patrimoine. En effet, une directive européenne sur la gestion collective des droits est actuellement en cours d’élaboration et elle prévoit visiblement d’utiliser une partie des sommes collectées par les sociétés de gestion collective (SACEM, SACD, SCAM, Adami, SPEDIDAM etc) pour financer la numérisation en bibliothèque.

Vous avez dit "irrépartissables" ?

L’article L. 321.9 du Code de Propriété Intellectuelle définit ces "irrépartissables" comme étant des sommes "qui n’ont pu être réparties soit en application des conventions internationales auxquelles la France est partie, soit parce que leurs destinataires n’ont pas pu être identifiés ou retrouvés".

La SACEM les présente de son côté de cette manière :

Ce qu’on appelle de manière impropre « irrépartissables » désigne les droits d’auteur qui n’ont pu encore être payés, les données d’exploitation remises par les utilisateurs ne permettant pas d’identifier les œuvres exploitées et donc leurs ayants-droit. Il s’agit le plus souvent d’une erreur (ex : nom de l’interprète au lieu du compositeur ou de l’auteur, faute d’orthographe dans la rédaction…), voire d’informations lacunaires provenant des exploitants. Il se peut également que l’œuvre n’ait pas encore été déposée par les créateurs ou, s’agissant d’une œuvre étrangère, que les documents permettant son identification ne soient pas encore parvenus à la Sacem.

Ces irrépartissables peuvent atteindre des montants non négligeables (plusieurs dizaines de millions d’euros par an) et le rapport annuel 2012 de la Commission permanente de contrôle des SPRD en parle à plusieurs reprises. En vertu de l’article L. 321.9 cité ci-dessus, elles sont conservées pendant un certain laps de temps par les sociétés de gestion collective, après quoi elles sont employées pour financer des "actions culturelles". Mais leur attribution fait couler beaucoup d’encre, au point que certains, comme Guillaume Champeau, parlent à leur sujet de "piratage légal" :

Ce sont des sommes dites "irrépartissables". Du piratage légal. Parce que les sociétés de gestion ne connaissent/cherchent pas l’adresse de leur destinataire, ces sommes ne sont pas versées. On ne connaît pas leur montant, mais les consommateurs les payent, directement, ou indirectement, pour rémunérer les auteurs et les artistes-interprètes lorsque leurs chansons sont diffusées.

Les actions culturelles financées en partie par le biais de ces irrépartissables (le reste provenant des 25% de la copie privée) font l’objet de critiques régulières, dans la mesure où elles peuvent servir de manière détournée à faire pression sur des élus. En Belgique, la gestion de ces irrépartissables (plus de 8 millions par an) par la SABAM a soulevé des débats, au point de terminer par un procès. Autant dire que ce sujet des irrépartissables constitue une question sensible…

Une ouverture dans la directive européenne sur la gestion collective

Or en lisant cet article, paru il y a quelques jours sur le site de l’ADBS, on se rend compte que la nouvelle directive sur la gestion collective envisage que ces sommes puissent être utilisées pour la numérisation des oeuvres par les bibliothèques :

Soutenir le projet de directive européenne sur les sociétés de gestion collective dont une version amendée (mais non encore rendue publique) prévoit au paragraphe 12.6 que les irrépartissables (sommes collectées par les sociétés de gestion collective ne pouvant pas être reversées) puissent être aussi consacrés à la numérisation des œuvres par des bibliothèques. Selon des sources sûres, ce nouveau paragraphe donne aux États membres le droit d’utiliser l’argent non distribué « pour financer des projets sociaux, culturels ou éducatifs ». Un lobbying intense s’impose donc au niveau national pour que l’État utilise ce droit pour financer aussi des projets de numérisation de collections de bibliothèques.

L’information vient d’EBLIDA, le bureau chargé de faire du lobbying au niveau européen pour les professionnels de l’information.

Il est certain qu’une telle formule changerait profondément la donne. En France, une partie de la numérisation est déjà financée grâce à des crédits versés par des sociétés de gestion collective. C’est le cas pour la numérisation de masse du domaine public à la BnF, financée  via le Centre National du Livre (CNL) par le reversement de sommes collectées au titre de la copie privée (6 millions par an). Mais ces financements restent insuffisants pour couvrir les besoins de la seule BnF (d’où le recours aux contestables partenariats public-privé), et ne parlons pas des autres établissements culturels français (bibliothèques, archives, musées). Par ailleurs, ces financements du CNL pour la numérisation du domaine public semblent aujourd’hui dangereusement menacés par le programme de numérisation des indisponibles dans le cadre du projet ReLIRE, qui pourraient finir par les absorber.

Le recours aux irrépartissables des sociétés de gestion collective (SACEM, SACD, SCAM et autres) permettraient à la fois de trouver une source de financement plus large, déchargeant le budget de l’État, mais aussi d’éviter le recours à des formules qui portent atteintes au domaine public. On pense bien sûr à ces fameux partenariats public-privé, qui constituent de véritables pièges en raison des exclusivités conférées aux sociétés privées qui apportent des fonds.

On pense aussi à une autre solution, proposée par Pascal Rogard de la SACD, à savoir le domaine public payant, qui consisterait instaurer une sorte de taxe sur l’usage commercial du domaine public pour financer la restauration et la numérisation des collections. Une telle mesure serait en réalité catastrophique, car elle reviendrait à une négation pure et simple du domaine public.

Une occasion à saisir en France 

Les informations rapportées par EBLIDA indiquent que les choses risquent de se jouer en deux temps, d’abord au niveau européen pour que cette possibilité soit inscrite dans la directive, mais aussi au niveau français : "Un lobbying intense s’impose donc au niveau national pour que l’État utilise ce droit pour financer aussi des projets de numérisation de collections de bibliothèques."

Or on nous annonce pour l’année prochaine l’introduction de lois sur la création et sur le patrimoine, qui constituent deux occasions en or d’entériner cette possibilité de recours aux irrépartissables pour qu’elle devienne une réalité en France. Une loi a récemment été déposée par la députée Isabelle Attard "visant à consacrer le domaine public, à élargir son périmètre et à garantir son intégrité". Elle pourrait être complétée par un volet financier reprenant cette proposition.

En tous cas, cette idée constitue une chance inespérée d’accélérer la numérisation du domaine public, tout en évitant que de nouvelles couches de droits soient recréées à cette occasion. Il s’agira de ne surtout pas laisser passer cette occasion.


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