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La France de Sézanne, le Paris de Taubira

Justice au singulier - philippe.bilger, 2/12/2013

Je suis fier, puisqu'en définitive il faut choisir réflexion faite et France comprise, d'être plutôt symboliquement un habitant de Sézanne qu'un "singe français" (JDD).

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Je sais : c'est du populisme.

J'entends : c'est démagogique.

J'en frémis : c'est moquer les grandes messes morales et pactiser avec les affres et la dureté du réel.

J'ai honte : je ne suis pas assez friand de l'humanisme abstrait, élégant et confortable mais trop tenté par la compassion et la compréhension à l'égard de quotidiennetés pour lesquelles le souci principal n'est pas de combattre le racisme mais de lutter parfois pour leur vie.

Mais je persiste : au risque de continuer à susciter l'étonnement ou même l'indignation - Twitter m'en apprend beaucoup sur le sommaire qu'induit l'emploi de 140 signes -, j'oppose, en effet, le Paris de Taubira à la France de Sézanne. Ou à celle de Nice il y a quelques semaines.

Que signifient, après trois attaques ponctuelles, odieusement racistes, à l'encontre de Christiane Taubira immédiatement soutenue et confortée par un émoi général et réprobateur, ces manifestations du 27 novembre, du 30 novembre et, demain, du 2 décembre au Théâtre du Rond-Point - en effet, c'est de la représentation ! - en présence de la compagne du président de la République ? L'incandescence haineuse avait été vite et légitimement éteinte : il fallait la ranimer.

Quitte à faire nombre, j'aurais préféré que Valérie Trierweiler, dans un arbitrage pourtant facile à opérer, soit venue s'unir à la population de Sézanne. Elle aurait été blâmée par Le Monde et Libération mais quel exemple, quelle sollicitude emblématique !

Dans cette petite ville, un joaillier, en état de légitime défense d'après ce que les informations recueillies et les appréciations même réservées du procureur laissent penser, a été contraint de tuer un malfaiteur menaçant. Le commerçant, qui était avec son épouse, a d'abord eu une empoignade avec le braqueur que deux complices apparemment attendaient à l'extérieur, selon la confidence recueillie par les pompiers : "On était trois, on venait du 94..." Ils sont activement recherchés (Le Parisien, Le Monde, Le Figaro).

Me Dupond-Moretti, qui est aux côtés de ce commerçant effondré et heureusement laissé en liberté avant un probable statut de témoin assisté, a beau rappeler que ni son client ni lui ne sont des militants (TF1) et que la justice seule, et non la rue ou les médias, aura à déterminer s'il y a légitime défense, je ne peux m'empêcher de faire valoir l'ironie judiciaire du sort, qui fait qu'aujourd'hui ce grand avocat soutient la cause d'une victime de l'un de ces criminels qu'il assistera demain avec un talent unanimement reconnu.

Par ailleurs, la tragédie de Sézanne fait réfléchir bien au-delà d'elle-même et inquiète sur le passé, sur le présent et sur l'avenir.

La joaillerie d'Eric Bey avait déjà été attaquée à quatre reprises, dont le 10 août. Une habitante de la région déclare que "les cambriolages se multiplient ici, moi ça fait trois fois en un an et demi".

Le malfaiteur mortellement atteint était âgé de 36 ans et avait déjà été condamné pour des vols à main armée en région parisienne. Deux fois sanctionné par une cour d'assises, il avait été placé en libération conditionnelle en 2010 et se trouvait délié de toute obligation depuis 2012. Selon son excellent et fiable conseil, Me Gérard Zbili, il souffrait de troubles psychiatriques.

Si on résume brutalement le tableau que cet épisode criminel permet de dessiner, le constat est simple.

Pour le passé, une exécution des peines défaillante.

Pour le présent, une insécurité répétée et insupportable conduisant les citoyens à retirer leur confiance à l'Etat et aux institutions censées les protéger, pour ne plus compter que sur eux-mêmes avec le risque prévisible d'effets meurtriers et dévastateurs.

Un avenir dont les perspectives sont évidemment très alarmistes avec un embryon de politique pénale - peine de probation ou contrainte pénale ! - en décalage total par rapport à l'immensité des actions judiciaire et pénitentiaire qu'appellerait la situation de notre pays.

Je réitère : ce qui résulte de l'enseignement de Sézanne est bien plus une honte pour notre démocratie que l'effervescence malfaisante si singulière et si vite dissipée ayant touché Christiane Taubira.

Je suis fier, puisqu'en définitive il faut choisir réflexion faite et France comprise, d'être plutôt symboliquement un habitant de Sézanne qu'un "singe français" (JDD).


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