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De la copie privée en bibliothèque

Paralipomènes - Michèle Battisti, 8/07/2012

Pour ou contre la copy-party ? Des arguments sont présentés dans le n°2/2012 de la revue Documentaliste-Sciences de l’information,  dans un article scindé en deux parties :  Légale, la Copy Party ! par Lionel Maurel, auteur du blog S.I.Lex La Copy Party, séduisante mais dangereuse, par Michèle Battisti Comme l’indique l’introduction de cet article, reproduit [...]

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Pour ou contre la copy-party ? Des arguments sont présentés dans le n°2/2012 de la revue Documentaliste-Sciences de l’informationdans un article scindé en deux parties : 

  • Légale, la Copy Party ! par Lionel Maurel, auteur du blog S.I.Lex
  • La Copy Party, séduisante mais dangereuse, par Michèle Battisti

Comme l’indique l’introduction de cet article, reproduit ci-dessous, j’avais l’idée, à l’époque, soit en avril 2012, qu’en détaillant ainsi tous les arguments en faveur ou en défaveur de la copie en bibliothèque, vue sous l’angle juridique, la réflexion serait lancée pour trouver une solution qui soit consensuelle.


DE LA COPIE PRIVÉE EN BIBLIOTHÈQUE

 

En ce début d’année 2012, la Copy Party, invitation à se retrouver dans une bibliothèque pour réaliser des copies à usage personnel avec son propre matériel de reproduction, donne l’opportunité de (ré)examiner la notion de copie privée. 

Afin de s’assurer que la copie privée ne couvre pas des actes de piratage en ligne, la loi du 20 décembre 2011 [1] précise que les reproductions doivent être effectuées à partir de « sources licites ». Puisque les documents consultés ou empruntés en bibliothèques répondent à ce critère, pourquoi ne pas utiliser cette disposition pour reconnaître au public le droit de réaliser des copies privées en bibliothèque, tout en respectant les autres conditions (effectuer les reproductions avec un matériel dont on est propriétaire et réserver les copies à son usage personnel)

L’idée a été ainsi lancée d’organiser des évènements proposant au public de se rendre dans des bibliothèques munis de leurs propres téléphones, appareils photos, graveurs ou scanners pour copier des documents sélectionnés par des bibliothécaires : la Copy Party était née ![2]

La Copy Party n’ayant pas laissé indifférent, cet article présente les grandes lignes des fondements juridiques sur lequel elle s’est appuyée. On peut s’interroger aussi sur l’impact économique des Copy Party lorsqu’elles ne sont compensées financièrement que par la redevance pour copie privée versée par le public ? Voici deux avis, divergents de prime abord, se recoupant toutefois dans le souci de trouver une solution équilibrée à la copie privée.

Légale, la Copy Party !

La loi ne dit pas que le copiste doit être propriétaire du support à partir duquel la copie est réalisée. Du reste, dans la loi du 20 décembre 2011, le législateur a choisi de retenir la notion de source licite, un choix à prendre en considération par un juge en cas de litige.

Par ailleurs, les copies réalisées au cours d’une Copy Party ne revêtent pas un caractère collectif. La mise à disposition des documents en bibliothèque n’est ni une reproduction, ni une représentation, et les copies sont faites à des fins privées avec les moyens de reproduction du public.

Mais la copie privée en bibliothèque passerait-elle avec succès le test des trois étapes imposant aux exceptions au droit d’auteur de « ne pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur » ?

Dans son célèbre arrêt « Mulholland Drive », la Cour de Cassation [3] avait utilisé ce test pour limiter la portée de la copie privée, en prenant en compte l’impact potentiel des reproductions numériques sur l’exploitation normale des œuvres.

L’interprétation retenue par la Cour de Cassation en 2006 n’est pas la seule possible et toute une branche de la doctrine milite en faveur d’une interprétation équilibrée de ce test, plus ouverte et favorable aux usages. À une première déclaration de Munich, signée en 2008 par de nombreux spécialiste du droit d’auteur, une prise de position similaire a été prise, plus récemment, en 2012 [4].

Affirmer que la Copy Party n’est pas conforme au test des trois étapes, c’est donc reprendre à son compte une interprétation fermée du système. C’est aussi se substituer au juge, car rien ne dit que la Cour de cassation confirmerait sa position de 2006.

Le droit n’avance pas uniquement par le vote de nouveaux textes, mais aussi par des interprétations constructives. Si la Copy Party a soulevé des objections, c’est davantage pour des raisons politiques que juridiques. On peut penser qu’il est de bon ton d’entretenir d’excellentes relations avec les titulaires de droits plutôt que de chercher à défendre les usages mais, de grâce, ne confondons pas ces deux registres !

Lionel Maurel

La Copy Party séduisante mais dangereuse

En 1984, dans un autre arrêt célèbre [5], la Cour de Cassation affirmait que lorsque les copies étaient faites avec les moyens de reproduction appartenant à des tiers, l’exception au droit d’auteur pour copie privée ne pouvait pas être revendiquée. C’est ce qui a fondé la redevance due par les bibliothèques pour les copies faites par le public. L’arrivée des appareils de reproduction personnels changera-t-elle la règle ?

En achetant des livres ou des revues, les bibliothèques ne sont propriétaires que du support, ce qui ne leur donne aucun droit sur les copies successives qui en sont faites. Même non « destinées à un usage collectif », il y a bien un usage collectif d’un fonds [6], ce qui ne peut pas couvrir un usage privé. Il suffit d’évoquer les contrats proposés pour des usages numériques en bibliothèque, qui tous détaillent le nombre de copies faites par le public pour son propre usage et pour lesquelles les bibliothèques paient des droits, souvent appréhendés de manière globale certes.

Les éditeurs craignent pour leur modèle économique et les bibliothèques n’ont pas à s’en soucier. Mais, comme en 1984 lorsqu’il s’agissait de la redevance appliquée aux photocopieurs, la redevance pour copie privée, appliquée aux supports vierges, a de fortes chances d’être jugée insuffisante. Les éditeurs seraient incités à exiger des droits supplémentaires au moment de l’achat des livres et des revues, comme ils le font déjà pour le DVD.

Qu’on le veuille ou non, les droits versés par les bibliothèques sont des retours sur investissement pour les éditeurs. Avec la diminution progressive du droit de reprographie, les droits glisseront inéluctablement vers d’autres droits à acquitter, à moins d’appréhender, comme nous le souhaitons, la question du financement et de l’usage des œuvres de manière globale, conforme aux exigences du test des trois étapes, dans son interprétation nouvelle que nous privilégions pour mieux tenir compte des intérêts du public et de la société, en général, ce qui couvrirait aussi les usages privés en bibliothèque.

Le juridique est lié au modèle économique. Le nier est dangereux !

Michèle Battisti

 


[1] Loi n° 2011-1898 du 20 décembre 2011 relative à la rémunération pour copie privée. Légifrance

[3] Cour de Cassation. Arrêt n° 549 du 28 février 2006. Première chambre civile

[4] http://www.ip.mpg.de/shared/data/pdf/declaration_three_step_test_final_francais.pdf

[5] Rannou-graphie

[6] « La fourniture publique de moyens ne fonde-elle pas le refus de l’exception ? » M. Vivant, J.M. Bruguière. Droit d’auteur. Dalloz, 2001, p. 396


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