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Lubrizol : on nous cache tout, on nous dit rien !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 2/10/2019

Au regard de l'ensemble de ce tableau dans lequel la seule certitude indiscutable et compréhensible est le malaise des Rouennais, personne ne pourra se vanter. Aucune espérance de convaincre, aucune chance de rassurer, aucun espace pour une vérité écoutée, respectée. J'oubliais: l'Assemblée lance une mission d'information sur l'incendie de Lubrizol à Rouen. Un dernier recours contre l'implacable : on nous cache tout, on nous dit rien ? R

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Il y a la colère et les doutes des Rouennais à la suite de l'incendie de l'usine Lubrizol (Le Figaro).

Une fois qu'on a constaté cela et qu'il serait indécent de mettre en cause ceux qui respirent un air pollué, on a le droit cependant de s'interroger sur les processus délétères qui, à chaque catastrophe mortelle ou non, plongent la société française dans un émoi, une peur, une suspicion, une condamnation qui surviennent avant même qu'un commencement de preuve ait rendu légitimes ces états.

Au sujet de cet accident récent, je me demande comment un pouvoir empêtré pourra convaincre de sa bonne foi et des citoyens inquiets sortir de leur défiance. Je crains, pour dépasser cette affaire rouennaise, que nous soyons confrontés à un mécanisme irréversible qui révèle un mal-être collectif, une dégradation de la parole publique et, plus profondément, une France si troublée et peu assurée d'elle-même que n'importe quoi pourrait la projeter dans une effervescence quasiment révolutionnaire.

J'entends bien qu'il y a d'abord un fait avec ses multiples composants sur lesquels il est nécessaire d'enquêter et qu'il convient de vérifier.

Ensuite, il y a comme un salmigondis résultant d'un télescopage entre plusieurs phénomènes dont l'ampleur ne cesse de s'accroître.

J'ai évoqué la peur. Je ne m'en moque pas. Il y a une montée de celle-ci à cause d'un catastrophisme fondé, ou fabriqué. Dans leur vie personnelle comme dans leur univers professionnel, dans leur quotidienneté, les gens sont de plus en plus sensibles à ce qui menace vraiment ou non et aux dangers d'autant plus intimidants quand on les perçoit invisibles, diffus, malins. Les citoyens ne sont plus tranquilles et la sérénité les a fuis.

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Trop longtemps, sous toutes les latitudes politiques, les autorités publiques ont considéré que l'étouffement, le silence, la rétention constituaient les meilleures dispositions, les plus efficientes, pour couper court aux fantasmes populaires et/ou médiatiques. En réalité c'est la pire des méthodes et pour tenter d'écarter le poison du complotisme - tâche au demeurant difficile, voire désespérée -, l'Etat n'a qu'une solution qu'il répugne à mettre en oeuvre tant le secret est son élément et la transparence sa hantise : tout dire, révéler tout ce qu'on sait, offrir les lumières dont on dispose et ne pas laisser croire à des ombres qu'on garderait pour soi.

Enfin, on est presque fondé à s'apitoyer sur l'éprouvante communication d'un pouvoir qui n'est plus écouté par personne et qui, s'il est entendu, n'est pas cru. Par principe. Tout ce qui émane de lui ne peut être que suspect. La société instaure comme une règle la présomption de défiance à l'égard de l'Etat, l'obligation de méfiance à l'égard du président comme du gouvernement.

Avec cette hallucinante conséquence que sur chaque communication officielle, pour répondre de plus en plus, et de manière plus approfondie, au grief fondamental de dissimulation, vient se greffer un soupçon accru. Plus le pouvoir s'exprime, plus il est présumé malhonnête. Quand il se tait, il occulte. S'il parle, il trompe. Alternative dont il ne se sort pas.

Au milieu de ces tendances fortes, il y a les attitudes contrastées et contradictoires.

On souhaite des résultats immédiats et on se plaint qu'il n'y ait pas d'enquête fiable.

Le Gouvernement affirme qu'il ne sait pas tout et ce constat laisse penser le contraire.

On veut la vérité mais, si elle est indiscutable et peu accordée avec ses préjugés, on la récuse.

On exige des listes mais elles ne sont jamais assez complètes. On a besoin de douter.

On raffole des experts mais, quand ils sont compétents, on les rêverait vifs comme l'éclair et capables de dénicher, dans les pires désastres, l'étincelle initiale.

La parole publique est malheureusement et injustement discréditée mais, pour alourdir la charge, il y aura toujours des chefs de parti pour se poser en exemples et nous apprendre qu'eux, ils auraient su comment faire pour Lubrizol et alors de pourfendre "une gestion globalement catastrophique" !

Au regard de l'ensemble de ce tableau dans lequel la seule certitude indiscutable et compréhensible est le malaise des Rouennais, personne ne pourra se vanter. Aucune espérance de convaincre, aucune chance de rassurer, aucun espace pour une vérité écoutée, respectée.

J'oubliais: l'Assemblée lance une mission d'information sur l'incendie de Lubrizol à Rouen (Huffington Post).

Un dernier recours contre l'implacable : on nous cache tout, on nous dit rien ?


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