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Marc Machin, la routine et le miracle

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 17/12/2012

En septembre 2004, la cour d'assises des Hauts-de-Seine condamne à dix-huit ans de réclusion criminelle un jeune homme de 22 ans, Marc Machin, pour le meurtre d'une femme, Marie-Agnès Bedot, sous le pont de Neuilly. Deux jours ont suffi à … Continuer la lecture

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En septembre 2004, la cour d'assises des Hauts-de-Seine condamne à dix-huit ans de réclusion criminelle un jeune homme de 22 ans, Marc Machin, pour le meurtre d'une femme, Marie-Agnès Bedot, sous le pont de Neuilly. Deux jours ont suffi à la cour et aux jurés pour forger leur intime conviction.

Le casier judiciaire qui porte déjà mention d'une condamnation pour agression sexuelle, les certitudes d'une infirmière qui reconnaît formellement en lui l'homme qui l'a agressée verbalement le soir du meurtre tout près du lieu où la victime sera découverte, la solide réputation professionnelle du commissaire de police qui a déclenché ses aveux en garde à vue, l'attitude tantôt accablée, tantôt vociférante de l'accusé, tout cela pèse infiniment plus lourd que ses protestations d'innocence. Un an plus tard, devant la cour d'appel de Versailles, la peine est confirmée et alourdie de douze ans de sûreté sur les dix-huit ans prononcés.

Lundi 17 décembre, c'est un tout autre procès qui va s'ouvrir. Un de ces moments exceptionnels où, après une décision de révision de condamnation pénale, la justice affronte le glaçant mécanisme de l'erreur judiciaire. Car le meurtre d'Agnès Bedot a depuis trouvé son vrai coupable. Il s'appelle David Sagno et il a avoué en 2008 être aussi l'auteur du meurtre d'une autre femme, Maria-Judith Araujo, commis au même endroit six mois plus tard.

La précision des détails donnés sur les crimes lors de sa reddition spontanée dans un commissariat, son ADN retrouvé sur les victimes, jusque sous les ongles d'Agnès Bedot, ne laissent aucun doute sur sa culpabilité. En février 2012, David Sagno est condamné à trente ans de réclusion criminelle pour les deux meurtres.

Le livre consacré par la journaliste Valérie Mahaut à cette affaire - Une erreur judiciaire presque parfaite (Editions du Moment) - éclaire jour après jour les multiples rebondissements d'un feuilleton où la routine côtoie le miracle.

Témoin privilégiée de l'enquête qu'elle a suivie depuis ses premières heures - l'auteure est chargée de l'actualité judiciaire dans les Hauts-de-Seine pour Le Parisien - Valérie Mahaut ne cherche pas à réécrire l'histoire à la lumière de son épilogue. Tout l'intérêt de son récit est au contraire de montrer comment l'intime conviction des policiers, du juge d'instruction, puis de la cour et des jurés sur la culpabilité de Marc Machin s'est peu à peu construite et solidifiée, à cause de l'accusé lui-même, jusqu'à faire douter... son avocat. Au lendemain de la première condamnation de son client, dont il avait en vain soutenu l'innocence devant la cour d'assises, Me Louis Balling lui avait en effet conseillé de reconnaître les faits qui lui étaient reprochés s'il voulait espérer un verdict moins sévère en appel.

Les pages les plus passionnantes de ce livre sont sans doute celles consacrées à l'attitude des enquêteurs de la brigade criminelle après les aveux de David Sagno. On se retrouve plongé dans ces heures et ces jours où des policiers aguerris luttent contre l'effondrement de leurs certitudes et rechignent "à envisager l'inconcevable, l'inadmissible: leur faute et ses terribles conséquences". Autant les aveux de Marc Machin les avaient convaincus, autant ils mettent en doute la revendication de culpabilité de David Sagno.

Aux hésitations des policiers s'oppose la volonté de celui qui est alors procureur de la République à Nanterre, Philippe Courroye. Très vite, celui-ci pressent que la justice a failli : "le dossier de Marc Machin est fragile, celui de Sagno est solide", confie-t-il. L'enquête menée au pas de charge bouscule aussi les réticences de la chancellerie. Elle compte en effet parmi ses membres l'ancien substitut du parquet de Nanterre qui a signé le réquisitoire de renvoi de Marc Machin devant la cour d'assises pour le meurtre d'Agnès Bedot. Mais lorsque le résultat des expertises confirme que l'ADN de David Sagno a été retrouvé sur les vêtements et sous les ongles d'Agnès Bedot, policiers et magistrats doivent se rendre à l'évidence : l'homme qui a été condamné et qui est détenu depuis quatre ans n'est pas l'auteur du meurtre commis le 1er décembre 2001 au pont de Neuilly.

L'histoire connaîtra encore de multiples péripéties. L'hypothèse d'une complicité de Marc Machin est sérieusement envisagée, avant d'être écartée par l'enquête. Dès lors, plus rien ne pouvait s'opposer à la révision de sa condamnation pénale.

Si, comme il l'espère, son acquittement est définitivement prononcé par la cour d'assises des Hauts-de-Seine, Marc Machin demandera encore une chose à la justice : le droit de ne plus porter son nom.


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