Actions sur le document

Quelques leçons modestes de l'horreur...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 27/06/2015

Mais, au fond, peu importe. Remisons nos partialités et notre incoercible besoin de dispute. Aujourd'hui, la gauche socialiste est en première ligne. Acceptons de la soutenir pour ce qu'elle a, contre l'horreur, de meilleur Demain, on sera heureux qu'elle fasse preuve de cette disposition civique et de cette bienveillance démocratique à l'égard du pouvoir qui lui succédera.

Lire l'article...

D'abord, l'horreur. En France et en Tunisie.

Ici la décapitation épouvantable d'un homme à Saint-Quentin-Fallavier. Là un massacre à la chaîne à Sousse (Le Figaro, lepoint.fr, Le Monde).

Ensuite la modestie. Parce que rien ne serait pire que d'opposer au simplisme des carnages le sommaire de la réflexion et le péremptoire des "il n'y a qu'à".

Ces tueries ont-elles été, d'une certaine manière, coordonnées ou peut-on admettre que l'islamisme radical gangrène et dévoie des subjectivités singulières et autonomes ou inspire, ailleurs, des hécatombes sauvagement et lucidement programmées ?

Le temps du constat est terminé. Quand Pascal Bruckner affirme que "l'islamisme radical a déclaré la guerre à l'Europe", à moins d'être aveugle et sourd on ne peut qu'approuver cette évidence. Mais, aujourd'hui, avec une réalité tragique et guerrière qui nous crève les yeux et l'esprit, s'en prend à la République et à son socle fondamental partagé par presque tous, il faut sortir des pétitions de principe et lutter.

Mais comment ?

Cela implique déjà de ne plus mener des combats périphériques et accessoires. L'essentiel n'est plus de pourfendre et de diaboliser les intellectuels et politiques qui, les premiers, nous ont avertis et alertés sur les dangers de cet islamisme férocement conquérant aspirant à avoir la peau de nos démocraties mais, au contraire, de diaboliser les tueurs et ce au nom de quoi ils commettent l'innommable.

Le débat sur la guerre des civilisations, des religions, que les naïfs continuent de le juger insupportable ou que la plupart estiment qu'il est résolu par les conclusions que le sang ne cesse de faire couler, dans tous les cas n'est plus le principal.

Pas davantage que la distinction de plus en plus oiseuse entre un islam certes modéré mais étouffé et dominé et un islamisme ostensible et mortifère, de plus en plus, sur la scène du monde.

Résister soit, mais, le mot proféré, que faire pour lui donner une substance ?

Déjà, fuir tout ce qui pallie la gestion, devenue tragiquement illisible et insoluble, d'un réel qui nous dépasse : l'abus des émotions collectives et le triomphe d'un verbe d'autant plus cultivé qu'il se pare de volontarisme et suscite l'illusion d'une suite opératoire.

Prendre également conscience qu'apparemment l'islamisme meurtrier nous place, et nos gouvernants en charge de notre destin bien davantage, dans un implacable étau.

Elaborer et mettre en oeuvre un dispositif de surveillance et de répression de plus en plus contraignant, quadriller autant qu'on peut les aspirations, les tentations, les départs puis les retours, incriminer même moins que les commencements d'exécution, constituent des réactions qui en elles-mêmes, toutes de sauvegarde, n'ont rien de choquant mais dont rien ne garantit qu'elles éradiqueront le pire. On peut craindre, au contraire, qu'elles l'exacerbent.

En revanche rabâcher une conception frileuse de l'état de droit et prétendre qu'une démocratie se renie dès qu'elle essaie de se préserver efficacement revient à amplifier la force malfaisante de l'islamisme radical, quelles que soient ses dénominations et ses branches, l'unité venant du mépris de la vie des mécréants et de la croyance en la légitimité meurtrière pour sa seule bonne cause.

Que tenter entre ce double terrible risque ?

En tout cas, ne pas laisser penser, parce qu'on est dans l'opposition, qu'on ferait mieux. Il est clair que si la droite était au pouvoir aujourd'hui, les mêmes interrogations et parfois la même impuissance pèseraient sur elle.

Si on a abusé du concept d'union nationale, surtout quand elle est revendiquée par un président qui sur d'autres registres n'a fait que diviser, il n'en demeure pas moins qu'un Nicolas Sarkozy n'a pas le droit de laisser entendre, pour contester politiquement, que son camp aurait des solutions-miracles. Ce n'est pas vrai. Il faut au contraire favoriser, dans la lutte contre ce terrorisme, la bonne volonté opératoire de ce gouvernement qui n'est pas indigne en l'occurrence de la République qu'il cherche à protéger.

Cela signifie aussi que pour l'instant il convient de laisser de côté les polémiques et les attaques, aussi justifiées qu'elles soient, contre une Christiane Taubira qui d'ailleurs est exclue et s'est exclue de cette obligation de rigueur et de sévérité, de cet impératif d'armement républicain. Cet avertissement m'est destiné au premier chef.

Reste que la focalisation nécessaire sur l'islamisme radical ne doit pas, comme un arrêt l'a récemment permis, obérer le travail au quotidien des forces de police. Pour elles, avec la bureaucratie qu'on va lui préparer, cela va devenir un vrai casse-tête de contrôler les identités des blancs, des noirs, des arabes et des asiatiques ! Il faudra, de la rue, les convier dans un salon de thé pour les inviter à accepter que la police accomplisse sa mission.

Tout de même, s'efforcer autant que nos moyens le permettent de ne pas faire succéder l'angélisme au contrôle. Arnaud Danjean a raison de souligner qu'on ne peut pas mettre "40 000 policiers derrière 4000 suspects" mais sans doute serait-il responsable, comme pour le tueur de l'Isère, de ne jamais interrompre une surveillance dès lors qu'un l'individu a été signalé et fiché dangereux et que son effacement et sa discrétion subits sont généralement le signe d'une stratégie de destruction et non pas d'un retour à la normalité .

Il y a des spécialistes réels ou prétendus de l'islam, de la radicalité de l'islam. Il y a les bons apôtres et les boutefeux.

Mais, au fond, peu importe. Remisons nos partialités et notre incoercible besoin de dispute. Aujourd'hui, la gauche socialiste est en première ligne. Acceptons de la soutenir pour ce qu'elle a, contre l'horreur, de meilleur.

Demain, on sera heureux qu'elle fasse preuve de cette disposition civique et de cette bienveillance démocratique à l'égard du pouvoir qui lui succédera.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...