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Pourra-t-on vaincre ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 15/11/2015

Une foi, dans tous les sens et du côté du Bien, plus irrésistible que la leur odieuse.

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A la suite du cataclysme meurtrier du 13 novembre, la peur et l'espérance se conjuguent. L'effroi en même temps que la volonté de demeurer debout.

Sauf à être de mauvaise foi, on ne peut pas soutenir que la parole de l'Etat de la part de ses plus hauts représentants, ses démarches de rassemblement, ses mesures d'urgence et d'exception ne sont pas, pour l'instant, à la hauteur des tragédies et de la douleur.

Mais comment vaincre ?

Tout ce qui est exprimé est juste.

Le manque de moyens et l'obligation de donner à tous les services et à la justice chargés de lutter contre le terrorisme les outils, les crédits, les compétences et les énergies intelligentes dont ils auront plus que jamais besoin (BFM TV).

Il faudra réviser radicalement notre politique internationale et s'interroger, sans trahir ce que la France porte en elle d'universel, sur nos multiples interventions extérieures. J'ai été frappé par le fait que pour les salafistes nous leur avons "déclaré la guerre depuis 1979" avec l'Afghanistan, et la suite est connue. Irak, Libye, Mali, Syrie... C'est un point de vue infiniment discutable mais qui devrait nous conduire à maîtriser nos actions que la seule morale, au milieu de la complexité du monde, ne paraît pas pouvoir guider (Le Figaro, Boulevard Voltaire).

Le Premier ministre a transmis un message fort et d'un volontarisme qui n'excluait pas la lucidité sur un avenir qui nous confrontera longtemps au pire terrorisme. Quand il affirme qu'on "anéantira Daech", il est sincère mais ce n'est pas devenir un traître à la cause de l'optimisme national que de s'inquiéter et de douter. On voudrait que cette exaltation mobilisatrice du pouvoir ne soit pas que du verbe et le souci honorable de rassurer une société vivement impressionnée (TF1).

Ces séquences dramatiques, brièvement consensuelles, qui au mois de janvier et depuis le 13 novembre ont manifesté de manière spectaculaire que le président et le gouvernement savaient sortir de leurs habitudes émollientes et de laxisme, ne sont malheureusement, sur le plan de leur rigueur et de leur vigueur pour la sécurité et la justice, que des parenthèses et des exceptions à la fois terrifiantes et surprenantes de leur part, tant la règle et la quotidienneté sont aux antipodes de ces configurations.

On ne peut pas avoir un Etat plausible dans son combat contre le terrorisme et à fortiori vainqueur si au fil des jours, et dans ses pratiques policières et judiciaires ordinaires, il est mou, retenu, plus sensible à l'humanisme compassionnel à octroyer aux transgresseurs, prétendument victimes de la société, qu'à la fermeté que la masse des honnêtes gens attendent de lui. En particulier, le projet de loi qui vise à réformer la justice des mineurs est une aberration intellectuelle et sera une plaie sociale.

Mais, au-delà des plans technique, politique et international et des multiples modalités qu'ils imposeront, il y a autre chose qui me paraît relever de l'immatériel. Sans doute suis-je trop concentré sur la psychologie humaine et les parcours singuliers de ces terroristes mais je n'ai pas pu m'empêcher, pour mon propre compte, de tirer des leçons de cette dérive du Français de Courcouronnes condamné à huit reprises sans avoir jamais été incarcéré. Un voyou, une vie facile, une existence sans devoirs, une sociopathie acceptée (Le Point).

Et pourtant c'est ce même homme qui au nom d'une foi meurtrière - il pourra tuer avec bonne conscience - et dévoyée, massacrera sans vergogne en acceptant sans peur le sacrifice de sa propre vie. Par quelle singulière alchimie, cette personnalité a-t-elle été capable d'un tel saut dans l'ignoble avec la certitude de sa propre fin ? J'avoue qu'expliquer une telle métamorphose par l'entraînement et le djihadisme me semble un peu court. Assassiner certes, la malfaisance d'une foi pervertie y pourvoira, mais consentir à sa disparition alors que longtemps, on a été du côté frivole, égoïste et transgressif, c'est tout à fait autre chose !

Mais j'incline vers un enseignement plus profond. Tant que nous n'opposerons pas à cette foi porteuse de mort - celle des nombreuses victimes innocentes et celle consentie, voulue, des tueurs - une autre foi, une conviction aussi enracinée, la certitude d'une justification de notre vivre ensemble aussi légitime et structurée que leurs délires, nous ne pourrons jamais gagner. Il ne s'agit pas d'une cause pour laquelle nous serions prêts à mourir. Je serais le premier, lâchement, à m'y refuser même si elle était noble. Ce serait un masochisme funèbre et de mauvais goût.

Mais au moins d'un enjeu commun, nous soudant plus que tout, d'un lien serré et délicieusement contraignant.

L'Europe n'est plus un rêve. La France, quand on l'aime trop, moque ses adorateurs. La République, sans cesse invoquée, est trop partisane, arbitraire, politicienne dans son exploitation pour servir véritablement d'arme spirituelle. Nos chefs d'Etat ne sont plus des incarnations enthousiasmantes et exemplaires. Nous sommes, par la force des choses, le délitement de la politique et la dégradation de la civilisation, enfermés de plus en plus dans nos autarcies et nos subjectivités.

Nous manquons de valeurs au nom desquelles nous serions honorés de nous battre. Aux âmes gangrenées et aux actes des assassins rassemblés autour de la haine et d'un dessein unique, nous n'opposons qu'une résistance et une bonne volonté dénuées de l'essentiel.

Une foi, dans tous les sens et du côté du Bien, plus irrésistible que la leur odieuse.


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