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Emmanuel Torquebiau : « Il faut trouver une alternative au modèle agricole dominant »

Actualités du droit - Gilles Devers, 16/10/2015

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Voici une excellente interview, publiée par l’excellent La Croix, d’Emmanuel Torquebiau, chargé de mission changement climatique au Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad), recueillie par Séverin Husson.

Emmanuel Torquebiau est un grand scientifique, qui appelle à revoir un modèle agricole à bout de souffle, responsable de 25 % émissions des gaz à effet de serre. Ce régime parvient à enrichir les groupes industriels, mais se montre incapable de nourrir la population, et il va falloir se radicaliser pour revenir à des pratiques sérieuses... C’est un débat essentiel, et soyez sûrs que le blog va y revenir. Nous devons combattre l’industrialisation agricole, pour aller vers une agriculture nourricière, qui n’exporte que lorsque la région et le pays ont atteint l’autosuffisance alimentaire, et qui assure à l’agriculteur la maîtrise de ses terres, stabilisant les familles et donnant donc un cadre pour l’éducation des enfants. La révolution commencera par la terre… Vive la révolution des paysans !

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La paye des moissonneurs, Léon-Augustin Lhermitte, 1882

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L. C. : De quelle manière les agriculteurs des pays du Sud sont-ils touchés par le changement climatique ?

E. T. : Toute la planète est concernée, mais les paysans du Sud sont en première ligne. D’abord parce qu’on connaît moins bien les formes que prendra le changement climatique dans ces pays. On manque de références, de données statistiques pour faire tourner les modèles.

Ensuite parce qu’à changement climatique égal, le Sud est plus vulnérable que le Nord. Il est beaucoup plus difficile de s’adapter quand on évolue dans un environnement fragile économiquement, sans service météo, sans capital à investir, sans formation et sans accès facile à de nouvelles semences ou de nouvelles méthodes agronomiques.

L. C. : Ces paysans sont déjà atteints…

E. T. : Oui, on observe par exemple une augmentation des zones de sécheresse au Sahel, avec une variation importante des dates de début et de fin de la saison des pluies, et une irrégularité des précipitations au cœur même de cette saison. C’est très difficile à gérer pour les agriculteurs et cela affecte leurs productions annuelles de céréales ou de légumineuses.

L. C. : L’agriculture est donc victime du dérèglement climatique. Mais elle en est aussi responsable…

E. T. : C’est l’une des difficultés. En tant que victimes, les agriculteurs doivent s’adapter, en modifiant leurs pratiques. Et en tant que responsables, il faut qu’ils participent à la diminution du gaz carbonique dans l’atmosphère.

Les paysans du Sud, eux, en émettent déjà très peu. En revanche, ils peuvent participer à l’effort commun en « stockant du carbone » dans le sol. C’est important car on estime qu’une augmentation du taux de carbone de 0,4 % par an permettrait de compenser l’ensemble des émissions des gaz à effet de serre de la planète. En plus, cette stratégie est doublement gagnante car plus un sol est riche en carbone, plus il est fertile, aéré et capable de retenir l’eau.

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Peinture murale, Burkina-Faso

L. C. : Comment faire ?

E. T. : Pour « stocker du carbone », ou de la matière organique, il faut faire pousser des plantes. Il est possible par exemple de mélanger dans une même parcelle des cultures pérennes et des cultures annuelles : au Burkina Faso, des karités – ces grands arbres que l’on peut valoriser dans des cosmétiques ou du beurre – avec en dessous du sorgho, du maïs ou du mil.

Le même principe est possible sans arbres, en associant les cultures annuelles avec des cultures de couverture, de façon à ne jamais laisser le sol nu. Les stylosanthes, également appelées luzerne tropicale, peuvent être utilisées avant du riz non irrigué ou du maïs. Mais ces techniques ne sont pas encore toutes au point : il faut parfois utiliser des herbicides pour détruire la culture de couverture afin qu’elle ne fasse pas concurrence à la plante principale.

L. C. : Ces solutions sont-elles à la hauteur des enjeux de sécurité alimentaire ? Est-il raisonnable de vouloir tourner le dos à la composante industrielle de l’agriculture, à la chimie, voire aux OGM ?

E. T. : L’objectif est multiple, en effet : s’adapter au changement climatique, l’atténuer, tout en produisant de manière durable et en quantité suffisante. Nous sommes réalistes et ne faisons pas du rejet de la chimie un critère absolu. Mais l’objectif est d’en utiliser le moins possible.

Le modèle agricole dominant est responsable de 25 % émissions des gaz à effet de serre, donc il faut bien trouver une alternative qui permette de nourrir 9 milliards d’habitants, dans quelques années, en produisant au plus près des populations. Car l’insécurité alimentaire n’est pas tant un problème de quantité produite que de répartition des aliments, de perte et de gaspillage.

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Cérès, la déesse de l’agriculture, Louis-Jacques Dubois, 1824


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