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Contrats de prestations entre personnes publiques : quand peut-il y avoir dispense de mise en concurrence ?

droit des collectivités territoriales - actualités et miscellane - Luc BARTMANN, 11/09/2013

Il s'agit d'une question récurrente dans les pratiques quotidiennes des collectivités locales françaises, en particulier avec le développement des mécanismes des coopération dans le cadre des intercommunalités, mécanismes fondés soit sur la quasi-régie (in house) soit sur la mutualisation (au sens large). Il a déjà été traité de ce sujet sur ce blog.

La Cour de justice de l'Union Européenne vient de rendre deux décisions : un arrêt en date du 13 juin 2013 (n° C-386/11) et une ordonnance du 20 juin 2013 (n° C-352-12) par lesquelles elle confirme la jurisprudence relatives aux coopérations entre personnes publiques inaugurée par la décision remarquée du 9 juin 2009 (n° 480/06).

En 2009 la Cour avait jugé ceci :

"Ne se situe pas dans le champ d'application de la directive 92/50, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services, un contrat constituant tant le fondement que le cadre juridique pour la construction et l'exploitation futures d'une installation destinée à l'accomplissement d'un service public, à savoir la valorisation thermique des déchets, pour autant qu'il n'a été conclu que par des autorités publiques, sans la participation d'une partie privée, et ne prévoit ni ne préjuge la passation des marchés éventuellement nécessaires pour la construction et l'exploitation de l'installation de traitement des déchets.
En effet, une autorité publique peut accomplir les tâches d'intérêt public qui lui incombent soit par ses propres moyens, soit en collaboration avec d'autres autorités publiques, sans être obligée de faire appel à des entités externes n'appartenant pas à ses services. À cet égard, d'une part, le droit communautaire n'impose nullement aux autorités publiques, pour assurer en commun leurs missions de service public, de recourir à une forme juridique particulière. D'autre part, pareille collaboration entre autorités publiques ne saurait remettre en cause l'objectif principal des règles communautaires en matière de marchés publics, à savoir la libre circulation des services et l'ouverture à la concurrence non faussée dans tous les États membres, dès lors que la mise en oeuvre de cette coopération est uniquement régie par des considérations et des exigences propres à la poursuite d'objectifs d'intérêt public et que le principe d'égalité de traitement des intéressés visé par la directive 92/50 est garanti, de sorte qu'aucune entreprise privée n'est placée dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents."
(sommaire de l'arrêt).

Dans l'arrêt de juin 2013 la Cour rappelle qu'il n'existe que deux types de marchés qui, bien que conclus par des entités publiques, ne rentrent cependant pas dans le champ d’application du droit de l’Union en matière de marchés publics (considérant 33) :


  • Les contrats in house c'est-à-dire les marchés conclus par une entité publique avec une personne juridiquement distincte de celle-ci lorsque, à la fois, cette entité exerce sur cette personne un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et que ladite personne réalise l’essentiel de ses activités avec la ou les entités qui la détiennent (considérant 34).

  • Les contrats qui instaurent une coopération entre des entités publiques, ayant pour objet d’assurer la mise en œuvre d’une mission de service public qui est commune à celles-ci (considérant 36)
La seconde hypothèse des contrats de coopération est soumise à trois conditions cumulatives (considérant 37) :

  1. Ces contrats doivent être conclus exclusivement par des entités publiques, sans la participation d’une partie privée ;
  2. Aucun prestataire privé ne soit placé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents ;
  3. La coopération instaurée doit être  uniquement régie par des considérations et des exigences propres à la poursuite d’objectifs d’intérêt public.
L'ordonnance du 20 juin 2013 développe les mêmes règles (considérants 40 à 44).

En application de ces principes, et en retenant principalement le motifs de l'absence de de mission de service public commun, la Cour a statué ainsi :

Arrêt du 13 juin 2013 :

Dans cette affaire il s'agissait d'un contrat signé sans mise en concurrence entre un groupement de communes allemand et une commune membre, par lequel le groupement confiait à la commune, moyennant compensation financière, le nettoyage de bâtiments situés sur cette commune mais appartenant au groupement et utilisés par lui. La société privée qui assurait précédemment cette mission a saisi la justice allemande qui a transmis une question préjudicielle à la Cour qui répond ainsi :

"Un contrat tel que celui en cause au principal, par lequel, sans instaurer une coopération entre les entités publiques contractantes en vue de la mise en œuvre d’une mission de service public commune, une entité publique confie à une autre entité publique la mission de nettoyer certains bâtiments à usage de bureaux, de locaux administratifs et d’établissements scolaires, tout en se réservant le pouvoir de contrôler la bonne exécution de cette mission, moyennant une compensation financière censée correspondre aux coûts engendrés par la réalisation de ladite mission, la seconde entité étant en outre autorisée à recourir à des tiers ayant éventuellement la capacité d’agir sur le marché pour l’accomplissement de cette mission, constitue un marché public de services au sens de l’article 1er, paragraphe 2, sous d), de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services."

Ordonnance du 20 juin 2013 :

Dans cette affaire il s'agissait de deux communes italiennes touchées par un séisme qui avaient conclu sans mise en concurrence des conventions avec des universités pour établir un plan de reconstruction. Une saisine de la justice italienne par le Conseil national des ingénieurs italiens a conduit à une question préjudicielle à laquelle la Cour a répondu ainsi :

"La directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services, telle que modifiée par le règlement (CE) n° 1177/2009 de la Commission, du 30 novembre 2009, s’oppose à une réglementation nationale qui autorise la conclusion, sans appel à la concurrence, d’un contrat par lequel des entités publiques instituent entre elles une coopération lorsque – ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier – un tel contrat n’a pas pour objet d’assurer la mise en œuvre d’une mission de service public commune à ces entités, qu’il n’est pas exclusivement régi par des considérations et des exigences propres à la poursuite d’objectifs d’intérêt public ou qu’il est de nature à placer un prestataire privé dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents..."

A noter que ces règles vont être codifiées dans la prochaine directive européenne sur la passation des marchés publics qui - en l'état du projet - prévoit de poser les conditions suivantes à la non application de la directive aux contrats conclus entre personnes publiques (article 11.4) :

« (a) le contrat établit une véritable coopération entre les pouvoirs adjudicateurs participants qui vise à mener de concert leurs missions de service public et prévoit des droits et des obligations mutuels pour les parties;

(b) l'accord n'est guidé que par l'intérêt public;

(c) les pouvoirs adjudicateurs participants ne réalisent pas, sur le marché libre, plus de 10 %, de leurs activités pertinentes dans le cadre de l’accord, en termes de chiffre d’affaires;

(d) l'accord ne prévoit aucun transfert financier entre les pouvoirs adjudicateurs participants autre que ceux correspondant au remboursement du coût effectif des travaux, des services ou des fournitures;


(e) les pouvoirs adjudicateurs participants ne font l'objet d'aucune participation privée. »

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