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Menus halal en prison

Actualités du droit - Gilles Devers, 27/11/2013

Décidément, la prison, qui devrait être lieu où règne la loi, dès lors...

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Décidément, la prison, qui devrait être lieu où règne la loi, dès lors qu’un jugement prive une personne de liberté pour avoir violé la loi, a bien de la peine à appliquer les principes du droit. Il a fallu un jugement du tribunal administratif de Grenoble, ce 7 novembre, pour imposer la délivrance de repas halal aux détenus qui en font la demande. La liberté de religion, est-ce vraiment si compliqué ?

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L’initiative vient d’un détenu du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier, qui s'était vu refuser par le directeur des lieux de recevoir des repas halal. Or, rien ne peut refuser ce refus, qui constitue une violation flagrante de la liberté de culte.

Selon l’article 1 de la loi du 9 décembre 1905, « la République assure la liberté de conscience », et elle « garantit le libre exercice des cultes » sous les seules restrictions « édictées dans l'intérêt de l'ordre public ».

Alors diable, quel motif d’ordre public pouvait bien restreindre la liberté de religion, en s’opposant au respect des rites alimentaires ? La sécurité de l’Etat ?

L’affaire était donc pliée par la grâce,… euh la vertu, de la saine conception de la laïcité de 1905.

Mais vient en renfort l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites ».

« La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

Ce texte doit aussi être interprété en lui-même, et en lien avec l’article 14 qui prohibe les discriminations (CEDH,  Darby, 23 oct. 1990).

liberté de religion,prison

Pour la Cour, la liberté de pensée, de conscience et de religion représente l’une des assises d’une « société démocratique » au sens de la Convention. Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – qui ne saurait être dissocié de pareille société. Cette liberté implique, notamment, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou de ne pas la pratiquer (CEDH, Kokkinakis, 25 mai 1993).

Si la liberté de religion relève d’abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement et en privé, ou de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi, notamment par l’accomplissement des rites (Kalaç, 1er juillet 1997).

La Cour a souvent mis l’accent sur le rôle de l’Etat en tant qu’organisateur neutre et impartial de l’exercice des diverses religions, cultes et croyances, et elle souligne que la démocratie ne se ramène pas à la suprématie constante de l’opinion d’une majorité mais commande un équilibre qui assure aux individus minoritaires un traitement juste et qui évite tout abus d’une position dominante (Young, 13 août 1981). C’est précisément cette constante recherche d’un équilibre entre les droits fondamentaux de chacun qui constitue le fondement d’une « société démocratique ».

Le tribunal administratif de Grenoble a donc appliqué ces saints principes.

Visant tant la loi de 1905 que l’article 9, il rappelle que le principe de laïcité « impose que la République garantisse le libre exercice des cultes ». Relevant que les contraintes organisationnelles et financières sont modestes, il juge que la laïcité  « ne fait pas obstacle à ce que les détenus de confession musulmane se voient proposer des menus comportant des viandes respectant les rites confessionnels de l’Islam ».

Bon appétit, les amis ! 

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