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Pour réellement déjudiciariser et désintitutionnaliser la protection de l’enfance (590)

Planète Juridique - admin, 20/12/2014

La loi du 5 mars 2007, dite loi Bas,  avait pour ambition de renforcer la place de chef de file du département comme pilote de la protection de l'enfance avec le souci explicite de réduire le rôle qu'y a pris la … Continuer la lecture

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avocats006_17_1La loi du 5 mars 2007, dite loi Bas,  avait pour ambition de renforcer la place de chef de file du département comme pilote de la protection de l'enfance avec le souci explicite de réduire le rôle qu'y a pris la justice, au fil du temps et par défaut.

Qu’on ne s‘y méprenne pas : il ne s’agissait pas tant, sous le gouvernement Villepin, à la veille des élections présidentielles dans une ambiance particulièrement tendue, de promouvoir au niveau exigé par les familles, un dispositif administratif de protection de l’enfance que de veiller à ce que la justice se consacre à plus et à mieux répondre à la délinquance juvénile qu'elle était accusée de délaisser. En vérité, les critiques portées sur l’action sociale ont alors servi de prétexte politique au recentrage de la justice au pénal. En arrière fond se profilait une redistribution plus claire des responsabilités entre l’Etat et les collectivités locales : au premier les fonctions régaliennes, aux secondes le social.

A preuve on ne s’est pas soucié en 2007, par-delà le discours, de réunir les conditions techniques pour que la protection administrative prenne réellement sa place quand déjà son image est singulièrement écornée et sa représentation datée. Ne la voit-on pas toujours dans les habits de la DDASS, sinon de l'Assistance publique de Saint-Vincent de Paul !

Ce qui devait arriver arriva. A regarder les chiffres la démarche de déjudiciarisation a largement échoué, puisque, en 2013, 85 % des accueils physiques et 73 % des soutiens éducatifs à domicile sont toujours d’origine  judiciaires.

Cet échec provient assez largement de la difficulté, voire de l'impossibilité des conseils généraux, d'assumer  à la hauteur des besoins leur mission principale d'aide et d'accompagnement des familles en difficultés .

Même si, dans ces temps difficiles pour les finances publiques, les conseils généraux parviennent à maintenir les sommes importantes  - 7,1 milliards d’euros en 2013 - consacrées à l’ASE, les services sociaux ont vu leur action orientée prioritairement vers la mise en place de dispositifs spécifiques comme le RSA ou l'APA qui ont drainé une part substantielle de leurs moyens.

Et, même en ce qui concerne l'enfance l'essentiel des moyens est consacré à l'évaluation des situations préoccupantes et à la mise en œuvre de décisions judiciaires, au détriment des actions d'accompagnement et de soutien des familles dans un contexte de plus en plus dégradé. Les situations familiales sont lourdes, marquées par une précarité et une paupérisation croissante, accompagnées d'un développement des troubles psychiques chez nombre de parents. De nombreux enfants souffrent de troubles du comportement mal traités : plus que jamais on manque de pédopsychiatres, les listes d'attente des CMP sont très longues. Dans tel foyer de l'enfance, le quart des enfants ont un traitement médicamenteux  comme la ritaline ... Des mesures éducatives prononcées par les juges des enfants ne sont pas exécutées : des adolescents censés être accueillis en foyer ou famille d’accueil sont encore chez eux deux ou trois ansplus tard.

Certes comme les professionnels y appelaient la loi Bas du 5 mars 2007 a autorisé la mise en place de moyens nouveaux et intéressants par leur souplesse comme les accueils séquentiels.

Mais l'amélioration de quelques prises en charge est une goutte d'eau dans un océan de détresses... Non seulement il faut dégager une capacité d'action sociale de droit commun à la hauteur des attentes des populations les plus fragiles, mais il est indispensable de restaurer une image dégradée. Trop souvent les familles négligent de se tourner vers les services sociaux dont ils n’attendent pas grand-chose, quand elles ne sont pas inquiètes de leurs réactions possibles. A preuve : combien de fois n’entend-t-on pas avancer que l’ASE a retiré un enfant alors même qu'elle n’en pas les moyens juridiques. Seule l’autorité judiciaire a ce pouvoir. Sans nier ses lacunes et défauts, on est souvent injustice à l’égard des services sociaux ? Trop, quand y regarde de près. Mais force est de reconnaître qu’ils n’ont pas su communiquer et se doter des moyens nécessaires pour incarner une politique sociale volontariste et de qualité.

copy-Petitjuge.jpgAu total on peut douter qu’une réelle évolution ait été enclenchée.

Plus inquiétant encore, comme le relève Laurence Rossignol, secrétaire d’Etat en charge de la famille, au retour d’un temps de travail avec son homologue allemand, la prise en charge institutionnelle reste très - pour ne pas dire trop - importante en France. Plutôt que de soutenir les familles à assumer la charge de leurs enfants on installe plus sûrement une séparation à travers un accueil physique, qui plus est ordonné par le juge quand il pourrait être proposé par l'administration sociale comme un service apporté aux familles, aux enfants comme aux parents.

En prenant un peu de distance on peut affirmer que la judiciarisation et la désinstitutionnalisation révèlent tout autant les difficultés du secteur administratif à offrir des réponses sociales adaptées que des difficultés propres des familles.

Dit en d’autres termes il faut encore et encore augmenter l’offre de services de proximité qui ont déjà – et dans le contexte il n’est pas négligeable - cet avantage d’être au final moins onéreux qu’une prise en charge physique dans une famille ou dans une institution collective. C’est ce qui était visé à travers la loi du 5 mars 2007 en exigeant pour pouvoir saisir la justice d’apporter la preuve que l’action sociale avait touché ses limites. Par exemple, pourquoi solliciter le placement d’un enfant quand on n'a pas exploré la solution d’un maintien en famille à travers un hébergement soutenu par une allocation mensuelle et un accompagnement éducatif ?

On peut entendre que cet  objectif soit difficile à tenir dans un contexte économique tendu, Mais c’est bien justement cette donne économique délicate qui doit, tout cynisme bu, servir de moteur à l’augmentation et à la rénovation de l’offre d’action sociale. Certains départements l'ont déjà bien compris. En effet, en investissant dans la prévention et dans le soutien aux familles on peut sensiblement réduire les prises en charges physiques qui, on le sait, peuvent très facilement créer, sinon accentuer, un fossé entre parents et enfants conduisant inéluctablement à auto justifier ensuite la séparation pour conduire au final à une préconisation de rupture à travers la déclaration judiciaire d’abandon et un projet d’adoption. A y regarder de près, c’est bien ce à quoi succombent certaines préconisations législatives en cours d’examen.

On entend même, aujourd’hui comme hier, certains se demander si on ne pourrait pas accélérer ce processus de rupture pour garantir le droit de l’enfant à une famille, sinon le droit des personnes en quête d’enfants à former une famille via l’adoptien. On a alors tout faux.

Laissons de côté la question spécifique de la maltraitance à enfants qui contient une dimension psychologique, sinon psychiatrique majeure, pour nous concentrer sur les parents en difficulté éducatives. Comme le souligne lucidement  notre ministre de la famille,  c’est bien autrement qu’il faut prendre le problème : réduire le nombre d’enfants accueilli, non pas en les « offrant » à l’adoption, mais en faisant en sorte que les conditions soient réunies pour que d’entrée de jeu ces enfants en difficulté puissent mieux vivre en famille. Et au passage en respectant l'esprit et la lettre de la convention de New York relative aux droits des enfants!

Dit autrement, comme nous l’avancions en 2006-2007,  il faut augmenter l’offre de service social le plus tôt pour avoir à ne pas recourir à de réponses lourdes par défaut. Comprenons nous bien : il ne s'agit pas plus aujourd'hui qu'hier de condamner les institutions qui accueillent des enfants, mais d'inviter à relativiser le recours à ses réponses de rupture et tardives.

De longue date j’invite – conf. les posts précédents -, mais finalement en prêchant jusqu’ici dans le désert, à implanter du social dans les établissements scolaires. On a aujourd’hui confirmation des grandes difficultés que rencontre de longue date la médecine scolaire et on annonce une crise de la PMI… Bref on régresse et on se prépare des lendemains douloureux

avocat_jeuneComment réagir pour aller vers une plus forte mobilisation de ses services sociaux de proximité? Je ne reviendrai pas ici sur la nécessité d'en changer l'image. On doit mieux communiquer, mais  déjà changer certaines pratiques pour que les familles retrouvent confiance dans certains services sociaux et n'hésitent pas à la solliciter dès les premiers problèmes.

Une condition parmi d’autres, mais elle est majeure, doit être réunie pour garantir qu’à terme, territoire par territoire de vraies politiques de protection de l'enfance seront développées : il faut identifier un responsable administratif de la protection de l'enfance, par-delà le responsable politique qu’est le président du conseil général ou son vice-président en charge de la solidarité. Celui-là ne doit-il pas être l’inspecteur de l’enfance ? Le pendant du juge des enfants des années 1958-2000. On serait cohérent avec le transfert de responsabilités recherché.

Encore faut-il que son profil de poste soit clairement affiché et que ne puissent y accéder que des personnes ayant  la formation juridique indispensable mais également  en sciences humaines adaptées. Aujourd’hui un attaché territorial n’ayant a priori aucun intérêt ni aucune formation pour ces questions peut se retrouver dans le pilotage des politiques suivies sur le territoire qui lui est affecté. Au mieux il aura une approche « administrative » de pur gestionnaire. De là à posséder la fibre sociale et les compétences qui vont de pair !

En d’autres termes on le voit aujourd’hui il ne suffit pas d’entonner des hymnes incantatoires à la déjudiciarisation, il convient encore de s’en donner les moyens en s'organisant : un responsable politique au sein du conseil général motivé, mobilisé et cultivé;  un cadre administratif de haut niveau recruté, formé et rémunéré comme il se doit à ce niveau de responsabilités et stable dans l'exercice de ses fonctions ; des temps de concertation sur les politiques publiques en articulation avec les services de l’Etat et le réseau associatif habilité ; des études territoriales sur les besoins et des études d’impact de politiques menées.

L’enjeu n’est pas seulement de reconduire les budgets, mais de savoir remettre en cause les réponses formelles atteintes qui peuvent ne pas répondre aux enjeux réels ! Bref, il faut une vraie politique territoriale de protection de l’enfance.

Pendant ce temps là à son niveau, national et territorial, l’Etat doit assumer ses propres responsabilités sans se contenter lui aussi de réponses formelles.  Par exemple sur les enfants étrangers isolés qui exigent une réponse politique autre que celle de l’autruche!

On le voit, ici comme dans le champ de l’enfance délinquante, il ne suffit pas de voter une loi avec la meilleure intention du monde, mais il faut encore s’interroger sur ce que produit le système et ses institutions au regard des droits fondamentaux des enfants et l’intérêt même de notre société. Le temps est sans doute venu de mieux mobiliser la société civile, les familles comme les solidarités territoriales.

C’est ce à quoi invite la concertation très politique, au sens noble du terme, engagée par Laurence Rossignol. Saisissons-nous enfin de cette opportunité de faire de la politique sociale plutôt que de tenter de satisfaire des intérêts institutionnels, corporatistes sinon idéologiques et des soucis singulièrement éloignés de la prise en compte des droits des enfants.

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