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Dodo la Saumure : « J’suis comme ça, j’fais d’l’Audiard »

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 5/02/2015

Et Dodo la Saumure s'est avancé à la barre. Une trogne, un bagout, une rouerie, il le sait bien Dominique Alderweired qu'on ne va pas bouder son plaisir dans un moment pareil, et puis le 5 février, c'est le … Continuer la lecture

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Et Dodo la Saumure s'est avancé à la barre. Une trogne, un bagout, une rouerie, il le sait bien Dominique Alderweired qu'on ne va pas bouder son plaisir dans un moment pareil, et puis le 5 février, c'est le jour de son anniversaire, alors il en joue, il encanaille, il régale, aujourd'hui c'est lui le cadeau, le voilà.

Il a fermé le DSK — le Dodo Sex Club –, laissé tomber l'idée de le rebaptiser « 7 sur 7 » — « C'était une politique commerciale, mais je perdais de l'argent » —,  il a, dit-il, toujours le projet d'ouvrir un FMI — Famous Massage International.

Vous avez une licence en droit et un diplôme d'école de commerce, l'Essec… lit le président.

— Non ! de l'Issec. C'est l'Essec en pâte à modeler.

— En quoi ?

— En pâte à modeler, monsieur le président.   

— Pourquoi le droit ? 

— Parce que c'est intéressant et que ça peut toujours servir. 

— Vous avez pensé au barreau ou à la magistrature ?

— Avocat, j'y ai pensé, mais c'était pas sérieux avec mon passé.

Le procureur intervient pour rappeler que Dominique Alderweired a été condamné pour proxénétisme à cinq ans d'emprisonnement avec sursis.

— C'est vrai que, dans votre vie, vous vous êtes mis très tôt à l'écart des règles de droit, observe le président.

— C'est que j'ai pas compris les règles.  

Son métier, aujourd'hui en Belgique, c'est de «louer des chambres à des filles », dit-il.

— Vous les louez combien ?

— Entre 30 et 40 euros.

— Pour la nuit ?

Non, pour le rapport.

Le président veut être sûr d'avoir bien compris.

— 30 à 40 euros après chaque rapport ?

— Oui.

Donc, si elle a deux rapports à la suite, elle vous doit 80 euros ?

— Oui. Plus 5 euros pour le ménage.

— Vous appelez ça  «location de chambres », vous ?

— Oui. C'est dans la loi belge. J'ai une jurisprudence de la cour d'appel de Gand qui m'est favorable. 

— Combien de filles faites-vous travailler ?

— J'peux pas vous dire. Il y en a qui restent une heure, d'autres deux jours, d'autres trois ans. Mes filles, elles travaillent en indépendantes. 

— Vous utilisez le possessif ?

— Comme n'importe quel dirigeant d'entreprise qui dirait  «mes » collaborateurs, « mes » associés.

— Vous les appelez « indépendantes », mais elles ne font pas toutes cela par choix… 

— Et le gardien de prison, vous croyez que c'est par choix qu'il se fait insulter toute la journée ?

— Ce sont des filles en difficulté. Vous les recrutez dans toute l'Europe ?

— Oui.

— Pour de l'argent ?

— Oui. Et quand elles en ont assez, elles s'en vont. Je n'ai aucune maîtrise des filles qui travaillent dans mes établissements. Mon influence est égale à zéro.

— Elles disent que chez vous, c'est de l'abattage. 

— Monsieur le président, les filles qui font le trottoir là, juste en face du palais de justice, ça c'est de l'abattage.

— C'est de vous qu'on parle, monsieur Alderweired...

— Oui, oui, je disais ça juste pour le contexte.  

— Certaines filles se plaignent de mauvais traitements…

— J'suis pas le seul employeur à avoir des problèmes avec ses employés. Prenez la SNCF, avec tous ses suicides…

Le président Bernard Lemaire en vient aux faits qui sont reprochés à Dominique Alderweired — l'envoi de prostituées en France pour des rencontres tarifées — et qui lui valent des poursuites pour proxénétisme aggravé en bande organisée.

Dans la « bande », il y a René Kojfer.

— Vous êtes de vieux amis, observe le président.

— Oui, depuis quarante-cinq ans. 

— Pourtant, pendant l'instruction vous avez eu des mots assez durs sur lui. 

— Je l'appelle « Judas », c'est tout. Ou encore « la honte de la communauté hébraïque de Lille ». 

Le président plonge dans ses notes.

— Et aussi le « bouffon de la ville ». Le « comique troupier ». Le « lâche ».

— Oui, c'est juste. 

Bernard Lemaire se tourne vers René Kojfer.

— Ça vous fait quoi ces noms-là ? 

— Bah, c'est comme ça, répond René Kojfer qui, depuis le début de ce procès, n'en est plus à une humiliation près.

Dominique Alderweired intervient.

— Toutes ces paroles, je les prononce devant lui, hein, monsieur le président !

— Donc, il le sait ?

— Ben, bien sûr ! 

Le président veut savoir si, comme il s'en vante dans les écoutes téléphoniques, René Kojfer jouait bien le rôle d'« essayeur gratis » des jeunes recrues de Dodo la Saumure.

— Oh ! René, on l'appelle « M. Trois Minutes ». Parce que, même en costume trois pièces et avec la douche, ça prenait trois minutes. Alors, si on avait dû choisir quelqu'un, on en aurait pris un de plus efficient. 

— De plus ?

— Efficient, monsieur le président. René, on pourrait plus le qualifier de micheton. 

A côté de lui, René Kojfer approuve d'un hochement de tête docile.

Dans la bande, il y a aussi Béatrice Legrain, compagne et associée de Dodo la Saumure, gérante de bars à hôtesses, à laquelle il est reproché d'avoir accompagné à plusieurs reprises des filles en France. Elle se tient droite à la barre, longs cheveux blond platine, pantalon noir très ajusté et veste cintrée, dont on plaint le bouton qui tente de la fermer. Elle récite plus qu'elle prononce une repartie bien préparée, qui doit faire d'elle l'anti-Jade, la jeune femme accusatrice qui a déposé la veille devant le tribunal. 

— J'ai commencé la prostitution à 18 ans et j'ai arrêté. Puis j'ai repris, parce que pute, j'aime ça. 

— Bien. 

Le président évoque sa présence avec d'autres jeunes femmes à un  «déjeuner » dans un relais de chasse dans la campagne française. L'organisateur des réjouissances avait sollicité Dodo pour « faire une bonne surprise à des copains ».

— Pourquoi envoyez-vous Béatrice Legrain à cette rencontre ?

— Parce que les filles ont un QI de 25. Alors, ça vaut mieux que Béa les accompagne. Remarquez, là, le relais de chasse, c'est du rustique, alors on aurait pu envoyer du QI de 25. 

— Vous avez déclaré que vous avez toujours eu du respect pour les personnes qui travaillent pour vous.

— Absolument. Et cela depuis quarante-cinq ans.

Le président saisit un extrait d'écoutes téléphoniques. Dominique Alderweired s'entretient avec sa compagne, Béatrice Legrain. « On a une négresse ? Le client, il veut baiser une négresse. » Un autre extrait.  Il est en Espagne, il parle avec un ami : « Je remonte avec du cheptel », lui annonce-t-il.

Dodo la Saumure hausse les épaules.

— Oh ! J'suis comme ça, monsieur le président, j'fais d'l'Audiard.

— Au fait, c'est quoi votre association Marie-Madeleine ?

— Je m'occupe des enfants des filles, je règle les problèmes d'école ou de logement pour elles avec l'échevin. Je l'ai appelée Marie-Madeleine, parce que j'ai quelques connaissances théologiques.   

 


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