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Le président n'est-il pas de trop ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 6/05/2020

Moins de visibilité et d'omniprésence présidentielles et ce serait à coup sûr plus d'efficacité sanitaire, politique et sociale.

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Contrairement à ce que certains prétendent, lorsqu'on s'aventure à dire du bien du président de la République, on ne devient pas pour cela un inconditionnel, voire pire, un idolâtre. Je ne sais pas d'ailleurs si cette dernière catégorie, même à LREM, est encore consistante.

Ce qui me distingue tient d'abord au fait que je ne suis pas un adepte du "il n'y a qu'à, "il faut qu'on" et que je n'ai jamais sous-estimé la difficulté de la tâche du pouvoir. J'ai conscience du défi que représente le combat contre une épidémie totalement inédite et aux effets imprévisibles, sauf pour Michel Houellebecq qui la perçoit comme une prolongation d'hier.

L'entreprise d'éradication est tout sauf facile, confinement, déconfinement et restauration de la normalité, un processus de longue haleine qui appelle plus de soutien que de la dérision permanente.

Et c'est ma seconde différence avec les pourfendeurs chroniques et compulsifs du gouvernement. Je ne lui jette pas sans cesse la pierre et je ne doute pas de sa bonne volonté ni de son énergie. Certes il y a des expériences étrangères qui avec d'autres méthodes et des structures nationales et hospitalières autrement constituées semblent avoir engendré de meilleurs résultats. Il y a une multitude de "conseilleurs" français avec des experts à foison et le ministre Véran a bien fait de rappeler que le professeur Raoult, qui affirme qu'il n'y aura pas de second rebond, avait aussi, à l'origine de l'épidémie en Chine, souligné qu'elle ne ferait pas plus de victimes que les accidents de trottinettes.

Il n'empêche que je n'ai jamais eu envie de me moquer, par une sorte de sadisme saumâtre, des efforts trop lentement couronnés de succès de ce pouvoir.

Et si je ne méconnais pas le dysfonctionnement des masques et le climat d'impréparation et de variations au sujet de l'école, je voudrais cependant moins accuser le gouvernement de défaut que d'excès.

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Je ne partage pas la charge cinglante d'Edwy Plenel sur le "président destitué" dans Mediapart. Le premier reproche au président ce qu'il résume ainsi: "En somme je décide et le pays doit suivre". Ce qui me semble relever d'une mauvaise analyse. Il n'y a jamais eu, au cours de cette crise, une autorité indiscutable traduite par des injonctions présidentielles mais au contraire l'expression de faiblesses régaliennes appelant le pays au secours. En désespoir de cause les maires ont été mis à contribution et ce retard explique en grande partie le nombre des initiatives municipales mises en oeuvre d'initiative.

Il y a par ailleurs un problème au plus haut sommet de l'Etat, qui se rapporte à ce constat quotidien que la parole officielle est au moins double, que le président s'implique trop dans le concret et qu'ainsi, à plusieurs reprises, il a brouillé le paysage et les enseignements sur le terrain et fragilisé les orientations plus pragmatiques du Premier ministre. Emmanuel Macron veut trop bien faire, trop en faire, il déborde de la rareté qui serait utile en l'occurrence et vient compliquer une situation qui déjà ne brille pas par la limpidité.

Par exemple, Emmanuel Macron qui a maladroitement et initialement évoqué une "guerre" rectifie Edouard Philippe qui à juste titre a évoqué le risque d'un "écroulement économique". Etait-il nécessaire qu'il vînt ainsi infléchir ce qui n'avait pas besoin de l'être ?

J'ose soutenir, mais sans acrimonie à son égard, que le président est de trop. Edouard Philippe n'a jamais eu la tentation de doubler la posture présidentielle. Il est dangereux pour le président, et pour tout dire contre-productif, de doubler celle de Premier ministre.

Osons une comparaison dont j'admets le caractère discutable : imagine-t-on deux de Gaulle faisant l'appel du 18 juin ou deux Churchill exaltant la Grande-Bretagne face à la barbarie nazie ?

Modestement je suggère au président de ne pas introduire dans une normalité déjà naturellement fragilisée - l'idéal avec un Président, un Premier ministre, des maires, des préfets et des citoyens dans une exemplaire coordination démocratique, les uns et les autres strictement dans leurs fonctions - un doublon, une surabondance qui paradoxalement ne favorisent pas le combat mais le rendent moins performant.

Moins de visibilité et d'omniprésence présidentielles et ce serait à coup sûr plus d'efficacité sanitaire, politique et sociale.


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