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Quel statut juridique pour le jeu vidéo, une fausse bonne question !

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Karine Riahi, 6/01/2012

Le 25 mai 2011 lors d’un de ces discours sur l’industrie du jeu vidéo, le ministre de la Culture et de la Communication, Frédéric Mitterrand, avait chargé le député Patrice Martin-Lalande d’une mission juridique visant à « sécuriser la chaîne de création et d’exploitation des jeux et garantir la diversité de la création et la juste rémunération des talents ». L’objectif principal de cette commission était de parvenir à la création d’un régime juridique spécifique aux jeux vidéo. Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique avait déjà travaillé sur ce sujet en 2005, sans toutefois parvenir à un accord définitif de l’ensemble des acteurs du secteur.
Rappelons que le jeu vidéo représente un chiffre d’affaires mondial de 52 milliards, et en France 2,7 milliards (prévisions 2011). La France est ainsi le 1er pays après les Etats-Unis pour la production de jeux sur Facebook. Le leader mondial est une entreprise française Vivendi, mais car il s’agit d’un mais, c’est seulement un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros qui est réalisé sur le territoire français.

Le jeu vidéo méritait alors qu’on s’intéresse à son statut juridique, mais surtout qu’on le détermine de manière claire et définitive, donc qu’on l’inscrive dans la loi, et surtout si l’on considère que le droit est un facilitateur du business en ce qu’il offre la sécurité juridique des affaires.

Déjà, en 2009 , Nathalie Koscuisco –Morizet, alors secrétaire d’état à la prospective et au développement de l’économie numérique avait lancé un appel à projet des « serious game » : « un terme inventé par les américains pour qualifier une catégorie de jeux vidéos dont la vocation première est de transmettre un contenu, de servir un apprentissage, de développer une compétence » , dans les domaines de la santé, l’éducation, la défense, la sécurité civile, et le français comme langue étrangère..

Si dans le cadre du volet numérique du plan de relance de développement des « serious games », 30 millions d’euros avait été débloqué pour la réalisation d’outils professionnels recourant à des techniques issues du jeu vidéo, aucune initiative de nature à préciser le statut juridique du jeu vidéo n’avait été lancée.

Ce besoin de précision s’avérait d’autant plus crucial lorsque l’on considère qu’en l’espace de 10 ans le jeu vidéo a été qualifié par la jurisprudence successivement : d'œuvre logicielle, d’œuvre collective, d’œuvre de collaboration, d’oeuvre audiovisuelle, puis à la fois de logiciel et d’œuvre de collaboration de manière distributive .

Ces fluctuations jurisprudentielles n’aidaient pas à sécuriser les accords relatifs à la production et à l’exploitation des jeux vidéo, sachant qu’il n’est pas d’une efficacité absolue de déterminer a posteriori le régime juridique applicable à un produit.

Le rapport sur la sécurisation du régime juridique du jeu vidéo était donc très attendu par les juristes du secteur, mais surtout par les professionnels. Enfin, pensions-nous, toutes les directions de réflexion allaient être précisées, les peurs discutées et évacuées, et le statut du jeu vidéo définitivement clarifié et sûr.

A cet effet, le président de cette commission, Patrice Martin-Lalande a auditionné les professeurs de droits et avocats les plus autorisés en la matière, les dirigeants des entreprises de jeux vidéo les plus performantes (Ankama, Ubisof, Vivendi etc.), les représentants des organisations professionnelles les plus diverses (AFJV, EGDF, SELL, SNJV etc).

Alors que ce rapport a effectivement rappelé dans ses premières pages, les risques pour le jeu vidéo de n’avoir pas de statut déterminé et réservé, qu’il a, bien sur, stigmatisé les dangers de l’instabilité de décision judiciaires rendues en la matière, qu’il a constaté « un investissement insuffisant des professionnels sur les questions juridiques » et « l’absence de juristes dans la plupart des studios ». Les sociétés du domaine étant des sociétés trop petites pour embaucher un juriste spécialisé, susceptible de leur offrir suivi juridique avisé et ad hoc, Monsieur Martin-Lalande conclura que finalement, il n’y aura pas de création d’un statut juridique du jeu vidéo en France.

Une telle conclusion est étonnante et les motifs essentiels retenus pour la justifier le sont aussi : il s’agit d’ « une définition fuyante du jeu vidéo », de « la difficile détermination des auteurs d’un jeu vidéo », de « la faible revendication de la qualité d’auteur par les créateurs salariés des studios », de « l’absence de typologie des métiers de la production du jeu vidéo »et de « la rareté des contentieux portés devant les tribunaux » !

Ces constats laissent l’impression désagréable que le rédacteur lui-même, n’a pas cru que prendre le parti de créer un statut ad hoc qui aurait eu pour conséquence d’apporter cette réponse aux questions que les différentes personnes entendues dans le cadre de sa mission, lui avaient sans doute posées.


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