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Carlton : l’amertume des avocats de DSK

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 19/02/2015

Il y avait de l'amertume, de la colère aussi, dans les voix de Frédérique Baulieu, Richard Malka et Henri Leclerc lorsqu'ils se sont levés, mercredi matin 18 février, en défense du plus célèbre des quatorze prévenus de l'affaire du Carlton. … Continuer la lecture

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Dessin : François Boucq

Dessin : François Boucq

Il y avait de l'amertume, de la colère aussi, dans les voix de Frédérique Baulieu, Richard Malka et Henri Leclerc lorsqu'ils se sont levés, mercredi matin 18 février, en défense du plus célèbre des quatorze prévenus de l'affaire du Carlton. La veille, le procureur Frédéric Fèvre avait requis la "relaxe pure et simple" de l’ancien directeur général du FMI pour le délit de proxénétisme aggravé qui lui est reproché. Ces réquisitions étaient attendues et, au vu des débats de ces deux semaines d'audience, tout laisse à penser qu'elles seront suivies par le tribunal.

Les avocats auraient pu en être apaisés, ils ne le sont pas complètement. Eux n'ont attendu ni le procès, ni les réquisitions du procureur pour mesurer la fragilité de la "pyramide de sable" - l'expression est de Me Malka - que constituait le dossier d'accusation contre leur client.

Ce que chacun semble découvrir aujourd'hui, ils l'ont soutenu pendant trois ans dans le cabinet des juges d'instruction. Au dehors, ils s'étaient tus. Par choix de défense, mais surtout parce qu'ils savaient qu'ils ne seraient pas entendus. "Une sodomie bien traitée, c'est tellement plus vendeur qu'une déclaration d'innocence !" a soupiré Me Henri Leclerc. Alors bien sûr, maintenant qu'on les écoute, ils ont quelques comptes à régler, avec les juges d'instruction, avec la presse, avec certaines parties civiles et ils ne vont pas s'en priver.

Dessin : François Boucq

Dessin : François Boucq

Me Frédérique Baulieu est la première à s'exprimer. Pénaliste réputée qui fuit les journalistes, réserve sa rigueur à ses clients et sa drôlerie à ses amis, elle est celle qui, dans l'équipe de défense, a suivi le dossier du Carlton au plus près. Elle était aux côtés de Dominique Strauss-Kahn lorsqu'il a été placé en garde à vue, elle a assisté à son premier interrogatoire chez la juge d'instruction.

"Tout était là, il y avait déjà d'étranges questions" sur les pratiques sexuelles de l'ancien directeur du FMI, se souvient-elle. Elle raconte "la débauche de moyens d'investigation" déployés dans ce dossier, les comptes bancaires de Dominique Strauss-Kahn et de ses proches "examinés à la loupe", les dix-huit pages d'interrogatoire consacrées à sa téléphonie et à ses échanges de SMS qui seront, dit-elle, "utilisés, interprétés de manière déloyale".  Dès le départ, affirme Me Baulieu, "le droit a été tordu dans cette affaire, détourné de sa finalité, tout comme l'ont été les faits, dans une construction folle." 

A l'audience, l'avocate avait endossé la charge délicate d'interroger les jeunes femmes ex prostituées promues au rang d'accusatrices principales de Dominique Strauss-Kahn par les juges d'instruction. Sur ce sujet aussi, Me Baulieu a des choses à dire. Elle parle de Jade, "de ses certitudes, de sa rédemption et de sa croisade" qui lui fait "parfois réécrire l'histoire". "J'ai de l'estime pour elle car elle a décidé de vaincre une vie de fracas. J'aime les gens qui se battent, ajoute Me Baulieu, mais j'en veux à ceux qui ont fait d'elle le symbole qu'elle est devenue."

De la colère, Me Baulieu en a encore en réserve contre l'avocat de la seule partie civile, l'association du Nid, qui reste aujourd'hui constituée contre Dominique Strauss-Kahn – les ex prostituées ayant annoncé qu’elles retiraient la leur. Prenant acte de la fragilité des charges qui pèsent sur l'ancien patron du FMI, Me Emmanuel Daoud avait lancé au tribunal : "Vous le relaxerez mais nous ne serons pas dupes ! " "Ça veut dire quoi ? demande Me Baulieu. Que cet homme est un salaud et un salaud de la pire espèce puisqu'il s'en sort ? Ça suffit les anathèmes!".  Bravache, elle conclut : "J'ai été fière de défendre Dominique Strauss-Kahn parce que face à tout cela, il a tenu, il s'est tenu."

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Me Richard Malka, lui, se charge de demander des comptes à la presse. "Trois années d'instruction, trois années de violation du secret de l'instruction", lance t-il en exhibant une affiche du Monde annonçant la publication de certains procès-verbaux d'audition de l'ancien directeur du FMI. Cette affaire, poursuit Me Malka, a "transformé 60 millions de Français en voyeurs. Dominique Strauss-Kahn a été essentialisé à sa seule activité sexuelle. Lequel d'entre nous aurait survécu à cela ?".  Il raconte cette anecdote : parmi les SMS de Dominique Strauss-Kahn qui ont fuité pendant l'instruction, figure notamment celui dans lequel il demandait à son ami Fabrice Paszkowski s'il venait "avec du matériel" , le mot désignant des femmes libertines. "Ce mot, il ne l'a utilisé qu'une fois, dit Me Malka. J'ai tapé hier sur Google "DSK et matériel", il apparaît dans 493 000 recherches !"

Dans la composition parfaite de la défense de Dominique Strauss-Kahn - une femme pour le sexuellement incorrect, l'avocat de Charlie Hebdo pour dénoncer les dérives de la presse -  voilà que s'avance le troisième pilier, Me Henri Leclerc, ancien président de la Ligue des droits de l'homme.

Le président Bernard Lemaire et ses deux juges assesseurs se penchent un peu plus sur leur pupitre pour écouter l'avocat, soixante ans de robe à la barre, qui leur parle du droit, de la liberté et de loi.  "La seule vertu, c'est d'appliquer la loi, rien que la loi, toute la loi ", dit-il. "Vertu",  il n'y avait que Henri Leclerc pour oser prononcer ce mot-là dans ce procès-là.

Procès du Carlton : 3 avocats, 3 plaidoiries, 3... par lemondefr


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