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A propos de la légitimité et de l'élection des juges

Paroles de juge - , 12/03/2012

Par Michel Huyette


  La question de la légitimité des juges est un serpent de mer qui refait régulièrement surface notamment quand des décisions judiciaires déplaisent. Plutôt que de discuter le fond des dossiers, les intéressés, pour contourner l'obstacle, s'en prennent directement aux magistrats pour, sous couvert de débat sur leur légitimité, tenter de minorer l'impact de leurs décisions.

  Ce débat a été remis à l'ordre du jour il y a quelques années quand, après une longue période de quasi impunité judiciaire, des chefs d'entreprises et des élus ont été poursuivis pour diverses malversations sanctionnées par le code pénal. A tel point que, pour détourner l'attention de ces infractions, le débat a été lancé sur le "gouvernement des juges" (lire ici). Puis les choses se sont tassées. Le fait que même les élites se voient appliquer la loi est devenu progressivement (presque..) banal, ce qui par voie de conséquence a mis de côté le débat sur la légitimité des juges.

  Le débat a dans une certaine mesure refait surface il y a peu de temps par le biais d'affirmations de plus en plus fréquentes selon lesquelles les juges seraient trop indulgents avec les délinquants, alors que les citoyens revendiqueraient beaucoup plus de sévérité. Il y aurait nous dit-on un fossé devenu inacceptable entre les deux à cause de l'incapacité des premiers à entendre et satisfaire les seconds.

  Cette prétendue insuffisante prise en compte des attentes répressives de la population a été avancée pour justifier la venue des citoyens-assesseurs dans les tribunaux correctionnels (lire ici, ici, ici). Comme cela a déjà été indiqué ici, il est peu probable que la présence de ces juges d'un jour change beaucoup les décisions prononcées. La longue expérience de la cour d'assises démontre depuis longtemps que globalement la vision des sanctions appropriées est à peu près la même de la part des juges et des jurés.


  Par ailleurs, nous avons très récemment signalé le livre de Jacques Krynen (lire ici). Et c'est surtout parce qu'un chapitre entier est consacré à la légitimité des juges, et notamment à leur éventuelle élection, qu'il peut sembler utile de s'arrêter quelques instants sur cette problématique.


  - Juger n'est pas décider du bien et du mal sous un chêne, à l'issue d'une réflexion avec soi même. Juger, plus encore aujourd'hui qu'hier, c'est appliquer des normes parfois complexes pour solutionner des litiges de toutes sortes. Non il n'est pas forcément simple de régler un conflit en matière de sécurité sociale (allez jeter un coup d'oeil ici, ici, ici), de droit du travail (regardez ici, ici), de droit civil (et puis aussi ici), de droit de l'exécution (amusez-vous ici), de droit commercial (voyez ici, ici), de droit pénal (exemples ici, ici, ici, ici, ici) ou encore de procédure pénale (regardez ici, ici, ici).

  Sans doute le quotidien des magistrats est-il aussi constitué pour partie de dossiers plus simples. Mais celui qui devient magistrat doit avoir la capacité intellectuelle de traiter tous les dossiers, des plus simples aux plus complexes. C'est bien pour cela que le premier critère qui doit être pris en compte lors du recrutement de magistrats est celui des connaissances juridiques acquises qui doivent être particulièrement amples.

  Alors de deux choses l'une. Soit ceux qui évoquent l'élection des juges pensent que pour régler des litiges aussi complexes que ceux proposés ci-dessus à titre d'exemple il n'est pas besoin de connaissances juridiques..... Ce qui se passe de commentaires. Soit le principe de l'élection est retenu mais ne pourront alors s'y présenter que des juristes de haut niveau. Il n'y a plus alors qu'un semblant d'élection.

  C'est bien pourquoi, au demeurant, personne ne songe un seul instant à proposer l'élection des médecins, des commissaires de police, ou des enseignants. L'élection n'a jamais, à elle seule, octroyé la compétence à l'élu. 


  - On est ensuite assez perplexe au moment d'imaginer sur quels critères les électeurs choisiraient tel candidat plus qu'un autre.

  Un candidat juge qui serait à nommer aux affaires familiales, qui s'occuperait donc notamment du divorce et de ses suites, devrait-il aller rencontrer les associations de pères pour leur promettre qu'il est très soucieux que les pères aient vraiment les mêmes droits que les mères après divorce puis, pour récolter encore d'autres voix, aller voir les associations de femmes en jurant la main sur le coeur qu'il est convaincu que les plus jeunes enfants sont mieux avec les femmes qu'avec les hommes ?

  Qui imagine un futur juge pénal aller faire campagne dans les banlieues en expliquant que même si des infractions sont commises par ceux qui y habitent il comprend la situation douloureuses des habitants délaissés par les pouvoir publics, puis passer par les quartiers chics pour proclamer qu'il sera toujours impitoyable avec toutes formes de délinquance et notamment celle des marginaux des banlieues qui les dérangent dans leur bien être quotidien ? 

  Enfin, est-il certain que ce serait un réel progrès qu'un juge devant aller dans un conseil de prud'hommes comme juge départiteur, ou plus encore dans une chambre sociale de cour d'appel, fasse campagne auprès des employeurs en leur affirmant qu'il est bien conscient que leurs obligations doivent être entendues de façon très libérale afin de les gêner le moins possible dans la gestion de leur entreprise, avant d'aller frapper à la porte des syndicats pour leur promettre d'être impitoyable avec les patrons qui abusent en permanence de la situation de faiblesse des salariés ?

  Une élection suppose plusieurs candidats pour un même poste. Alors, qui va se lancer pour expliquer comment (sur la forme)  et sur quels critères (sur le fond) un candidat magistrat devrait demain faire campagne ? Car ce que l'on constate la plupart du temps chez ceux qui sont en faveur de l'élection des juges c'est qu'ils se risquent rarement à préciser quels pourraient/devraient être les critères de choix des électeurs.


  Au demeurant, c'est bien parce que les juges doivent être autant que possible imperméables aux influences extérieures qu'ils disposent d'un statut protecteur, tant au niveau du déroulement de leur carrière (le principe de l'inamovibilité exclut de faire pression sur eux par le biais des mutations) que de leur travail quotidien (le ministère de la justice adresse des consignes sous forme de circulaires aux magistrats du ministère public, pas aux juges du siège, ceux qui prennent au final les décision).

  Cette distance avec les influences extérieures semble bien, par définition, incompatible avec une désignation par élection qui suppose que, pour se faire élire, le candidait tente de plaire aux électeurs en allant au devant de leurs souhaits. Et en multipliant les promesses en tous sens.

  Et puis une fois le mandat terminé, sur quels critères un juge serait-il élu pour un autre mandat ? Sur le contenu de ses décisions ? Mais là encore quels seraient les critères aboutissant à considérer que les décisions sont "bonnes" ou mauvaises" ? Les décisions des juges aux affaires familiales sont décrites comme excellentes par les parents qui obtiennent gain de cause et commes aberrantes par les autres. Les décisions des chambre sociales sont appréciées des salariés quand les juges leur donnent raison et par les employeurs quand les demandes des salariés sont rejetées. Et au pénal il arrive fréquemment que la sanction soit estimée excessive par le condamné tout en étant en même temps considérée comme exagérément laxiste par la victime.

  Mais supposons un instant qu'il soit possible, par exemple grâce à des sondages, de savoir quelles sont les attentes de certaines catégories de population en matière de décisions judiciaires. Les juges devraient-ils alors, pour s'assurer un maximum de suffrages et se faire ré-élire, prononcer des décisions qui sont avant tout conformes à ces attentes même si elles sont, parfois, contraires à leurs convictions ?



  - Il est parfois rappelé que les juges rendent leurs décisions "au nom du peuple français". Il est exact que la formule apparaît encore sur les décisions de la cour de cassation (sur les originaux mais pas dans celles qui sont mises en ligne sur le site internet de la juridiction, cf. ici). Mais a-t-elle encore un sens ?

  Au nom de quel "peuple" les juges sont-ils supposés travailler ? Le peuple d'en haut ou celui d'en bas ? Le peuple de gauche ou celui de droite ? Celui qui est pour des sanctions très sévères à chaque fois que possible ou celui qui préfère la résinsertion à l'exclusion ? Celui qui est un lecteur assidu de la Convention européenne des droits de l'homme ou celui qui dénonce une institution européenne qui prive le législateur français du droit de voter les lois qu'il veut ?

  La notion de peuple au nom duquel la justice serait rendue n'est qu'un mythe. A propos du droit et de la justice, les avis, les points de vue, les idéologies sont nombreux et variés. Et les extrèmes sont parfois très éloignés, en tous cas inconciliables. 

  Au demeurant, les juges ne sont pas imperméables à leur environnement. Ils sont à l'écoute des commentaires en tous genres sur la justice et les décisions prises. Et ils en tiennent compte quand apparaissent de visibles et raisonnables courants de pensée.  Cela fût le cas il y a quelques années en matière de répression des infractions routières. La demande d'une plus grande sévérité a été fortement exprimée, notamment par des associations de victimes qui ont lancé un sérieux débat sur le lien entre sévérité des peines et réduction des conduites à risques. Le fait de souligner plus ouvertement y compris dans des campagnes télévisuelles les parfois très graves conséquences physiques des accidents a également été un élément important. Le sujet est devenu un véritable sujet de société. Et l'on a vu les condamnations être de plus en plus sévères, sans que le code pénal soit en quoi que ce soit modifié. 

  Mais en même temps l'indépendance des juges vis à vis du "peuple" permet de résister à des demandes émanant de groupes minoritaires et qui ne sont pas pleinement justifiées, en tous cas qui ne semblent pas être approuvées par une grande majorité du corps social. Quand bien même certains groupes savent attirer l'attention des medias et diffuser leur propagande. 


  Le système actuel qui nomme aux fonctions judiciaires des techniciens du droit n'est peut être pas le meilleur. il présente quand même de nombreux et très importants avantages même s'il peut aussi avoir quelques faiblesses. Il en va ainsi de la formation des intéressés qui peut encore être améliorée.

  Mais l'élection des juges est  un système qui présente sans doute nettement plus d'inconvénients que d'avantages. Notamment parce que l'élection n'a jamais été un gage de compétence, mais aussi et surtout parce que la justice doit rester éloignée des revendications simplistes, des passions ponctuelles, des pressions partisanes.


  Le débat autour de la légitimité des juges n'est donc probablement pas un débat prioritaire. Si des critiques doivent être émises contre le travail des magistrats, elles doivent s'appuyer sur un examen rigoureux et honnête des pratiques judiciaires, de même que sur une lecture attentive de la motivation des décisions que les medias laissent trop souvent de côté.

  Ce qu'un citoyen est en droit d'attendre du juge c'est une décision motivée qui résout un litige, qui met fin à un conflit, qui sanctionne ce qui doit l'être, cela en conformité avec le droit. De la même façon que l'on demande à un médecin de faire le bon diagnostic et de prescrire le traitement efficace, ou à un enseignant de transmettre pédagogiquement les connaissances à ses élèves.

  Pas de plaire.

   

 


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