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« MUST CARRY » et Internet

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Patrick Boiron, 27/11/2014

Depuis février 2009, le site www.playtv.fr offre un service de diffusion gratuite et sans abonnement de chaînes de télévision. La société Playmédia, propriétaire du site Playtv, avait demandé à France Télévision l’autorisation de diffuser ses programmes sur Internet. France télévision a répondu qu’il était impossible d’accorder cette autorisation car France-Télévision ne disposait pas des droits Internet sur tous ses programmes. Playmédia a décidé, malgré le refus de France-Télévisions, de distribuer néanmoins les chaînes de ce groupe. De son côté, France télévision organisait elle-même l’accès à ses programmes sur Internet et en 2012 mettait en ligne un service d’annonce des programmes ainsi qu’une application spécifique Internet (« Salto »). Playmédia a alors assigné France-Télévisions en concurrence déloyale devant le Tribunal de Commerce de Paris le 25 mai 2012. Ce dernier s’est déclaré incompétent, incompétence confirmée par la Cour d’appel par arrêt du 15 janvier 2013.
Parallèlement à la procédure judiciaire, Playmédia avait saisi le CSA du litige l’opposant à France télévision. Le CSA, dans une décision du 23 juillet 2013 acceptée par les deux parties, demandait à Playmédia de mettre en conformité ses activités avec les règles applicables, incluant une contribution compensatoire pour le bénéfice tiré de la diffusion de tels services télévisuels. Playmédia mettait alors en place un double système de consultation des chaînes de télévision, pour répondre aux exigences du CSA.
L’affaire judiciaire était alors portée devant le Tribunal de grande instance de Paris, à la suite du jugement d’incompétence du Tribunal de commerce. Playmédia demandait que son site « Playtv » soit reconnu comme étant soumis à l’obligation du « must carry », institué par la loi du 30 septembre 1986 qui impose à tout distributeur de services audiovisuels de reprendre et diffuser gratuitement la totalité des chaînes de France-Télévisions de manière intégrale et simultanée et que, en conséquence, France Télévisions devait conclure à cet effet un contrat avec Playmédia.

France Télévisions a contesté les demandes de Playmédia au motif que le régime du « must carry » était inapplicable, non seulement en raison de l’inéligibilité de Playmédia à ce régime, mais aussi en raison de l’impossibilité de la reprise intégrale et simultanée des services de France-Télévision, condition du « must carry », car France Télévisions ne disposait pas des droits de propriété intellectuelle lui permettant la diffusion de tous les programmes sur Internet. France télévision, à titre reconventionnel, demandait au Tribunal de condamner Playmédia pour contrefaçon de droits de propriété littéraire et artistique car le site de cette société diffusait des œuvres protégées par ces droits, sans autorisation.

Par un jugement en date du 9 octobre 2014, le Tribunal de grande instance a donné raison à France Télévisions en déboutant Playmédia de la totalité de ses demandes et surtout en accueillant positivement le grief de contrefaçon, condamnant Playmédia à payer à France Télévisions 1 million d’euros en réparation du préjudice subi au titre des droits d’auteur et des droits voisins et 25 000 € au titre de l’atteinte aux marques pour avoir diffusé sans autorisation des œuvres audiovisuelles protégées par les droits d’auteur et les droits voisins et pour avoir fait mention de marques appartenant à France Télévisions. Le Tribunal concluait également que France Télévisions avait légitimement refusé de conclure un contrat avec Playmédia.

Cette décision vient confirmer d’une part que l’obligation qui pèse sur France-Télévision de laisser ses programmes être distribués sous le régime du « must carry » n’est pas automatique mais liée à l’appréciation de la qualité du distributeur, et notamment du nombre de ses abonnés ; d’autre part que l’exception à la protection par les droits de propriété littéraire et artistique, que présuppose le « must carry », exige la signature d’un contrat avec l’éditeur de programmes, lequel reste, in fine, le maître du jeu.


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