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Xynthia, fenêtre sur France

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 16/09/2014

On devrait écouter plus souvent les historiens. En trois heures de déposition, mardi 16 septembre, Thierry Sauzeau, maître de conférences à l'université de Poitiers, cité à l'initiative des parties civiles défendues par Me Corinne Lepage, a donné au procès Xynthia, … Continuer la lecture

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On devrait écouter plus souvent les historiens. En trois heures de déposition, mardi 16 septembre, Thierry Sauzeau, maître de conférences à l'université de Poitiers, cité à l'initiative des parties civiles défendues par Me Corinne Lepage, a donné au procès Xynthia, une dimension bienvenue. Celle d'un précipité d'histoire nationale,  de ses rêves particuliers et ses aveuglements collectifs.

Au commencement est une langue de sable, dans le sud de la Vendée, peu à peu conquise sur l'océan, par l'assèchement de marais et la construction de digues de vase. A la Faute-sur-Mer, petit village de paysans jusqu'à la moitié du XXème siècle, on se méfie de la mer et on lui tourne le dos.  Régulièrement, l'océan rappelle d'ailleurs son hostilité. En 1937, puis en 1940 et encore en 1957, de fortes tempêtes inondent les terres.

Les habitants qui ont appris à vivre avec l'aléa marin, sont prudents. "Ils sont sensibles au risque et font en sorte de ne pas se mettre en situation de vulnérabilité", rappelle l'historien. Les rares maisons sont construites sur les points les plus hauts, leurs occupants vivent à l'étage, le rez-de-chaussée est réservé au garage, et le bas des terres n'est occupé que par le bétail et les cultures.

Soixante ans plus tard, en 2009, la Faute-sur-Mer compte 916 habitants mais jusqu'à 20.000 résidents pendant les deux mois d'été. Le "désir du rivage" selon la belle expression de l'historien Alain Corbin, a déversé ses "papy boomers" sur la côte vendéenne et les rares voix qui s'élèvent encore pour rappeler le danger de l'océan, sont inaudibles.

Qui voudrait les entendre? Le rêve pavillonnaire "de plain-pied" des nouveaux résidents rencontre l'intérêt bien compris des propriétaires fonciers, qui voient le prix de leurs terres agricoles s'envoler dès lors qu'elles deviennent constructibles et n'ont de cesse d'obtenir de leurs élus qu'elles le deviennent. Ces derniers se rêvent en bâtisseurs - d'autant que certains le sont dans leur vie professionnelle - revendiquent leur part de l'afflux touristique qui enrichit les autres communes du littoral, les impôts fonciers rentrent dans les caisses et avec eux les emplois de commerçants. La nature elle-même semble de la partie. Pendant plus de quarante ans, de 1957 à 1999, aucune submersion ne vient troubler l'enthousiasme touristique sur ce coin de territoire.  Une "rémission des catastrophes" qui peu à peu encourage à la "perte de mémoire collective", souligne Thierry Sauzeau.

Mais comme le rappelle à cet instant le président du tribunal Pascal Almy, la génération des bâtisseurs est celle-là même qui a connu, enfant ou adolescent, le dernier épisode de tempête en 1957. "Elle avait la connaissance du risque, confirme l'historien, elle n'a pas assuré le passage de témoin. Ce risque, il fallait au contraire l'oublier et le faire oublier".

 Dans la nuit du samedi 27 au dimanche 28 février 2010, c'est sur un littoral "sans racines et sans mémoire" que s'abat la tempête Xynthia. Les nouveaux habitants, des résidents secondaires pour la plupart, représentent plus de 80% de la population. Thierry Sauzeau donne une précision terrible: cette nuit là, aucun des 29 morts de la catastrophe ne vivait dans une maison antérieure à 1960.


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