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Entre les "complices" des Gilets jaunes et BHL, une voie étroite ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 24/03/2019

Mais ma voie étroite est que je me garderais bien de me moquer. Je le prends au sérieux tout en considérant qu'il ne suffit pas d'être pour tout et n'importe quoi aux côtés des Gilets jaunes et de n'avoir guère la parole dans les médias pour être forcément remarquable. A la pensée qui tourne en rond sur elle-même et n'avance pas, je préfère celle qui écoute, s'invente et accepte de ne pas se noyer dans des généralités facilement belliqueuses en oubliant le bénéfice, le trésor de la nuance. Modestement, avec ce billet, je verse mon écot au débat public et médiatique.

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J'espère échapper toujours à la tentation de confondre l'essentiel et l'accessoire, la lune avec le doigt qui la regarde et les Black Blocs avec la majorité des Gilets jaunes.

A la suite du maintien de l'ordre qui a été à peu près correctement assuré à Paris et dans d'autres cités le 23 mars, je ne ferai pas la fine bouche. Je me réjouis de m'être trompé sur le risque, même parfaitement encadré, du recours aux militaires de Sentinelle et j'espère une réussite aussi éclatante quand les Black Blocs décideront de faire à nouveau irruption dans Paris. Cette légère crainte atténue mon contentement d'aujourd'hui.

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Ces casseurs politisés, en réalité des voyous de droit commun, devinaient qu'après la journée du 16 mars, l'habileté consistait à laisser passer un peu de temps pour réapparaître plus tard avec autant de malfaisance.

On a beau être habitué aux pétitionnaires compulsifs - je songe par exemple à Eric Fassin ou à Geoffroy de Lagasnerie qui ne sont jamais en retard d'une protestation collective -, j'avoue avoir été surpris, même choqué par le fait que 350 universitaires se proclamant "spécialistes des questions de mouvements sociaux, de maintien de l'ordre et de violence politique" se déclarent, dans un texte publié le 22 mars dans une revue de la gauche radicale, "complices des Gilets jaunes" pour s'opposer au président de la République qui avait soutenu que les personnes se rendant dans des manifestations violentes étaient "complices du pire" (L'Obs).

Je relève que cette contribution trop partiale et inadaptée pour convaincre est d'autant plus surréaliste qu'elle nous a été offerte la veille du pire des samedis, ce 23 mars qui a suscité une indignation générale, notamment à cause du caractère reprochable des modalités du maintien de l'ordre et, surtout, de la liberté laissée aux casseurs, aux pilleurs et aux incendiaires.

Il est donc stupéfiant, au regard de ces événements où des personnes ont failli perdre la vie, habitants et policiers, qu'on mette en cause "les tendances autoritaires" du pouvoir et en substance le contenu de la loi anticasseurs dont la promulgation est retardée sans qu'elle soit, je le souhaite, amputée de l'essentiel par le Conseil constitutionnel.

Sans tourner aucunement en dérision ces lanceurs d'une alerte décalée et inappropriée, comment les juger cependant avec "leur appel solennel" pour prévenir la population "des graves dangers" que le gouvernement, sa majorité parlementaire, la police et la justice "font peser sur les libertés publiques et les droits humains" ? Comment qualifier une démarche qui, de manière aussi peu lucide, avec un aveuglement caricatural sur ce qui risquait de se dérouler (la réalité du 23 mars), se trompe de cible, prenant les menaces pour des avancées et la sauvegarde de l'ordre public, des personnes et des biens pour une honte démocratique alors que c'est au contraire, enfin, à l'honneur de la République ?

Je note qu'aucun de ces universitaires "spécialistes" n'a eu l'élégance de revenir sur cette injonction plurielle du 22 mars à cause du saccage et de la sauvagerie du 23.

Alors, quand Bernard-Henri Lévy qui, pour être partout, n'est pas toujours à contresens de la vérité, dénonce "ces 350 universitaires qui s'inventent un péril autoritaire et policier" et analyse cet appel comme l'expression "d'une martyrologie adolescente", il a totalement raison et se place du côté du bon sens. Avec une intuition qu'il convient de saluer.

Mais pourquoi la voie étroite entre lui et les "complices" des Gilets jaunes ?

Parce que, dans son tweet, il continue à pourfendre ces derniers qui seraient porteurs d'un "nihilisme mortifère" et qu'ailleurs, il vitupère leur "dimension fascisante et nauséabonde". Ces appréciations trop rudes ne sont pas pas absurdes pour une part du terreau profond, obscur de ce mouvement inédit qui dure mais elles ne sauraient le résumer tout entier.

En tout cas, ce qui est mépris ou contestation sans compréhension m'est étranger. Tout ce qui est populaire, même sans avoir le droit de revendiquer l'ensemble des classes populaires, n'est pas forcément populiste, haineux et démagogique. Je continue pour ma part à me battre sur une mince crête qui justifie l'autorité de l'Etat (quand enfin elle se manifeste pour sauver la tranquillité et la paix publiques) et ne jette pas aux chiens, globalement, la cause des Gilets jaunes en noyant son côté salubre dans ses aspects excessifs, haineux et transgressifs.

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Prenons pour exemple Etienne Chouard, "l'idole des Gilets jaunes".

Mon ami Didier Maïsto, le président de Sud Radio, a décidé de le faire inviter chaque jeudi sur cette antenne pour un débat avec une personnalité différente. J'ai écouté les trois dialogues qui durent un peu moins d'une heure chacun.

Le premier a permis à Raphaël Enthoven de le dominer dans la forme, pourtant sur le thème où Etienne Chouard est sinon le plus pertinent, du moins le plus stimulant : la crise de la démocratie représentative et la proposition du RIC. Le deuxième, au sujet de l'indexation des retraites, a libéré une authentique indignation sociale mais avec des outrances dans l'oralité qui gâchaient son propos éruptif. Le troisième, en revanche, sur le maintien de l'ordre, la violence et les médias m'est apparu très pauvre à cause de ses provocations simplistes qui faisaient douter de l'utilité de sa présence hebdomadaire régulière.

Le problème ne tenait pas à son prétendu compagnonnage avec Alain Soral mais à la réduction de sa pensée à de gros traits caricaturaux du genre : tous les journalistes sont corrompus et aux ordres.

Mais ma voie étroite - un centrisme qui ne serait pas de fuite mais de responsabilité - est que je me garderais bien de me moquer. Je le prends au sérieux tout en considérant qu'il ne suffit pas d'être pour tout et n'importe quoi aux côtés des Gilets jaunes et de n'avoir guère la parole dans les médias - honneur donc à Sud Radio - pour être forcément remarquable. A la pensée qui tourne en rond sur elle-même et n'avance pas, je préfère celle qui écoute, s'invente et accepte de ne pas se noyer dans des généralités facilement belliqueuses en oubliant le bénéfice, le trésor de la nuance.

Modestement, avec ce billet, je verse mon écot au débat public et médiatique.


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