Actions sur le document

Une gifle, un maire et beaucoup d’incompréhension

Chroniques judiciaires - prdchroniques, 3/02/2012

A la barre, vendredi 3 février, se tient un homme un peu rond, aux cheveux tout blancs. Maurice Boisard, 63 ans, maire de Cousolre, une petite commune du Nord, comparaît devant le tribunal pour "violence par personne dépositaire de l'autorité … Continuer la lecture

Lire l'article...

A la barre, vendredi 3 février, se tient un homme un peu rond, aux cheveux tout blancs. Maurice Boisard, 63 ans, maire de Cousolre, une petite commune du Nord, comparaît devant le tribunal pour "violence par personne dépositaire de l'autorité publique". Le 24 août 2010, il a donné une gifle à un grand adolescent qui venait d'escalader le grillage entourant l'un des bâtiments municipaux pour récupérer un ballon de foot.
"La goutte d'eau. Je voudrais vous expliquer le contexte", dit-il au juge.
Maurice Boisard raconte, et on y est dans sa commune, qui ressemble à mille autres. Une poignée de jeunes qui parlent fort, tard et traficotent sous les fenêtres, des habitants qui ronchonnent, un maire qui s'agace, un arrêté municipal qui tombe interdisant les rassemblements à certains endroits du village, les provocations qui s'en suivent, tags, insultes, bris de vitres d'un côté, signalements qui s'accumulent chez les gendarmes de l'autre. Et puis l'ennui, le désœuvrement des longues journées d'été qui ne vient rien arranger.

"Le grillage était tout neuf. Il avait coûté 10 000 euros à la commune. Pour un village comme le nôtre, ce n'est pas rien", dit le maire. En cet après-midi d'août, Maurice Boisard aperçoit depuis les fenêtres de son bureau un des jeunes de la commune qui escalade le grillage, "alors qu'ils savent que la clé est à leur disposition" pour passer de l'autre côté.
Ce jeune, il le connaît bien. C'est le chef de la petite bande, dit-il. Celui qui, deux mois plus tôt, était venu rigoler à quelques pas de lui, "pendant qu'avec les anciens combattants, on commémorait le 18 juin". Celui qui se met ostensiblement devant sa voiture lorsqu'il va chercher son petit-fils à la sortie de l'école communale. Celui qu'il soupçonne aussi d'être l'auteur des tags qui fleurissent ça et là sur les murs des bâtiments.

"Je suis sorti. Je lui ai dit : 'tu arrêtes de te foutre de ma gueule'. Demain matin, tu iras au poste, raconte le maire. Il m'a répondu : 'C'est pas toi qui va m'empêcher de faire ce que je veux'. Il m'a insulté, m'a traité de 'bâtard' et la claque est partie. J'ai jamais donné de gifle à personne dans ma vie. J'ai eu un geste instinctif, c'est pas la meilleure chose que j'ai faite. Je le regrette." Il ajoute, un peu plus bas : "Je ne cherche pas à excuser ma gifle, j'aurais pas dû le faire. Mais le problème, il vient peut-être de comment il a été élevé ce garçon..."

La suite de l'affaire est racontée sur procès-verbaux par les copains du jeune homme, témoins de la scène. L'humiliation qui fait sortir l'adolescent de ses gonds, les insultes qui pleuvent – "Fils de pute, je vais niquer ta mère, attends si t'es un homme, je vais te tuer" – le coup de poing qui part mais qui n'atteint pas le maire car les autres s'interposent, la colère, toujours, qui pousse le mineur à rentrer chez lui, à prendre deux couteaux qu'il glisse dans ses chaussettes et à revenir sur la place de la mairie avant d'être calmé et désarmé par ses amis. Le maire porte plainte pour outrages (le garçon a été condamné depuis), les parents déposent plainte à leur tour contre l'édile, pour "violences".

"D'être ici, j'ai un peu de mal à m'en remettre, dit le maire. Je ne sais pas trop quoi faire. Je sais bien que faire régner l'ordre dans sa commune, c'est impopulaire. Mais alors quoi, il faut laisser faire et réparer... On est désarmés...". Derrière lui, les maires des communes avoisinantes et quelques élus municipaux de Coulsore, venus apporter leur soutien à leur collègue, hochent la tête.

Maurice Boisard poursuit : "C'est pas contre les jeunes. Dans la commune, j'ai organisé un voyage pour la jeunesse parce que je sentais que les jeunes étaient jaloux des aînés qui avaient le leur." Il dit encore : "Croyez-moi, la fonction de maire, elle n'est pas toujours facile à assumer."

Les premiers mots du procureur, Bernard Beffy, glacent l'auditoire. "Le jour de gloire est arrivé, Monsieur le maire! Vous avez votre récompense : la notoriété et votre statut de victime expiatoire !" Au prévenu, il reproche d'avoir refusé la médiation et le plaider-coupable qui lui avait été proposé, moyennant le paiement d'une amende de 600 euros. "Vous vouliez le tribunal, parce que vous vouliez une tribune !", lui lance-t-il. Il s'en prend avec la même agressivité aux élus – pour la plupart des maires sans étiquette de petites communes et d'autres, sympathisants ou militants du PS – venus soutenir leur collègue et à leur "corporatisme un peu primaire". Il ironise avec lourdeur : "On voudrait savoir, Coulsore, c'est Chicago des années 30 ? Heureusement que vous n'êtes pas maire de Montfermeil, Monsieur Boisard !"

Et la charge continue, sur le même ton.
— Avez-vous mis en place un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance ?
— Mais on est une commune de 2 500 habitants..., souffle le maire.
— Voulez-vous autoriser tous les maires de France à donner des gifles à leurs administrés, à rendre eux-mêmes la justice, à se voir confier des pouvoirs de shérif ?, poursuit le procureur.

A son banc, Maurice Boisard semble sonné. La voix du procureur résonne encore dans la salle : "Vous êtes quelqu'un de bien, et à 62 ans, vous êtes d'autant moins pardonnable de vous être laissé aller à un emportement contre un jeune de 16 ans, ces jeunes auxquels notre génération laisse si peu d'espoir... La jeunesse, ce n'est pas une maladie !", tonne-t-il encore avant de requérir une peine de 500 euros contre le maire.

Maurice Boisard semble à peine écouter la plaidoirie de son avocat. Lorsque le juge lui demande s'il a quelque chose à ajouter, il dit, d'une voix un peu sourde :
— Je crois que je n'ai pas été compris. J'ose plus rien dire. 
Jugement le 17 février.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...