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Emmanuel Macron, un président de ruptures...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 1/11/2018

Il déçoit parce que beaucoup ont trop cru au nouveau monde. Il étonne et suscite le malaise parce que beaucoup ont trop cru au mythe du "surhomme". Il scandalise parce que beaucoup ont trop cru au retour définitif de l'allure et de la tenue présidentielles.

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Plus j'observe comme citoyen curieux, passionné, parfois déçu, approbateur aussi, le comportement politique et présidentiel d'Emmanuel Macron, plus je suis frappé par la brutalité des ruptures qu'il opère comme s'il ne connaissait pas la douceur et la fluidité des glissements.

Comme s'il ne concevait dans ses attitudes et sa pratique que l'alternance vigoureuse entre ce qu'il avait cultivé et ce qu'il désirait dorénavant répudier.

Ce n'est pas qu'une question de communication. Il y a, il est vrai, cette volonté forcenée du "en même temps" qui brouille les messages. L'action ne le permet pas qui contraint à choisir un seul cap et à s'y tenir, sinon elle devient illisible, à force de complexité elle perd tout sens.

Même sur le fond de sa politique, il me semble que notre président ne déteste pas les embardées qui ont, pour certaines, la particularité d'être simultanées. Je suis persuadé qu'il n'a jamais cherché à intervenir dans le cours quotidien du judiciaire sensible et qu'il n'a jamais ordonné à la garde des Sceaux - au demeurant excellente quoique contestable au Grand Jury du 28 octobre - d'enjoindre quoi que ce soit à des magistrats dans des dossiers singuliers. En même temps, il a innové, en donnant un mauvais exemple, pour la nomination du procureur de la République à Paris. D'un côté donc le respect de l'indépendance, de l'autre le souci de disposer d'un magistrat de confiance.

Ce qui m'importe surtout est de relever, au-delà de telle ou telle décision qui manifeste souvent que le président n'étant pas tout d'une pièce a des options qui ne le sont pas non plus, les métamorphoses brutales qu'il effectue, conseillé ou non. Je suis certain en tout cas qu'aucun communicant compétent ne validerait le caractère ostentatoire de ces changements. Comme si les Français étaient des imbéciles et qu'il convenait de leur enseigner sur le tableau noir du pouvoir, que Le Macron d'hier n'est plus celui d'aujourd'hui ni ne sera celui de demain. La seule différence avec Nicolas Sarkozy est que le président actuel n'éprouve pas le besoin de nous dire à tout instant : "j'ai changé", mais se contente de le démontrer, trop maladroitement pour convaincre.

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Emmanuel Macron est en effet un président de ruptures. Mais généralement pas là où on les attendait. Le nouveau monde à peine esquissé dans la campagne de 2017 a été englouti dans et par le réel.

On a rejoint si vite l'ancien monde, celui de toujours en matière politique et pour l'exercice du pouvoir. Première volte.

On nous a présenté durant des mois le chef de l'Etat comme une sorte de phénomène dormant très peu et actif à toutes heures, des collaborateurs et des ministres recevant par exemple ses SMS en pleine nuit. Même si lui-même ne participait pas à la création de cette légende, il est clair qu'il ne devait pas en être mécontent tant elle rejoignait l'idée qu'il cherchait à diffuser. Même sur ce plan, on avait changé de rythme.

Puis deuxième volte. "Un coup de fatigue", parfaitement explicable mais qui épouvantablement géré par sa communication, le fait sortir d'une banalité que les Français auraient comprise pour le constituer comme un bouleversement inédit dans l'Histoire de la Ve République.

Les rencontres avec des Français parfois mécontents, grossiers ou plaintifs avec un Président affectionnant le parler vrai, voire brutal tant l'expression même d'une certaine vérité politique ou sociale est perçue comme choquante. Il est clair que dans ces circonstances, confusément, on attend de l'apitoiement, de la démagogie. Surtout pas des propos d'autorité volontariste.

Aussi discutées qu'ont été ses interventions, elles révélaient cependant de la fermeté, de la sincérité et une affirmation de soi qui ne dégradait pas l'allure présidentielle. Mais dernière volte. Aux Antilles il s'abandonne à des postures controversées, notamment une où il est encadré par deux malfrats torse nu dont l'un fait un doigt d'honneur. Il est certain qu'Alexandre Benalla lui aurait évité cela !

On a fait un grand saut : de la dignité présidentielle à des abandons un tantinet vulgaires qui ont choqué. Qu'il ait été manipulé ou non, au fond peu importe : il me semble qu'il a de l'appétence pour ce type de scènes qui paradoxalement détruisent une image qu'en même temps il a voulue et souvent a su magnifier. La majesté dévoyée en prosaïsme.

L'indécente Fête de la musique à l'Elysée relève de cette même contradiction. Elle ternit et ridiculise la République et sa pompe nécessaire.

Emmanuel Macron ne semble jamais capable de s'arrêter juste avant que l'autorité se mue en arrogance ou soit perçue pour de la morgue. Et il se laisse aller bien au-delà de ce que l'empathie républicaine pourrait permettre.

Trop fort pour le haut, trop décontracté pour le bas.

Ces embardées, sans l'ombre d'une préparation, qui font apparaître un président indifférent à la cohérence et à la pédagogie - les citoyens n'auraient-ils pas apprécié, la lucidité recouvrée, une évolution plus tranquille, moins caricaturale et radicale dans ses contrastes ? - n'auraient pas mérité un examen si en réalité elles ne pesaient pas lourd dans le discrédit actuel du président. L'extrême intelligence de ce dernier ne paraît pas, à l'évidence, toujours gouverner une personnalité, elle-même écartelée entre nostalgie royale et impérialisme subjectif. Il tourne les pages trop vite. On n'a plus le temps de le lire.

Il déçoit parce que beaucoup ont trop cru au nouveau monde.

Il étonne et suscite le malaise parce que beaucoup ont trop cru au mythe du "surhomme".

Il scandalise parce que beaucoup ont trop cru au retour définitif de l'allure présidentielle.

Parce qu'on espérait énormément du président de la République, Emmanuel Macron, avec sa finitude, laisse au mieux le citoyen perplexe, au pire le radicalise contre lui.

Ce président qui rêve de consensus n'est qu'un homme de ruptures...


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