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La « SPV-défense » est l’un des instruments du respect de l’engagement national à l’intangibilité de la trajectoire financière de la programmation militaire

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, Benjamin Touzanne, avec la participation, 21/11/2014

La loi de programmation militaire 2014-2019 (LPM) prévoit, pour 2015, 31,4 milliards € de ressources budgétaires pour le ministère de la défense. Pour que les ressources de la mission « Défense » atteignent ce montant dans le budget de l’Etat pour 2015, elles devront inclure 2,3 milliards € de recettes exceptionnelles produites pendant cette même année, entre autres, par la mise aux enchères de la bande des fréquences des 700 MHz libérée par le basculement de la télévision numérique terrestre vers la diffusion en « haute définition » et par la cession de participations financières publiques dans certaines entreprises publiques.
Toutefois et pour des raisons propres au secteur des communications électroniques, il est acquis que la collecte de cette recette exceptionnelle n’interviendra pas en 2015 et qu’elle ne pourrait être acquise qu’en 2017, seulement.

Pour pallier ce risque certain d’un besoin de financement de la mission « Défense » entravant, probablement à la mi-2015, l’acquisition de certains équipements militaires cruciaux, il a été envisagé de mener plus d’opérations de réduction de l’actionnariat public et d’affecter à cette mission les produits de ces cessions des participations de l’Etat. Toutefois, le cadre organique des lois de finances impose que ces produits soient réinvestis en capital : la question du comblement du besoin de financement de certains marchés publics industriels d’armement demeure entière.

Ainsi, le ministère de la défense étudie dans le détail la formule de l’interposition d’une société de projet dédiée, à forme commerciale, qui permettrait de mobiliser le produit de ces cessions de participations publiques, par une dotation en capital à hauteur de 2,1 milliards €. La vente des actions de l’Etat viendrait remplacer celle des fréquences de son domaine public. Avec cette dotation, la société de projet achèterait à l’Etat certains équipements militaires déjà réceptionné ou à réceptionner. Devenue propriétaire de ces matériels, elle les louerait au ministère de la défense pour les besoins opérationnels des forces, permettant ainsi la mobilisation des ressources issues des cessions de participations de l’Etat au service du respect de la trajectoire de la LPM qui a la valeur d’un engagement de la Nation à l’égard de ses forces.

Cette méthode est, certes, en démarcation d’un modèle d’acquisition patrimoniale construit au 19ème siècle. Elle n’est, probablement, pas absolument originale par rapport à des schémas plus anciens d’organisation des moyens de la force légitime dans lesquels le siège de la souveraineté est plus logé dans la décision de mobilisation et d’emploi de cette force que dans l’appropriation de ses moyens.

La démarche de la société de projet (dont on devrait préférer, sans doute, qu’elle ne soit pas un Special Purpose Vehicle – SPV mais plutôt, par exemple, une société patrimoniale dédiée de défense – SPDD ou SP2D) ouvre, très probablement, sur un questionnement essentiel, d’ordre ontologique, sur le dessin et le dessein de l’Etat. Il n’en sera pas question ici où il est paru préférable de s’en tenir à l’énoncé de quelques uns des axes de réflexion qui devront être suivis pour pouvoir répondre concrètement au besoin de financement de certains programmes d’armement en 2015.

- Impact comptable
Selon le ministère de la défense, cette opération sera neutre à l’égard de la dette de l’Etat, puisqu’à la liquidation de la société de projet, au moment de la perception des recettes « bande des 700 MHz », les 2,1 milliards € de capital lui reviendront (aux frictions près des coûts de constitution et de fonctionnement de la société de projet). L’encaissement postérieur des ressources neutralise l’impact sur la dépense publique de la dotation initiale en capital, tout en laissant intact les effets bénéfiques pour la croissance et l’emploi de l’activité industrielle de défense ainsi financée. La logique est macro-économique.

Cette conception se heurte à une lecture strictement budgétaire considérant que cette opération financière ne serait pas patrimonialement neutre pour l’Etat mais alourdirait la dette publique. Cette lecture met en avant la décision d’Eurostat n° 31/2006 du 9 mars 2006 qui regarde « les locations d’équipement militaire mises en place par le secteur privé comme des locations financières », « impliquant l’enregistrement d’une acquisition d’équipement par l’Etat et d’une dette de l’Etat à l’égard du bailleur » (Décision d’Eurostat n°31/2006 du 9 mars 2006, enregistrement des dépenses d’équipement militaire. Extraits du communiqué de presse .
La logique est comptable.

- Composition du capital
Plusieurs configurations peuvent être dessinées pour la composition du capital de la société de projet : soit un capital à participation financière étatique ou publique exclusive, soit un capital ouvert aux investisseurs privés.

Si les actions de la société de projet sont exclusivement réservées et libérées par l’Etat pour les 2,1 milliards € nécessaires, la vente puis la location, par l’Etat, des équipements militaires retenus, pourront relever, sous certaines conditions, d’une approche in-house permettant de s’abstraire du champ de la mise en concurrence préalable. ( Compte-rendu de l’audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, sur le projet de la loi de finances pour 2015 (Sénat).

De plus, il est souligné qu’un actionnariat privé fera peser une contrainte sur le périmètre des matériels militaires éligibles à l’opération de location après cession. En effet, compte tenu des risques pesant sur les matériels militaires du champ de bataille et de l’impossibilité de les assurer normalement, cette opération juridique et financière se resserre autour des équipements assurant des missions de soutien logistique ou qui ne sont pas dédiés à l’affrontement létal, comme par exemple des ravitailleurs en vol ou des hélicoptères de surveillance maritime ou, encore, des bâtiments à usage dual utilisés pour les missions de service public de la Marine nationale.

Les autorités du ministère de la défense se refusent, à ce stade, à restreindre a priori les données de l’analyse, en n’écartant pas par principe la participation d’investisseurs privés, évoquant même l’hypothèse d’une « sorte de partenariat public-privé dans lequel l’industriel sera peut-être en capacité de s’impliquer » ( Compte-rendu de l’audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur le projet de loi de finances pour 2015 2 (Assemblée nationale – 1er octobre 2014) avec des opérateurs économiques seulement aptes à mobiliser des capacités de financement privé et des ressources d’ingénierie financière ou, plus spécifiquement en intégrant de surcroît l’enjeu essentiel du maintien des matériels en condition opérationnelle, avec les industriels fournisseurs des équipements militaires en cause. Compte-rendu de l’audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, sur le projet de la loi de finances pour 2015 (Assemblée nationale – 14 octobre 2014)

Dans l’option d’une détention mixte du capital, par l’Etat et par des opérateurs privés, la règle de répartition du capital gouvernera directement la solution pour la soumission ou non à une obligation de mise en concurrence pour la vente, suivie de la location, par l’Etat des équipements militaires en cause . ( Compte-rendu de l’audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, sur le projet de la loi de finances pour 2015 (Assemblée nationale – 14 octobre 2014).

- Nature des équipements militaires
On l’a vu, l’un des critères les plus affirmés pour identifier les équipements militaires destinés à l’usage des forces mais dont la propriété relèverait d’une société à objet commercial, distingue les équipements militaires létaux ou non-létaux.

Toutefois, d’autres conceptions sont envisageables, comme celle s’appuyant sur le critère du prix. Entreraient ainsi dans le périmètre de la société de projet les équipements les plus coûteux, par une démarche privilégiant la performance financière de la formule, sans trouver d’interdits de principe autre que ceux portant sur la pleine satisfaction des contraintes opérationnelles.
(Compte-rendu de l’audition de M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, sur le projet de la loi de finances pour 2015 (Sénat).

- Réversibilité ou pérennité du système
La formule de la société de projet a-t-elle une vocation pérenne, permanente ou est-elle destinée, par sa nature, à être réversible ? La société de projet doit-elle inéluctablement disparaître dès la perception par l’Etat des ressources « bande des 700 MHz » ?

Le caractère transitoire est affirmé par le gouvernement ( Compte-rendu de l’audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur le projet de loi de finances pour 2015 2 (Assemblée nationale – 1er octobre 2014 ) et par le parlement (Avis n°2265 fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2015 par M. Jean-Jacques Bridey, député). On a vu que seule la liquidation de la société de projet dès la perception par l’Etat des ressources « bande des 700 MHz » permettra, selon le ministère de la défense, d’avoir un impact comptable nul sur la dette et le déficit publics.

Cette séquence n’empêche pas de se demander quelle sera l’issue si, la cession des fréquences étant moins favorable pour l’Etat que prévue, les recettes sont inférieures aux prévisions et, donc, à la dotation en capital de la société de projet. L’Etat ne pourrait alors compenser intégralement la dotation en capital de la société de projet par les recettes « bande des 700 MHz » et il lui sera difficile d’acquérir à nouveau l’intégralité des équipements militaires antérieurement cédés.

- Un nécessaire changement législatif permettant à l’Etat de céder des matériels militaires dont il a encore l’usage
L’ensemble des acteurs s’accordent sur la nécessité d’une modification législative, au moins. L’article L. 3211-35 du code général de la propriété des personnes publiques dispose, en effet, que seuls les biens dont le propriétaire public n’a plus l’usage peuvent être cédés. (Avis n°2265 fait au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2015 par M. Jean-Jacques Bridey, député) .
Il faudra, à tout le moins, autoriser par une norme législative, la vente par l’Etat d’équipements militaires dont il a besoin tel qu’il exigera de retrouver le plein usage exclusif par un titre de location intervenant un infime instant de raison après le transfert de propriété.

Pour l’heure, la réflexion est intense au sein du ministère de la défense pour une évaluation approfondie de cette formule innovante, de manière à déterminer les conditions dans lesquelles elle pourra, très vite, devenir un instrument pragmatique, simple et adapté du respect d’un engagement primordial souscrit au nom de Nation par les pouvoirs exécutif et parlementaire. Celui qui assure aux forces et aux structures du ministère de la défense qui les servent la garantie de l’intangibilité de la projection financière de la programmation militaire, pour garantir le modèle des armées défini par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale d’avril 2013.


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