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L'inculture générale : une plaie française

Justice au Singulier - philippe.bilger, 27/02/2020

L'inculture générale est une plaie française. On laisse ce virus dévastateur se développer ?

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France, qu'as-tu fait de ta culture générale ?, s'interrogeait dans sa couverture l'Opinion.

Le sujet est en effet capital même si au fond tout le monde s'en désintéresse. Au mieux on déplore sans se battre contre ce déclin qui pourrit bien au-delà de lui-même.

Si on veut bien considérer toute la chaîne qui part de l'effacement des humanités jusqu'à l'état actuel d'une société française qui pour beaucoup de ses secteurs est appauvrie, une infinité de sujets sont touchés qui renvoient au langage, à la civilité, à la pensée, à la relation avec autrui et à une certaine manière de concevoir le monde.

Je n'ai pas envie de me moquer de qui que ce soit d'autant plus que je suis le premier à constater qu'avec le passage du temps, ce qui était savoir et culture, dans leur substance, s'est dégradé en pur nominalisme - qui cite sans plus être capable d'aller au fond. Que j'aie dans la tête la réponse d'un avocat plaçant Molière au XIXe siècle peut susciter une ironie facile mais il ne faudrait pas qu'elle fasse oublier au moins un affaiblissement collectif de la culture générale et au plus la profonde indifférence de beaucoup à l'égard de ce capital, de ce trésor.

Éprouver de la nostalgie pour ce qu'on appelait les humanités - toutes ces matières embrassant la langue française, la littérature, la philosophie, l'Histoire et les langues mortes, notamment le latin socle indiscutable pour une oralité et une écriture de qualité - n'est pas tomber dans une posture médiocrement réactionnaire mais au contraire identifier le manque fondamental de la France d'aujourd'hui.

La culture générale, il faut le marteler, est bien plus que de la culture générale. Elle est d'abord et surtout ce que je pourrais appeler "la pensée générale", l'aptitude à parler sur tous les sujets, notamment ceux qui ne relèvent pas de votre champ professionnel.

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Qu'on ne confonde pas cette disposition avec la volubilité ignorante qui ne saurait pas se taire, écouter et accepter qu'il y a des sujets sur lesquels il n'est pas honteux de faire l'impasse. Par exemple, je n'aime aucun des thèmes "virils" classiques : vins, gastronomie, voitures, immobilier, argent, etc. et je n'aurais pas l'idée incongrue de m'immiscer dans ce qui ne me passionne pas et, en plus, me laisserait dans l'impossibilité d'apporter la moindre valeur ajoutée aux échanges sauf à proférer les banalités d'usage.

Quand j'évoque la "pensée générale", je relate des expériences qui m'ont marqué dans les formations que mon Institut de la parole dispense. Puisqu'il ne s'agit, avec lui, que de s'encombrer de soi en éliminant tout support extérieur, toutes les facilités qui interdisent l'oralité nue et inventive, les personnes de qualité qui me rencontrent, totalement libres dans le choix de leur sujet et pour déterminer la durée de leur propos, se trouvent relativement à l'aise dans une intervention qui les maintiendra dans une sorte de confort et de sûreté, par exemple peu ou prou leur profession et son environnement.

Mais, alors que ces intelligences sont indéniables et que les parcours apparaissent par ailleurs comme impressionnants, leur proposer un thème d'ordre général, une citation, par exemple d'un grand auteur, en les invitant à en appréhender toutes les problématiques, tous les tenants et aboutissants, de l'approche immédiate à l'analyse plus profonde, les met dans un désarroi auquel leur oralité parvient mal à résister.

Je suis obligé d'en tirer une conclusion relativement pessimiste qui relève qu'on ne sait plus, ou très difficilement, agiter dans son esprit des pensées libres, en quelque sorte gratuites, détachées de toute utilité, motivées par le seul ressort d'une réflexion spontanée, contraintes d'aller chercher en elles-mêmes ses propres outils et richesses : je l'ai remarqué trop souvent pour ne pas en faire état. Comme si le goût de la pensée et ce qu'elle induit n'était lié aujourd'hui qu'à ce qui rapporte et à une compétence apprise et exploitée. C'est triste.

Les humanités absentes nous privent de tant. Notamment de la civilité qui est une forme de politesse, de l'humanité qui apprend à appréhender globalement son existence telle une exigence qui sur tous les plans doit s'illustrer. On s'est beaucoup moqué de moi parce que j'ai vu un signe éclatant de notre décadence dans le fait que cette urbanité élémentaire de répondre aux messages de toutes sortes, quel que soit son état, sa fonction ou sa profession - du plus haut de l'Elysée jusqu'au premier niveau de la société civile - était battue en brèche, voire détruite. Pourtant je persiste et je n'ai jamais été convaincu par l'argumentation tenant à l'excès de travail. Alibi.

L'inculture générale est une plaie française. On laisse ce virus dévastateur se développer ?


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