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Macron l'enchanteur ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 7/12/2017

Un président qui enchante encore, un adversaire qui proteste que le roi est nu ? Magnifique débat pour la France et pour demain.

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Je rassure mes contempteurs habituels : le titre n'est pas fait pour assimiler la présidence d'Emmanuel Macron à un conte de fées.

Mais pour analyser une situation politique qui, depuis plusieurs mois, échappe à l'entendement, défie la rationalité et a créé quasiment un champ de ruines autour de tout ce qui n'est pas l'univers présidentiel. En ce sens je m'autorise l'invocation à un enchantement qui a désarmé, déstructuré les forces traditionnelles et rendu incertaines, perplexes les oppositions qui ne savent comment s'y prendre avec Emmanuel Macron.

Est-il même besoin d'insister sur cette déconfiture générale ?

Les communistes existent-ils encore ? Les socialistes demeurés fidèles à l'orthodoxie ne sont plus audibles et cherchent, pour l'instant désespérément, la voie d'une renaissance.

La France insoumise (LFI) qui s'était vantée d'être la seule alternative authentiquement antagoniste à l'emprise présidentielle est, malgré ses dénégations enflammées à hauteur de son déclin, confrontée à une baisse d'intensité collective, notamment sur le plan parlementaire, et à un discrédit affectant la personne de son chef Jean-Luc Mélenchon (JLM).

Aussi atypique que serait le partage du pouvoir dans ce parti, il est pourtant clair que ce qui a affecté son leader ne va pas manquer d'avoir une incidence très négative sur l'évolution de son mouvement.

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La comparaison me semble pertinente. Le débat désastreux du deuxième tour de l'élection présidentielle a profondément atteint le FN qui attendait tout de sa présidente sauf la démonstration de son incompétence et l'exhibition d'une contradiction presque vaudevillesque. Au point que tout ce qui a suivi cette déroute personnelle va dans le même sens et inéluctablement entraîne une chute : il suffit pour s'en convaincre de constater l'insuccès récent de ce parti aux élections corses.

J'ose soutenir que la prestation de Jean-Luc Mélenchon à L'Emission politique, son comportement scandaleux, vindicatif et irrespectueux, sa dénonciation sans nuance des journalistes et d'une Léa Salamé qualifiée de "sans foi ni loi", les vitupérations choquantes sur son blog - fureur qui le console ? - constituent l'équivalent du crédit que Marine Le Pen a radicalement perdu face à Emmanuel Macron. Ce n'est pas parce que JLM s'en relèvera - aucune autre personnalité politique n'aurait pu se permettre de tels débordements indécents sans être définitivement coulée ! - que LFI n'a pas été, par ricochet, gravement atteinte dans sa légitimité et sa crédibilité.

Cet endormissement qu'a opéré une forme de magie "macronienne"est encore plus perceptible chez ceux qui de près ou de loin prétendent adhérer au projet du président.

Le MoDem tente à intervalles réguliers de rappeler qu'il a son identité et son utilité mais, comme faisant partie de la majorité sans que LREM ait besoin de lui, il peine à être autre chose qu'un soutien de bonne volonté mais parfaitement superfétatoire.

Les Constructifs l'ont été si peu qu'ils se sont divisés, une part a rejoint LREM et une autre va s'évertuer à dénicher un espace de respiration politique entre les Républicains, le MoDem et LREM. Je souhaite à cette dernière bon courage pour faire percevoir sa différence. Nous sommes gâtés sur le plan de la sophistication mais la conséquence de "Macron l'enchanteur" est que ces évolutions sont à peu près vides de substance et relèvent de ralliements opportunistes ou d'un entêtement d'affirmation politique. Une oscillation entre Thierry Solère d'un côté et Franck Riester de l'autre !

La dernière enquête du Cevipof qui fait profiter Emmanuel Macron "du bénéfice du doute" et qui révèle "l'attentisme prudent des Français" (Le Monde) n'est pas loin, sans forcer le trait, d'un rapport qui mettrait les citoyens dans un état de stupéfaction et encore d'espérance face à un pouvoir insaisissable et non maîtrisable par une rationalité classique. Enchantement peut-être plus, en tout cas séduction encore ? On n'est pas encore rentré dans le dur de la désillusion civique ! Les yeux sont ouverts mais le jugement suspendu.

Si j'insiste tellement sur le caractère "enchanteur" de ces premiers mois - pour la mise à mal des oppositions traditionnelles et un pouvoir qui n'a pas encore déserté les territoires de l'illusion et du rêve -, cela tient à l'erreur qui me semble commise au sujet de LR et de la probable victoire de Laurent Wauquiez. Il est de bon ton intellectuel et démocratique de se gausser de ce dernier, ce qui est doublement inepte : sur le plan personnel - ceux qui le détestent et le pourfendent ne le valent pas - et pour le registre politique.

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Le président de la République, lui, ne tombe pas dans ce panneau car il estime "qu'il faut prendre Wauquiez au sérieux, c'est quelqu'un de très déterminé et de très organisé " et un membre de l'Elysée affirme que "le président a repéré chez lui des qualités qu'il a lui-même, c'est la raison pour laquelle la plus grande des erreurs serait à ses yeux de le sous-estimer" (Le Monde).

Si en effet Laurent Wauquiez était le seul à avoir compris la particularité de cette séquence présidentielle - de magie pure - et donc l'obligation de ne pas être si peu que ce soit dans la mouvance de cet "enchantement", s'il avait pris la mesure de l'unique vision, de l'exclusive option capables de rompre l'illusion, de dissiper le rêve et de projeter du réel, du terre à terre dans l'enchantement ?

Quand au sein de LR, "la droite modérée veut se compter" et que le vaillant Maël de Calan a reçu le soutien d'Alain Juppé - qui non seulement ne veut pas d'alliance avec le FN mais incite à combattre ses idées comme si toutes étaient hétérogènes à l'univers d'une droite classique -, on demeure, avec ce registre, dans une logique, une approche et des perspectives dont le pouvoir "macronien" s'accommodera aisément puisqu'elles ne constituent pas une rupture par rapport à lui.

Le rassemblement que de bons apôtres conseillent à Laurent Wauquiez - déjà sans Valérie Pécresse et Xavier Bertrand - risquerait de bénéficier au président de la République qui ne pourrait qu'adorer une droite affadie face à son dépassement doucement et efficacement étouffant !

Alors que, pour le futur président de LR, à bien le lire et le comprendre, il s'agira de faire rentrer brutalement dans le monde si dangereusement séduisant, consensuel et glissant d'Emmanuel Macron un réel univoque, une politique tranchée, une hémiplégie intellectuelle et sociale, une lucidité infiniment critique. Comme une volonté de dessiller les yeux d'une société et d'une multitude selon lui encore trop aveuglées, subjuguées.

Je ne sais pas s'il a raison mais en tout cas son programme à lui (Causeur) ne ménage pas Emmanuel Macron tout en faisant semblant de le combattre mais s'oblige au contraire à fuir sa magie, le trouble qu'il suscite, l'ambiguïté intelligente et tactique qu'il cultive au bénéfice d'une opposition visant à dissiper le flou, les brumes et l'apparent effacement des frontières.

Un président qui enchante encore, un adversaire qui proteste que le roi est nu ? Magnifique débat pour la France et pour demain.


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