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Quand les médias se regardent le nombril...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 21/11/2018

Le jour où tous les éditorialistes seront libres et brillants, il n'y aura plus de perles rares, d'éblouissantes exceptions. On a encore du temps devant nous pour cela. Quand les médias se regardent le nombril, une belle opportunité d'examen critique !

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Rien de plus éclairant que de voir un grand quotidien consacrer une double page à ceux qu'il appelle "les éditorialistes les plus courus du PAF" (Le Parisien) !

D'abord je ne suis pas sûr que cette focalisation des médias sur les médias ne justifie pas un propos relativement ancien du président de la République qui leur avait reproché de ne parler que d'eux.

Ensuite je perçois dans l'analyse proposée la même limite que celle que j'ai souvent observée dans le domaine judiciaire. On a eu trop tendance à confondre, parmi les magistrats et les avocats, les meilleurs avec les plus visibles, les plus connus. Il peut arriver que le télescopage soit pertinent mais pas toujours. Il y a donc des éditorialistes qui mériteraient d'être cités dans cette double page et qui ne le sont pas.

Impossible par ailleurs de me détacher de mes sympathies personnelles, de mes affinités intellectuelles (Yves Thréard, Eugénie Bastié...) avec une subjectivité qui rendra forcément discutables mes dilections ou mes réserves même si le terreau central que je vais appréhender me paraît relever d'une cohérence objective.

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Je suis d'emblée en désaccord avec le titre selon lequel "ils font l'opinion" même si je suis persuadé que certains de ces éditorialistes sont heureux de se voir prêter ce pouvoir qui non seulement ne leur revient pas mais entraîne, chez ceux qui y croient, un dépassement de ce que la lucidité professionnelle leur permet. Rien de plus, rien de trop qu'un commentaire sur la réalité politique, économique et sociale.

L'originalité, l'invention résident, pour quelques-uns, dans l'interprétation des propos, des événements, des données incontestables de toutes sortes. Nul ne peut prétendre "faire l'opinion". Au mieux ils l'éclairent de manière plus ou moins décisive.

La pire des démarches médiatique est celle de l'éditorialiste qui se contente de paraphraser l'information qui lui a été offerte comme à tous ceux qui s'intéressent à la vie de notre pays. Aucune valeur ajoutée, aucun supplément d'esprit et de sensibilité à la matière brute du réel. En ce sens, dans ce registre, les citoyens seraient en effet, dans leurs échanges spontanés et libres, de bien meilleurs journalistes que les journalistes professionnels. Réunir ceux-ci pour en général des confrontations quasiment consensuelles, parce qu'il faut bien respecter le corporatisme tellement plus capital que la dissidence, donne l'illusion d'un pluralisme mais il est de façade puisque chaque propos est tenu, retenu, contenu. On peut lire mon billet du 6 février 2017 : Les citoyens sont des journalistes comme les autres !

Est-ce à dire que commenter le réel politique, économique et social est si simple une fois qu'on quitte le confort du décalque, de la redondance ou du pléonasme ? Evidemment non.

Car le factuel même apparemment le plus limpide peut appeler des interprétations contradictoires, équivoques, et il n'est jamais superflu, alors, que l'éditorialiste digne de ce nom nous propose son analyse et tente, surtout, d'enrichir ceux qui le lisent, le regardent ou l'écoutent avec une approche que personne ne pourra qualifier de banale ou de basique. Ce n'est pas la peine d'adopter la posture de l'éditorialiste - terme pertinent pour quelques-uns, pompeux pour d'autres - si on n'est pas capable de se distinguer du commun des analystes citoyens.

Rien en ce sens n'est plus ridicule que ces fausses joutes et ces insipides débats corporatistes qui font passer la liberté de la pensée et de l'expression et donc l'exigence de vérité - qui ne peut pas être satisfaite si on n'est pas totalement libre - derrière les prudences et bienséances médiatiques.

J'ai le bonheur de participer chaque soir aux Vraies Voix sur Sud Radio et je suis parfois plus qu'étonné par l'audace intellectuelle et politique - populiste pour certains - de notre excellent animateur Christophe Bordet, éditorialiste singulier dans un pluriel effervescent, à l'égard duquel je suis comme un roi de la nuance, un maniaque du scrupule !

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Que les éditorialistes ne se rengorgent pas : ils ne font pas l'info. Mais ils nous la présentent en vitrine et les meilleurs sont ceux face auxquels on est contraint de s'avouer : "Non ce ne pourrait pas être moi".

Pour conclure, si prétendre que tous les médias seraient peu ou prou de gauche ou avec une bienveillance appuyée pour le progressisme chic et "sociétal" serait excessif, il est facile de comprendre pourquoi certaines personnalités qu'on ne peut plus aujourd'hui laisser de côté, sur le bord du chemin médiatique, dérangent, déstabilisent, mettent de la pensée dissidente dans la pensée unique et de l'esprit pétillant dans l'eau tiède. Il ne convient pas de les féliciter par principe car on est vite remarqué quand on s'efforce de déserter le troupeau.

Le jour où tous les éditorialistes seront libres et brillants, il n'y aura plus de perles rares, d'éblouissantes exceptions. On a encore du temps devant nous pour cela.

Quand les médias se regardent le nombril, une belle opportunité d'examen critique !


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