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La perversion de la globalité, la facilité de la fuite...

Justice au Singulier - philippe.bilger, 9/03/2019

Je n'ai jamais hyperbolisé les médias en gros si au détail j'ai parfois rencontré des journalistes de grande qualité. Donc je n'en suis que plus à l'aise pour dénoncer cette chasse frénétique qui semble vouloir compenser des années de dépendance éperdue. De grâce qu'on ne peuple pas les médias de martyrs ! Ce serait leur offrir une trop belle opportunité, une aubaine de soutien automatique !

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Les médias sont tellement attaqués qu'on va finir par les défendre. Je plaisante à peine.

Ils n'ont d'ailleurs pas besoin du citoyen pour connaître leur niveau de discrédit, et ce bien avant que les Gilets jaunes s'en soient pris à eux d'une manière qui parfois a dépassé les bornes. Chaque année, la méfiance à leur égard s'est accrue et leur honnêteté dans le rendu des informations a été mise en cause. A tort ou à raison.

Depuis quelque temps une fronde généralisée et vindicative a pris le parti de contester leur légitimité et de leur faire perdre leur position d'apparent surplomb objectif. Pourquoi pas ? De Mélenchon à Dupont-Aignan, de Marine Le Pen à Bernard Tapie, de Belattar à Maurice Szafran, de Cali à Pierre Rosanvallon, de BHL à BHL tant il est omniprésent et célébré, dans des registres évidemment différents, ont surgi, sur un un mode se piquant le plus souvent d'être noble, la perversion de la globalité et la facilité de la fuite.

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Cette attitude de rejet, paradoxalement, exprime une surestimation des médias comme si on attendait d'eux une pureté miraculeuse et une sérénité à toute épreuve alors qu'ils sont naturellement comme nous. Tentant, pour la plupart, d'exercer le moins mal possible leur métier qui pour être fondamental pour la démocratie, ne leur épargne pas le souci d'être à la hauteur.

La perversion de la globalité donne le confort intellectuel et médiatique de mettre tout le monde, toutes les idées dans le même sac et de se priver de la nuance qui, dans un monde simpliste, exige du courage et contraint à se défier de la volupté des considérations totalitaires. Cette démarche qui donne l'impression d'une cohérence est au contraire étouffante parce qu'elle n'autorise plus le moindre échange, le débat pertinent s'attachant à confronter des positions révisables à des affirmations relatives. Elle n'est pas réservée qu'à la gauche. La brillante intelligence d'un Eric Zemmour pèche par exemple sur ce plan : dans ses livres comme dans certains de ses propos, il succombe à l'ivresse de vérités qu'il assène définitives parce qu'il ne laisse pas la moindre chance à la contradiction risquant de troubler ses décrets.

Quand BHL, dans sa pièce sur l'Europe destinée à soutenir la vision européenne du président de la République, pourfend les Gilets jaunes en les traitant tous d'antisémites, de racistes et d'homophobes, il prend ses auditeurs pour des ignorants incapables d'apprécier autre chose que des condamnations sans la moindre exception. Des procès staliniens au petit pied !

La facilité de la fuite et de l'insulte.

Je crois profondément qu'il s'agit là d'une faiblesse qu'on déguise en coup de force. D'une forme de lâcheté parce que les choses tournent mal. Parce qu'on sent qu'on va être défait. On préfère prendre la poudre d'escampette médiatique !

Bernard Tapie quittant Europe 1, parce que soudain il ne veut plus être questionné sur un sujet qu'il avait agréé avant, est mauvais joueur.

Nicolas Dupont-Aignan obligé de quitter le plateau de C à vous, certes va faire le buzz mais dans quelles conditions ? On peut ne pas apprécier Patrick Cohen mais il est aberrant et insultant de le traiter de "cire-pompes de Macron". Il aurait été plus difficile mais plus éprouvant de tenir l'échange et d'exprimer sa pensée d'une manière qui ne rende pas impossible l'entretien.

Il devrait réfléchir au progrès considérable accompli par Marine Le Pen qui a relégué le "pitbull" permanent au profit d'une femme politique capable de dialoguer avec vigueur mais sans mépris explicite pour le ou la journaliste.

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Pierre Rosanvallon dédaignant Alain Finkielkraut, Yassine Belattar décidant d'abandonner LCI pour un motif aussi pertinent que celui de n'avoir pas supporté une interview d'Eric Zemmour sur TF1 !, Maurice Szafran discutant le caractère régulier des chroniques d'Eric Zemmour sur Radio Classique mais condescendant à dialoguer au coup par coup, une emblématique Gilet jaune "plantant" au dernier moment Ruth Elkrief sur BFM TV, un autre Gilet jaune, Jérémy Clément, sur cette même chaîne, jetant l'éponge et partant, Cali, il y a plusieurs mois, quittant le plateau de L'Heure des pros parce qu'il avait enjoint à Zemmour de s'excuser et que celui-ci évidemment avait refusé...

Dans quelle époque vit-on ? Où des petits maîtres prétendent à des médias à disposition et à leur convenance ! Les justiciers ne sont plus là où on avait l'habitude de les trouver : ce ne sont plus ceux qui questionnent avec partialité mais ceux qui refusent de répondre et s'en vont ! Guère étonnant alors que les médias bousculés aient perdu l'habitude du pluralisme et de la liberté, quel que soit le domaine concerné.

En réalité il ne faut ni fuir ni insulter. Il faut tenir. Aussi bien sur Twitter que dans les médias classiques. Il ne convient pas de s'afficher en donneur de leçons par un ton péremptoire qui répudie la nuance et le singulier comme la peste. La perversion de la globalité est le péché central aujourd'hui.

Et la fuite et l'insulte qui révèlent bien plus les limites de l'invité que la médiocrité de tel ou tel journaliste !

Je n'ai jamais hyperbolisé les médias en gros si au détail j'ai parfois rencontré des journalistes de grande qualité. Donc je n'en suis que plus à l'aise pour dénoncer cette chasse frénétique qui semble vouloir compenser des années de dépendance éperdue.

De grâce qu'on ne peuple pas les médias de martyrs ! Ce serait leur offrir une trop belle opportunité, une aubaine de soutien automatique !


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