Actions sur le document

Jacques Chirac : de la ferveur et de la haine

Justice au Singulier - philippe.bilger, 1/10/2019

Maintenant Jacques Chirac repose auprès de sa fille Laurence. La ferveur va retomber. Les haines et les intolérances françaises vont-elles diminuer ? J'en doute

Lire l'article...

Une extraordinaire et surprenante ferveur populaire autour de la mort de Jacques Chirac.

Comme si le politique était totalement oublié au profit du "vieux sage" et de l'homme en déclin qui renvoyait, avec une sorte de tendresse démocratique et de nostalgie, au flamboyant Jacques Chirac, à ses forces et à ses faiblesses tellement françaises.

Sur ce plan je n'ai rien à retirer de mon billet Jacques Chirac : une force sensible.

Mais aussi un climat d'hostilité, une atmosphère de haine dans lesquels cette France en deuil aurait dû constituer une sorte d'émouvante et consensuelle parenthèse.

Ces poisons viennent de partout même s'ils n'ont pas la même teneur de nuisance.

Je ne peux éluder ce qui a été dit à la Convention de la droite. L'idée de cette réunion en elle-même était excellente et en tout cas ne pouvait pas faire de mal à ceux que préoccupe l'avenir de la droite. J'ai déjà souligné comme les pas en avant puis en arrière puis de côté - avec tout de même l'affirmation qu'elle ne serait pas candidate en 2022 - de Marion Maréchal pouvaient finir par agacer. Comme une coquette de la politique.

Et il y a eu le discours d'Eric Zemmour inutilement diffusé sur LCI et qui a suscité un tel remous que non seulement cette chaîne mais aussi la société des journalistes du Figaro se sont émus et, pour cette dernière, ont questionné son statut et sa position au sein de ce grand quotidien.

Zemmour-convention-de-la-droite

Ma vocation n'a jamais été de hurler avec les loups. Ceux-ci sont assez nombreux sans que je m'y ajoute mais Zemmour est trop intelligent et libre pour qu'on ne le traite pas avec sincérité et vérité.

Je n'aurais pas prononcé un seul mot de son intervention du 28 septembre. Mais je me battrai modestement jusqu'au bout pour que droite et gauche, extrême droite et extrême gauche, intellectuels et militants, aient droit à la liberté d'expression, jusqu'à cet instant où une justice impartiale pourrait éventuellement être saisie pour statuer sur tel ou tel propos ou écrit.

Ce qui évidemment n'a pas traîné : le parquet de Paris a ordonné une enquête pour injures publiques et provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence (Le Figaro). J'indique pour tous les compulsifs de la répression expéditive qu'il n'est pas encore condamné !

Il y a du Mélenchon en Eric Zemmour : un paroxysme de la pensée, un extrémisme du verbe sans doute amplifiés par l'atmosphère chaleureuse, voire inconditionnelle de la salle. Son penchant - je l'ai souvent relevé - est de donner à sa réflexion souvent décapante une tonalité globale qui aggrave son intensité provocatrice. Je me demande si oralement - alors qu'il est, contrairement à certaines accusations, maîtrisé à l'écrit - il ne se sent pas poussé des ailes ou des imprudences parce qu'alors il est davantage gouverné par la frénésie acerbe du polémiste que par une réflexion qui s'enrichirait, pour son expression, de la lucidité et de la mesure du langage.

Sonia Mabrouk a pointé finement le malaise qui peut naître face à des assertions définitives d'Eric Zemmour. Il peut donner l'impression qu'il n'est pas loin d'aspirer aux désastres qu'il prophétise (Sud Radio).

Sur un tout autre plan mais qui a créé une dissidence minime mais très critiquée, j'ai été choqué par le fait que la famille de Jacques Chirac n'ait pas souhaité la présence de Marine Le Pen à la cérémonie religieuse. Alors qu'elle aurait pu y assister grâce à son statut. Sagement elle a refusé de s'y rendre.

C'est l'unique couac qui est venu altérer, quels que soient les antagonismes politiques, l'unité du deuil et du rassemblement autour d'une personnalité dont on s'est plu à souligner qu'elle était peut-être moins aimée grâce à ses qualités qu'à cause de certains de ses défauts.

On demande aux vivants de respecter les morts, on devrait aussi exiger de ceux qui pleurent le disparu le respect à l'égard de ceux qui veulent lui rendre hommage à leur manière.

Quand on s'acharne à ne vanter l'ancien président que parce qu'il aurait été un rempart contre l'extrémisme de droite, on a sans doute partiellement raison. Il est d'ailleurs absurde de ne le réduire qu'à cela comme le font Gérald Darmanin et Sibeth Ndiaye qu'il faudrait cesser d'attaquer sur sa périphérie qui détourne de l'essentiel la concernant.

Mais je rappelle que les propos de Jacques Chirac sur le bruit et l'odeur, qui exprimaient une vérité, seraient aujourd'hui qualifiés de "nauséabonds" par un Premier ministre virulent ayant appliqué cet adjectif à des séquences de la convention de la droite - et seraient voués aux gémonies partisanes et médiatiques. Le programme du RPR en 1990 dépassait de très loin, pour la vigueur des propositions sur l'immigration et la sécurité, ce que le RN propose aujourd'hui. Jacques Chirac avait rencontré Jean-Marie Le Pen et avait approuvé par ailleurs l'alliance électorale de Dreux avec le FN.

Chirac_le_pen

Jacques Chirac avait refusé en 2002 de débattre au second tour avec le président du FN au motif qu'on ne pouvait pas dialoguer avec "l'intolérance et la haine". Etrange attitude qui ne discute pas le caractère démocratique de la présence de Jean-Marie Le Pen dans l'élection présidentielle mais prétend en répudier les contraintes. Jacques Chirac aurait été évidemment largement élu de la même manière mais on n'a pas été dupe de son abstention étiquetée éthique. Avec Le Pen, redoutable débatteur, il aurait été soumis à rude épreuve et il a préféré une apparente pureté à une authentique et normale contradiction.

Ces rappels ne mettent pas en doute la volonté de Jacques Chirac de pourfendre l'extrémisme mais on notera que son contentieux se rapportait au père plus qu'à la fille. Ils permettent aussi de sortir notre ancien président tellement regretté aujourd'hui de la sanctification politique - il a tout de même été le premier président à avoir été condamné - et des leçons d'exclusion que ses proches ont estimé devoir tirer du parcours d'un fauve autant que d'une belle âme.

Maintenant Jacques Chirac repose auprès de sa fille Laurence.

La ferveur va retomber. Les haines et les intolérances françaises vont-elles diminuer ? J'en doute.


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...