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Un syndicat préventif ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 15/05/2012

Puisque durant un quinquennat la droite n'a pas su, pas voulu s'inspirer d'un humanisme mais efficace et digne, pourquoi la gauche, cette gauche de François Hollande ne parviendrait-elle pas à relever ce beau défi démocratique?

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Avant même la nomination du Premier ministre de François Hollande et donc de notre nouveau garde des Sceaux, un syndicat a été créé: Magistrats pour la Justice (MPJ), à l'initiative d'Alexandra Onfray, ancienne conseillère de Rachida Dati.

Il me semble sain d'en dire ce que j'en pense avant que le nom du ministre de la Justice soit connu pour que je ne risque à aucun moment d'encourir le reproche d'une quelconque complaisance. Je continue à espérer, de toute la force d'un citoyen à la fois ordinaire et, je l'espère, éclairé, la désignation d'André Vallini dont je ne voudrais pas qu'il devienne le Devedjian de gauche d'autant plus que beaucoup de qualités communes, en particulier compétence, savoir, liberté et autorité, les rapprochent.

Il est clair que ce syndicat "marqué à droite" comme le définit le Monde sous la signature de Franck Johannès a pour ambition d'être une machine de guerre anticipée contre une politique judiciaire et notamment pénale qu'on pressent médiocre, laxiste. Cette démarche, déjà, est discutable qui n'attend même pas d'observer et d'analyser pour attaquer. Il y a une présomption d'imperfection et de faiblesse qui est accolée à ce futur ministre et à son équipe, ce qui est un comble quand on songe à Rachida Dati si contrastée pour rester aimable et à Michèle Alliot Marie si calamiteuse.

Les responsables de MPJ osent déclarer que leur initiative "comble un manque évident dans l'expression publique, monocorde et orientée de la magistrature ces dernières années". Alors qu'au contraire elle met en évidence l'appartenance de ces magistrats aujourd'hui sortis du bois à ce courant dominant et complaisant qui durant le quinquennat s'est tu parce qu'il avait le pouvoir et qu'il fallait se garder de tout excès de liberté et d'une imprévisibilité dangereuse. L'indépendance vraie, au cours de ces dernières années, a été perçue comme une faute de goût. Aussi, elle n'a pas été surabondante!

Où se trouvaient les créateurs de ce nouveau syndicat si attaché aux valeurs de justice et d'honneur quand les magistrats de la Cour de cassation étaient traités de "petits pois", que le président de la Réplique affichait publiquement sa détestation des magistrats et ses préférences amicales et partisanes, que Patrick Ouart voyait son attitude honteuse révélée par les écoutes Woerth-Bettencourt, que Renaud Van Ruymbeke était menacé par une procédure disciplinaire absurde, que la gestion du dossier Clearstream démontrait ma naïveté d'un temps et ma crédulité pour l'indépendance d'un certain parquet parisien ou nanterrois avec Philippe Courroye ?

J'ai eu beau tendre l'oreille et l'esprit, je n'ai entendu personne de cette mouvance si inquiète avant l'heure aujourd'hui,se manifester, s'élever contre les abus et les dérives du Pouvoir dans sa relation trouble avec l'institution judiciaire et les quelques personnalités dont il avait besoin.

Cette passivité, voire cette lâcheté durant le quinquennat, alors qu'apparemment Alexandra Onfray aurait pu avoir voix au chapitre, n'interdisent évidemment pas à  MPJ de s'émouvoir de ce qui a été annoncé par les socialistes et qui sur certains points m'apparaît en effet critiquable. Il conviendra - je persiste mais sans trop d'illusion - de ne pas défaire aveuglément, pour observer un catéchisme idéologique, ce qui a été accompli par la droite et qui, souvent, n'a pas brillé par la cohérence, la réflexion et l'absence de démagogie. Aussi bien pour les peines planchers que pour la politique pénitentiaire, on ne saurait trop recommander au nouveau garde des Sceaux de ne pas précipiter le mouvement et de savoir résister au mouvement facile d'une destruction qui plaira certes aux socialistes, aux idéologues mais pas forcément au pays tout entier.

MPJ aura toute latitude pour dénoncer puisqu'à l'évidence cette structure de droite va se singulariser en devenant une sorte d'APM pour ne pas laisser le champ libre au Syndicat de la magistrature (SM) qui doit frémir d'aise par avance et à l'Union syndicale des magistrats (USM) présidée par Christophe Régnard qui ne paraît pas affecté par le surgissement dans l'espace judiciaire de MPJ.

 Celui-ci, aussi controversée que soit son irruption moins justifiée par le fond que par une autre forme d'idéologie jusqu'au boutiste et sectaire, n'aurait peut-être pas eu l'opportunité d'exister si depuis trop longtemps le SM et l'USM n'avaient pas fait cause commune sur le plan intellectuel et professionnel, contraignant beaucoup de collègues à demeurer silencieux et en retrait. Au bord de la route quand ces syndicats coalisés l'occupaient tout entière.

Je ne me suis pas tu durant cinq ans et si j'ai appelé à voter en faveur de François Hollande, c'est qu'après François Bayrou au premier tour, il a su reprendre cet engagement de moralisation de la vie publique caractérisée essentiellement par une justice réellement indépendante et vraiment considérée. MPJ souhaite obscurément que les désastres craints surviennent. Pour ma part, je n'exclus pas que l'intelligence des gouvernants, les leçons d'hier et l'irrésistible poids du réel sur les abstractions généreuses mais guère opératoires nous conduisent vers une Justice qui pourra se passer de l'oeil sévère et unilatéral de ce syndicat de droite advenu tactiquement comme une construction  artificielle. Pour montrer que ce nouveau pouvoir était blâmable avant même de l'avoir été.

Puisque durant un quinquennat la droite n'a pas su, pas voulu s'inspirer d'un humanisme mais efficace et digne, pourquoi la gauche, cette gauche de François Hollande ne parviendrait-elle pas à relever ce beau défi démocratique?


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