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Ai-je été un lyncheur ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 16/07/2019

Aussi je ne crois pas avoir été un lyncheur. Mais je ne voudrais pas hurler avec les loups, n'être pas capable d'attendre, ne pas plonger avec volupté dans la présomption de culpabilité des politiques. Je voudrais ne pas appeler à des démissions contrairement à ce dont je rêve : être un citoyen qui ne soit ni un Fouquier Tinville ni un juge. Mais un honnête homme capable de comprendre et de blâmer. Mais sans tomber alors dans un sale lynchage.

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Le ministre de la Transition écologique et solidaire François de Rugy a démissionné le 16 juillet et le président de la République en a pris acte en précisant qu'il s'agissait d'une "décision personnelle", sans doute pour laisser entendre que le pouvoir ne lui faisait aucun reproche politique.

Mediapart s'apprêtait à poursuivre son offensive en traitant de l'utilisation problématique de ses frais de mandat comme député. Il les aurait notamment affectés au règlement de ses cotisations à EELV. Selon le site, ce serait cette imminence de publication qui aurait conduit François de Rugy à jeter l'éponge ministérielle pour redevenir député.

Il était également mis en cause pour l'usage abusif de ses chauffeurs à des fins privées.

François de Rugy a expliqué pour sa part que le harcèlement dont lui-même et sa famille étaient victimes ne lui laissait plus la tête suffisamment libre et concentrée pour l'exercice de sa fonction ministérielle et qu'il avait donc jugé préférable de démissionner tout en portant plainte contre Mediapart pour diffamation.

Il faut dire qu'il n'a pas été ménagé et qu'aussi bien pour un logement social inoccupé que pour sa directrice de cabinet ayant bénéficié d'un logement de ce type sans en avoir le droit, et à laquelle il avait demandé de démissionner - elle lui avait reproché de se servir d'elle pour se dédouaner - la polémique n'avait pas cessé même si elle avait commencé à cause des dîners fins et apparemment privés et des vins hors de prix servis à l'Hôtel de Lassay par le couple.

L'image des homards a été dévastatrice alors qu'ils avaient été préparés pour la soirée de la Saint-Valentin pour un dîner conjugal.

J'entends bien que l'argent public a financé ces diverses dépenses dont le caractère professionnel était rien moins qu'évident pour certaines même si le président de l'Assemblée nationale qu'il était avait des obligations de représentation et d'information qui pouvaient le conduire à à faire un panachage d'invités.

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Suis-je un lyncheur parce qu'immédiatement je me suis étonné de la molle réactivité du pouvoir et de la volonté du ministre de demeurer droit dans ses bottes sans prendre conscience des inévitables suites politiques et médiatiques ? Je reconnais peut-être m'être précipité dans un mouvement de salubrité républicaine et avoir été comme tant d'autres seulement choqué par la superficialité somptuaire sans m'interroger plus avant sur les modalités détaillées de son comportement et de celui festif du couple. Suis-je un lyncheur parce que j'ai participé, par une sorte d'hostilité instinctive, à cette chasse au "de Rugy" dont maintenant je ne méconnais pas le caractère trouble ?

Comme si, avec d'autres, j'avais été attiré, symboliquement, par le goût du sang et toutes les offenses possibles et imaginables qu'on pouvait causer à ce pouvoir auquel appartenait le ministre. Il y a eu à l'évidence, en tout cas chez moi, une sorte d'abandon à un sadisme civique dont j'ai perçu la nature quand j'ai appris la démission de François de Rugy.

Non pas que j'aie regretté cette décision qui arrivait trop tard - et trop d'indélicatesses et d'abus l'ont précédée - mais j'ai eu l'impression que ce retrait inévitable mais courageux cependant nous contraignait à nous poser seulement maintenant, authentiquement, la question de savoir si le couple avait réellement fauté et si François de Rugy dans ses diverses fonctions avait démérité sur les plans de la déontologie et de l'intégrité.

Je ne voudrais pas m'accabler par une sorte de fausse contrition mais, en dehors du fait que l'obstination et l'inquisition de Mediapart, aussi systématiques, pénibles et fouillées qu'elles soient, doivent être considérées comme des auxiliaires de démocratie, je plaide qu'en France nous sommes tellement habitués à la médiocrité de la morale publique et au peu de sévérité du pouvoir à l'égard de ses transgressions que nous forçons le trait et que nos jugements sont sommaires et expéditifs même s'ils s'avèrent parfois justifiés ensuite. Ayant peur que le pouvoir soit inerte, le citoyen, les médias le prennent de vitesse.

Aussi je ne crois pas avoir été un lyncheur. Mais je ne voudrais pas hurler avec les loups, n'être pas capable d'attendre, ne pas plonger avec volupté dans la présomption de culpabilité des politiques. Je voudrais ne pas appeler à des démissions contrairement à ce dont je rêve : être un citoyen qui ne soit ni un Fouquier-Tinville ni un juge. Mais un honnête homme capable de comprendre et de blâmer.

Sans tomber alors dans un sale lynchage.


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