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La robe et les politiques : le sacrifice de la vérité ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 15/09/2018

Mais acceptons cette triste fatalité. Si on se donne le droit de sacrifier la vérité parce qu'elle viendrait troubler le jeu, dissiper le simulacre, alors tout est permis. Et les juges comme les citoyens en tireront les conséquences.

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Il n'y a pas de hasard.

Les politiques depuis quelques années portent de plus en plus la robe non seulement à cause de déconfitures conjoncturelles mais plus profondément, parce qu'il y a entre ces deux activités emblématiques, des similitudes, une familiarité propices au passage de l'une vers l'autre ("Quand les politiques portent la robe" - Le Parisien Week-end).

On ne peut pas comparer l'époque récente avec la période couvrant la IIIe et la IVe République où le barreau et la politique étaient si intimement liés que le premier paraissait être une voie naturelle, presque obligatoire, pour rejoindre la seconde. La culture humaniste, la richesse de l'intelligence et de l'argumentation, l'éloquence et sa théâtralisation constituaient une sorte de terreau commun qui irriguait l'avocat d'hier ou d'avant-hier comme l'élu ou le ministre d'alors.

Aujourd'hui les données ne sont plus les mêmes.

Je ne veux pas laisser croire qu'il y aurait comme un mouvement mécanique qui ferait du barreau la roue de secours de la politique.

D'abord parce qu'il y a des avocats qualifiés rapidement de ténors par les médias qui inversement, désirant frayer avec la politique active, ont essuyé des échecs cinglants.

Ensuite, pourquoi des avocats parfois prestigieux se seraient-ils laissé aller à s'aventurer dans l'espace politique classique alors que leur manière d'appréhender leur beau métier et la fonction de défense les conduisaient chaque jour à être des conseils politisés dans le bon sens du terme et à participer à mille commissions, colloques ou manifestations qui les mettaient au bord de la politique partisane mais sans les faire directement accéder à celle-ci ? Parce qu'ils ne le désiraient pas. Un immense avocat engagé comme Henri Leclerc est le parfait exemple pour la situation que j'évoque.

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Enfin, pour beaucoup de grands avocats pénalistes, il n'en est pas un que je n'aurais pas pu imaginer dans le registre politique même si la plupart poussent des hauts cris quand cette perspective est formulée devant eux. Même ceux qui se prétendent libres et non partisans ne seraient pas aux antipodes d'un détour qui les ferait glisser de la médiatisation judiciaire au narcissisme politique.

Pour être sincère, je ne vois qu'un avocat pour me faire mentir. Thierry Lévy, extraordinaire défenseur et mon cher ami tant regretté ; parce que, avocat, il ne savait que dire brutalement, somptueusement, sa vérité, il aurait été incapable d'embrasser une activité politique qu'il aurait perçue comme un comble de convention et d'inutilité. Trop d'intégrité, de roideur, de conviction, aucune démagogie, détestation de la flatterie et des banalités, à l'écoute de soi avant de prétendre complaire à autrui.

Mais, de nos jours, pour le commun des politiques, hommes et femmes, si la robe est devenue un accueil, un abri, un confort, cela tient à la déperdition de ce qui anciennement faisait briller et réunissait. La culture s'est appauvrie, le verbe s'est rapetissé, l'argumentation s'est rétrécie. De sorte que les politiques soumis à ces manques criants ne sont pas dépaysés quand ils abordent cet autre paysage pâtissant des mêmes lacunes.

La familiarité qui les accorde touche un élément capital. Pour des raisons aussi bien tactiques que de tempérament, la recherche et l'expression de la vérité ne sont pas une exigence fondamentale, un besoin viscéral. Bien au contraire, on pourrait avancer l'idée, qui n'est pas si paradoxale que cela, d'une tranquillité intellectuelle et professionnelle précisément parce que la vérité n'est pas, lancinante, à atteindre mais qu'elle est auxiliaire. Il y a ce qui sert puis la vérité seulement si elle sert.

Les plus forts en gueule, en démocratie, ne sont même pas capables de tenir une ligne qui les honorerait. Un Mélenchon à Marseille a démontré que l'insoumission était très relative. Et la vérité le cadet de ses soucis.

En réalité, le barreau comme les politiques sont des prisonniers consentants. Le premier d'une cause qu'il n'a pas choisie mais qu'il a accepté de défendre. Les seconds de leur parti. Il y a là sans doute le ressort prioritaire qui entraîne la politique vers le barreau : on n'a pas besoin d'un apprentissage pour passer de la première au second. Il est déjà fait.

Si on trouve mon analyse un peu forcée - je ne refuse pas, je le concède, dans mes billets les gros traits qui font mieux percevoir et comprendre -, il suffit de chercher qui, de la politique au barreau, a modifié son registre, déserté la langue de bois pour un langage de sincérité, répudié le conformisme partisan pour l'inventivité libre.

Je ne peux en nommer aucun à l'exception, à droite, de Jean-François Copé, tout simplement parce que ce dernier a transformé son rapport au politique. Il a adopté un parler vrai, parfois une vigueur iconoclaste. Il n'a pas emmené avec lui la convention partout puisqu'il l'avait fuie partout.

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La robe et les politiques : ce ne sont pas des transfuges mais des alliés. Ils respirent le même air, pour convaincre ils doivent dissimuler, jouer la comédie. Mentir même en espérant qu'ils ne se mentent pas à eux-mêmes. Mais acceptons cette triste fatalité. Si on se donne le droit de sacrifier la vérité parce qu'elle viendrait troubler le jeu, dissiper le simulacre, alors tout est permis.

Et les juges comme les citoyens en tireront les conséquences.


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