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A quoi ressembleront les libertés numériques en 2025 ?

:: S.I.Lex :: - calimaq, 23/05/2015

L’association EDRi (European Digital Rights) est une fédération rassemblant plus d’une trentaine d’organisations pour défendre les droits et libertés numériques au niveau européen. Elle publie une lettre d’information intitulée EDRi-Gram, dont le 300ème numéro adopte une démarche orignale, puisqu’EDRi a … Continuer la lecture

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L’association EDRi (European Digital Rights) est une fédération rassemblant plus d’une trentaine d’organisations pour défendre les droits et libertés numériques au niveau européen. Elle publie une lettre d’information intitulée EDRi-Gram, dont le 300ème numéro adopte une démarche orignale, puisqu’EDRi a demandé à plusieurs auteurs et activistes de se livrer à un exercice de science-fiction juridique en répondant à la question : à quoi ressembleront les droits et libertés numériques en 2025 ?

Cet exercice de projection dans le futur s’avère particulièrement intéressant et la publication d’EDRi regroupe une vingtaine de textes courts balayant des thématiques comme celle de l’évolution du droit d’auteur, la protection de la vie privée, l’extension de la surveillance ou l’avènement des objets connectés. L’une de ces contributions, écrite par le militant roumain Bogdan Manolea, a retenu mon attention, parce que je trouve qu’elle synthétise brillamment plusieurs des inquiétudes que l’on voit monter actuellement. Aujourd’hui Internet forme (encore) un réseau « un et indivisible », mais le texte raconte ce qui se passerait si Internet volait en éclats en perdant son caractère universel pour se fragmenter en plusieurs espaces numériques différents.

La volonté grandissante des Etats de regagner leur « souveraineté numérique » pourrait en effet un jour aboutir à un tel « schisme numérique », surtout si elle se combine avec leurs aspirations sécuritaires et leur volonté de puissance économique. Le texte de Bogdan Manolea lève un coin du voile sur ce futur possible, avec une pointe d’humour puisque qu’il imagine que Nicolas Sarkozy sera devenu en 2025 président de la Commission européenne d’où il mettra en oeuvre ses projets de « civilisation de l’Internet » !

La publication d’EDRi est placée sous licence CC-BY-SA, ce qui me permet de vous proposer la traduction en français de ce texte. Neil Jomunsi a traduit de son côté sur son blog une autre des contributions de l’ouvrage consacrée  à l’Internet des objets. N’hésitez pas à le faire également si vous estimez qu’un de ces textes mérite d’être mieux connu.

Et n’oublions surtout pas que le but de la science-fiction est surtout de nous donner les moyens critiques d’agir sur le présent pour éviter que l’avenir ne bifurque vers un de ces scénarios dystopiques. C’est notamment pour éviter une telle catastrophe qu’il est essentiel de défendre la Neutralité du Net aujourd’hui !

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Le Rideau de pixels rouges

(Texte écrit par Bogdan Manolea. Traduit en français par Lionel Maurel. Traduction sous licence CC-BY-SA)

Image par MikasDA. Source : Deviant Art.

Qu’est-ce qui est petit, sombre et qui frappe à votre porte ? Le futur.

1 mai 2025. Le jour où ce qu’ils appellent la « nouvelle architecture d’Internet » s’est déployée, après que l’ancienne ait été rendue obsolète après une vague massive d’attaques DDoS qui ont rendu impossible l’accès à la moindre page web. On ne sait pas vraiment qui était derrière ces attaques, mais nous savons quel a été le résultat : l’apparition de trois Internets principaux et de centaines de réseaux plus petits :

L’Internet européen, appelé EUnet, est aujourd’hui devenu une réalité fonctionnelle. Le désir que chérissaient depuis longtemps quelques bureaucrates l’a emporté, en dépit de tous les arguments techniques, économiques et sociétaux avancés pour le contrer. Tous les fournisseurs d’acccès Internet et les opérateurs mobiles doivent à présent utiliser l’EUnet, un espace où « les citoyens européens peuvent être en sécurité », comme le Président de la Commission européenne, Nicolas Sarkozy, le disait dans son manifeste pour un Internet plus propre avant qu’il n’arrive en poste à Bruxelles en 2019. A présent, cette « zone civilisée du monde numérique » est devenue le nouvel Internet obligatoire de l’Union Fédérale Européenne – un monde numérique dans lequel aucun contenu non-souhaité ne peut circuler, où il n’y a plus de contrefaçon ou d’infraction au droit d’auteur. En tout cas, c’est comme cela qu’il nous a été vendu avant que l’ancien Internet ne soit abandonné. Tout le monde aura la liberté la plus complète d’être protégé de quiconque aurait de mauvaises intentions. Comme Sarkozy l’avait promis, l’Europe a redéfini sa liberté d’une manière qui garantit qu’aucun terroriste ne puisse plus lui enlever.

Mais je ne sais pas comment cet EUnet fonctionne…

Le FreedomNet, qui a été mis en place entre les Etats-Unis, l’Angleterre, l’Australie, le Japon et le Canada, est une autre partie de ce qui constituait auparavant Internet. Il s’inscrit dans le prolongement des caractéristiques de l’ancien Internet, puisque des révélations ont montré que la NSA est devenue un des principaux actionnaires de Facebook, Google et Yahoo, ce qui lui permet non seulement d’avoir accès aux données collectées grâce à ces services, mais aussi de les croiser. En vertu de l’accord de « Safe Arbour » conclu entre les Etats-Unis et l’Europe, certains sites ou services sont encore accessibles d’un réseau à l’autre. Un peu comme la duplication des fonctionnalités à laquelle on assistait en 2015 avec les applications pour iOS et Android, mais en plus perfectionné.

Mais je ne sais pas non plus comment fonctionne le FreemdomNet…

Observons à présent l’Internet des Lumières, surnommé « le Rideau de pixels rouges ». Il est rouge, en accord avec la couleur de la première lettre du logo de Yandex, le moteur de recherche obligatoire qui s’ouvre comme page d’accueil de tous les navigateurs acceptés sur le réseau. L’Internet des Lumières était une idée qu’a eu Poutine au cours de son sixième mandat présidentiel. Ses équipes dédiées aux nouvelles technologies ont pris le meilleur des logiciels Open Source qui font tourner le FreedomNet et l’EUnet pour en faire un nouveau système propriétaire.

Le système automatique de repérage des infractions au droit d’auteur qui était utilisé sur l’EUnet a été reconfiguré pour identifier et bloquer avant leur mise en ligne tous les contenus qui pourraient être considérés comme des critiques malhonnêtes des gouvernants en place. Les logs de connexion et les mails sont croisés avec des données de géo-localisation et de reconnaissance faciale pour identifier les individus qui pourraient se servir de l’EUnet avec des intentions malveillantes et pour les déconnecter automatiquement. Ce système a été rodé à partir d’un programme de protection contre le harcèlement des enfants et il a été transformé en un système « d’Identification Obligatoire sur Internet », qui surveille et stocke toutes vos activités en ligne depuis 6 ans sur un serveur central situé en Antarctique. Au-delà de la Russie et de la Chine qui gèrent actuellement l’ensemble des infrastructures et des contenus de cet Internet des Lumières, d’autres pays asiatiques ou européens sont lentement mais sûrement inclus dans ce qui est devenu le plus grand réseau au monde, notamment en exerçant sur eux des pressions par le biais de sanctions économiques.

Mais je ne veux même pas savoir comment l’Internet des Lumières fonctionne. C’est trop déprimant…

La vérité, c’est que nous avons détruit l’Internet que nous avions l’intention de transmettre en héritage aux générations futures. Maintenant que nous l’avons perdu, ce serait le bon moment pour inventer une machine à remonter le temps et retourner 10 ans en arrière pour commencer à défendre les libertés numériques. Parce que la liberté ne peut se conserver qu’au prix d’une vigilance éternelle. Et il est temps pour nous de payer ce prix.

Tous les personnages, pays et situations qui apparaissent dans ce texte sont fictifs. Toute ressemblance avec la réalité relève d’une pure coïncidence et doit être considérée comme une défaillance technique du Rideau de pixels rouges.  


Classé dans:Libertés numériques & Droits fondamentaux Tagged: EDRi, internet, libertés numériques, neutralité du net, surveillance

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