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Réforme du droit des contrats : la codification de la période précontractuelle : une consécration attendue et un réordonnancement bienvenu (fiche n°6)

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Gabrielle Olivier, 20/08/2015

I. CONTEXTE
1. Le Code civil a été conçu pour régir les contrats qui se forment en « un trait de temps » (Les obligations, droit civil, Dalloz, 8ème édition, S. Porchy-Simon, n°75, p.45). En pratique, les partenaires se rencontrent, négocient les conditions de leurs engagements et peuvent conditionner ou fractionner leurs accords. La conclusion du contrat se réalise ainsi parfois par étapes, ce que le droit allemand désigne par le terme « punctation ».

2. Le Code civil est cependant resté muet sur cette phase avant-contrat. Les juges ont tenté tant bien que mal de la régir mais cela est resté insatisfaisant et parfois chaotique : « Une jurisprudence erratique et surtout incohérente a depuis plus de vingt ans suscité la critique de la doctrine et l’ire de la pratique spécialement notariale » (Semaine juridique, édition générale, supplément au n°21, 25 mai 2015, Nicolas Molfessis n° 15 p. 11).

3. Les sanctions des violations des engagements pris durant cette phase étaient incohérentes. Ainsi, le promettant qui révoquait sa promesse pendant le délai laissé au bénéficiaire pour opter était sanctionné par des dommages et intérêts tandis que l’offrant qui retirait son offre avant le terme fixé était tenu par les termes de son offre.

II. TRAITEMENT ACTUEL
4. Les règles relatives à la période précontractuelle se retrouvent dans la jurisprudence et sont accessibles après jeu de piste notamment sous les articles 1101 du code civil portant définition du contrat, l’article 1589 sur la vente ou encore l’article 11421142 sur la réparation de l’inexécution des obligations de faire.

III. LES APPORTS DE LA REFORME
5. Le projet de réforme consacre une phase précontractuelle dans le Code civil en insérant dans le Titre III « sources d’obligations », un chapitre II « Formation du Contrat » dont la section 1 « conclusion du contrat » renvoie par quatre sous-sections à cette période :
- Sous-section 1 – les négociations (articles 1111 et 1112 du projet)
- Sous-section 2 – l’offre et l’acceptation (articles 1113 à 1123 du projet)
- Sous-section 3 – la promesse unilatérale et le pacte de préférence (articles 1124 à 11255)
- Sous-section 4 – le contrat conclu par voie électronique (cf. fiche n°3 - les impacts sur les e-contrats »).

6. Le projet « hiérarchise » en quelque sorte les étapes de la conclusion du contrat : négociation, émission d’une offre, conclusion d’un avant-contrat.

7. Les dispositions relatives aux négociations reprennent le principe de la liberté sous réserve de l’abus visé par les termes « conduite ou rupture fautive » qui engage alors la responsabilité extracontractuelle de son auteur. La jurisprudence Manoukian est également consacrée (Com. 26 novembre 2003, 00-10243) puisque le projet précise que « les dommages et intérêts ne peuvent avoir pour objet de compenser la perte des bénéfices attendus au contrat ».

8. Le projet tranche également en faveur de la responsabilité extracontractuelle de l’offrant qui révoque son offre avant l’expiration du délai prévu avec la même limitation d’indemnisation que pour les négociations.

9. Le projet codifie la promesse unilatérale et le pacte de préférence en donnant une définition de ces deux notions et en précisant les sanctions attachées :
- « la révocation de la promesse pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat promis » et « le contrat conclu en violation de la promesse unilatérale avec un tiers qui en connaissait l’existence est nul ». -

« Lorsque, en violation d'un pacte de préférence, un contrat a été conclu avec un tiers qui en connaissait l'existence, le bénéficiaire peut agir en nullité ou demander au juge de le substituer au tiers dans le contrat conclu. Le bénéficiaire peut également obtenir la réparation du préjudice subi ».

10. Le projet favorise l’exécution forcée de la promesse et privilégie la nullité à l’inopposabilité en cas de violation de ces avant-contrats.

11. A cette action en nullité, le projet offre, en cas de violation d’un pacte, une option au bénéficiaire pour une action en substitution confirmant ainsi une jurisprudence posée en 2006 (Chambre mixte, 26 mai 2006, n°03-19376). Le projet assouplit également son application en la conditionnant à la seule connaissance du tiers de l’existence du pacte sans besoin de prouver que le tiers connaissait l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir.

12. Le projet pose au profit du tiers, pour éviter cette hypothèse de substitution, une possibilité d’interroger la personne qu’il suppose être bénéficiaire d’un pacte afin de se prémunir de toute contestation ultérieure.

IV. APPRECIATION ET PROPOSITION(S)
13. La consécration dans le Code civil d’une phase précontractuelle était attendue et répond aux objectifs d’accessibilité et d’intelligibilité du droit. Si le contenu et la formulation de ses dispositions sont perfectibles, selon la doctrine, ils restent, selon nous, satisfaisants.

14. Le projet organise la phase précontractuelle et attribue une sanction adaptée et cohérente à la violation des engagements pris pendant cette période : responsabilité extracontractuelle en cas de rupture des négociations ou de révocation d’une offre, et contractuelle en cas de rétractation d’une promesse.

15. En matière de promesse, le projet a le mérite de rompre avec la jurisprudence existante et controversée de la Cour de cassation de 1993 (Civ. 3ème, 15 décembre 1993, Cruz, n° 91-10199). Cette jurisprudence a été pourtant réitérée au fil des années, le Conseil d’Etat venant récemment de s’aligner sur la position retenue (Conseil d’Etat, 2 avril 2015, n°364539
« il résulte de la combinaison des articles 11011, 1134 et 1589 du code civil que, ainsi que le juge la Cour de cassation, la rétractation par le promettant d’une promesse unilatérale de vente, lorsqu’elle intervient avant que le bénéficiaire ait levé l’option dans le délai stipulé dans le contrat, se résout, conformément aux dispositions de l’article 1142 du code civil, en dommages et intérêts » ).

Si pour la majeure partie de la doctrine, cette jurisprudence remet en cause l'intérêt fondamental de la promesse unilatérale de vente (Veille Permanente du 13 juillet 2015, éditions législatives, gestion immobilière, Pierre Bagnérès « Rétractation unilatérale de son engagement par le promettant ») et instille une dose d’insécurité juridique (« Semaine Juridique Notariale et Immobilière n° 18, 1er mai 2015, n°1146 « Pour une promesse unilatérale de vente sécurisée » E. Cevaër) une autre partie continue de « plaider » pour son maintien (Recueil Dalloz – 16 avril 2015 – n°14, « De l’inconstitutionnalité de l’exécution forcée des promesses unilatérales de vente – dernières plaidoiries avant adoption du projet de réforme du droit des contrats », M. Fabre-Magnan).

16. Si certains regrettent que seulement deux articles soient consacrés à des actes aussi essentiels que la promesse et le pacte (Recueil Dalloz – 28 mai 2015 – n° 19, « Morceaux de code », P-Y. Gautier), d’autres s’étonnent que la promesse synallagmatique n’ait pas été envisagée. La Chancellerie explique qu’il s’agit d’une volonté de ne pas empiéter sur les contrats spéciaux où elle ne dispose pas d’habilitation (Semaine juridique Notariale et Immobilière n°15, 10 avril 2015, act.496 « Réforme du droit des contrats : « Revenir à l’esprit du code en l’adaptant au monde d’aujourd’hui » entretien avec Carole Champalaune, Directrice des affaires civiles et du Sceau).

17. De notre côté, nous aurions trouvé utile que d’autres engagements précontractuels soient traités tels que ceux que l’on utilise très souvent en pratique : les lettres d’intention, les accords de principe ou encore, dans une certaine mesure, les contrats-cadre lorsqu’ils recouvrent la fonction de « memorandum of understanding » .

V. EN PRATIQUE
18. Les personnes qui souhaiteront signer une promesse unilatérale devront prendre le temps de la réflexion et faire preuve de vigilance avant de s’engager. Il leur sera conseillé de prévoir contractuellement l’hypothèse de la révocation.

19. En matière de pacte, si la substitution semble être une juste sanction pour le bénéficiaire dont les droits ont été violés, son application pourrait poser d’importantes difficultés pratiques (notamment si le bénéficiaire n’agit pas immédiatement).

L’association française des juristes d’entreprises (AFJE) qui a pris partie prenante dans l’examen du projet de réforme du droit des contrats préconise la suppression de cette action en substitution qu’elle juge « disproportionnée par rapport à l’objectif d’assurer l’efficacité » du pacte.
L’association suggère également de supprimer l’ « action interrogatoire » proposée par le projet considérant que si le tiers présume l’existence d’un pacte, « il n’a aucun intérêt à se prévaloir de ses dispositions » .


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