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Omnipotence de l'accusation ou de la défense ?

Justice au Singulier - philippe.bilger, 16/11/2018

Je ne prétends pas être cynique mais réaliste. Dès lors qu'un projet de loi, dans le registre pénal, n'a pas le loisir de peser comme sur un trébuchet la dose de liberté et l'exigence de de sûreté, de concéder une stricte égalité à l'une et à l'autre, puisqu'il faut choisir et arbitrer pour déterminer la meilleure procédure possible, je préfère pour nous, pour la communauté nationale, pour tous les citoyens, l'omnipotence de l'accusation à celle de la défense.

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Il ne faut pas se leurrer : l'équilibre parfait en matière pénale est impossible et l'histoire procédurale a démontré que longtemps, sous des pouvoirs de droite ou de gauche, l'avocat l'a emporté sur le procureur, la défense sur l'accusation.

Parce qu'il y a une mythologie du barreau, qui a influencé et convaincu les familles politiques même les plus éloignées en apparence tant un certain humanisme - les droits de l'homme interpellé, soupçonné, gardé à vue, jugé et coupable -, une relative indifférence à l'égard de l'ordre public et de l'utilité sociale ont prédominé généralement dans l'approche législative.

Le formidable groupe de pression que le barreau parisien a été, son poids politique, ont compté dans cette impression que, socialiste ou libéral, l'essentiel privilégiait plus les libertés que la sécurité, l'état de droit avec des garanties pour les transgresseurs davantage qu'avec des protections pour la masse des citoyens honnêtes.

Un projet de réforme de la Justice aussi systématiquement attaqué par les avocats, même les plus réputés, ne peut pas être mauvais. C'est plutôt un rapport de force qui s'est inversé et qui laisse la défense stupéfaite, comme une habitude brisée et une routine interrompue. C'est ce qu'elle nomme "l'omnipotence de l'accusation".

Douze secrétaires de la Conférence des avocats du barreau de Paris, dont l'union fait la force mais ne garantit ni l'expérience ni la pertinence, emboîtent le pas, si j'ose dire, à cette dénonciation corporatiste en soutenant que seraient "déshumanisées" les épithètes : "rapide, efficace et moderne" souhaitées pour la justice de demain (Le Monde).

On ne voit pas pourquoi sauf à considérer que "lente, stérile et archaïque" seraient donc les qualificatifs idéaux pour une justice pénale au goût du barreau.

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D'une certaine manière, sans me moquer, je charge à peine la barque puisque le projet de loi a pour immense mérite - et donc sa tare pour la défense - d'alléger la bureaucratie procédurale en donnant en effet plus de pouvoirs à l'accusation, de permettre à celle-ci d'accomplir un certain nombre d'actes dont personne ne nie qu'ils sont fondamentaux pour une enquête et des investigations réussies mais dont le seul tort serait d'être confiés aux procureurs de la République.

La garde des Sceaux ne se trompe pas quand elle souligne que l'adoption de son projet rendra la justice "plus lisible, plus accessible, plus simple et plus efficace" (L'Obs). Entre l'infraction et la vérité, on ne multiplie plus les obstacles : on les réduit autant que possible.

Je comprends le saisissement des avocats qui d'un coup voient s'infléchir une tendance pénale passée d'une forme de mansuétude dilatoire à une réactivité efficace. Ils réclament d'être présents alors que précisément la force de ces avancées proposées tiendra au fait qu'elles ne seront pas inutilement battues en brèche par une contradiction trop précoce.

J'apprécie ce que les secrétaires déplorent : qu'on ait en effet généralisé peu ou prou à la délinquance et à la criminalité ordinaires un socle technique et opératoire d'abord forgé pour la lutte contre le terrorisme. Je refuse d'établir une présomption d'atteinte aux libertés parce que l'accusation serait, un temps, la seule dépositaire de ces outils, de ces armes. Ce n'est pas sous-estimer le barreau que de lui prêter un rôle décisif mais l'enquête faite et l'instruction ouverte.

Celle-ci ne sera pas supprimée parce qu'il n'est pas contradictoire de la maintenir en en usant moins largement qu'à une certaine époque où police et parquet (la police étant encore gangrenée par un formalisme délirant) avaient moins de latitude.

Je n'imagine pas qu'un pouvoir de droite, de gauche ou macronien remettra sur le métier la disparition du juge d'instruction qui a été sauvé paradoxalement par ceux qui avaient pour ambition de le faire disparaître : Nicolas Sarkozy avec le soutien de quelques magistrats inféodés avant que la Cour de cassation ne réagisse.

Dans ce projet de loi - je regrette que la garde des Sceaux soit entêtée sur ce plan - seule la création d'un tribunal criminel départemental avec la suppression du jury populaire en première instance est une absurdité. Il paraît qu'on en fera l'expérience. Quand elle aura capoté, il ne faudra pas traîner pour la renvoyer dans le néant.

Je ne prétends pas être cynique mais réaliste. Dès lors qu'un projet de loi, dans le registre pénal, n'a pas le loisir de peser comme sur un trébuchet la dose de liberté et l'exigence de sûreté, de concéder une stricte égalité à l'une et à l'autre, puisqu'il faut choisir et arbitrer pour déterminer la meilleure procédure possible, je préfère pour nous, pour la communauté nationale, pour tous les citoyens, l'omnipotence de l'accusation à celle de la défense.

On a encore vu récemment dans certaines affaires médiatisées comme les droits de la défense sont scrupuleusement respectés. Tant mieux pour elle.

Pour la vérité ?


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