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La place du régulateur dans l’instance juridictionnelle ouverte contre sa décision

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, Virginie Delannoy, 21/11/2012

La présence du régulateur dans le procès fait à son acte est souvent l’objet de vives critiques comme étant attentatoire aux exigences du procès équitable. Ces exigences imposent-elles, pourtant, l’exclusion du régulateur du prétoire ?
L’attribution aux autorités sectorielles de régulation (notamment, Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, Commission de régulation de l’énergie et, plus récemment, Conseil supérieur de l’audiovisuel ou Autorité de régulation de la distribution de la presse) d’un pouvoir de règlement des différends opposant les opérateurs économiques a fait de ses autorités des organes aux compétences hybrides, de nature à la fois administrative et juridictionnelle.
Signe de cette ambivalence, leurs décisions de règlement de différends sont qualifiées d’actes administratifs unilatéraux mais sont contestés devant la Cour d’appel de Paris (à l’exception des décisions du CSA qui relèvent de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’Etat).
Dès lors, dans le cadre de ce qui pourrait sembler être un appel, un second jugement au fond du différend, la présence du régulateur est souvent stigmatisée par la partie demanderesse au recours en ce qu’elle conduirait à une méconnaissance de l’exigence d’un procès équitable.

La critique n’est pas nouvelle. Elle repose, toutefois, sur une analyse erronée de la nature de cette voie de recours particulière comme d’une appréciation biaisée du procès équitable.

Ce recours est, avant tout, le procès en annulation ou en réformation fait à l’acte du régulateur statuant sur le différend. En droit administratif, il s’agirait d’un recours pour excès de pouvoir ou de plein contentieux exercé par la (ou les) partie(s) à laquelle l’acte fait grief. Dans le prétoire du juge administratif, s’opposent alors la partie demanderesse et l’auteur de l’acte et il n’est pas rare que s’ajoute, par la voie de l’intervention (volontaire ou provoquée), le bénéficiaire de l’acte. Chaque partie défend ses intérêts propres même si les intérêts de l’auteur de l’acte et de son bénéficiaire ont une finalité identique : le maintien de l’acte attaqué.

Le recours contre la décision de règlement de différend est sous-tendu par la même logique : le régulateur défend sa décision dans l’intérêt ultime de la régulation économique sectorielle. Son intervention devant le juge n’est pas au soutien du bénéficiaire de la décision mais se situe au-delà de ses intérêts particuliers, pour la sauvegarde de l’équilibre que sa décision a, de son point de vue et conformément à ses attributions légales, créé, rétabli ou contribué à préserver. A la différence des parties au différend, le régulateur ne poursuit aucune demande propre. Pour cette raison simple, présent dans le contentieux objectif ouvert contre sa décision, il n’a pas la qualité de partie et, ce faisant, n’est pas autorisé à « se substituer aux parties pour formuler dans le débat judiciaire qui les oppose, et elles seules, des demandes ou fins de non-recevoir qu’elles n’y ont pas introduites » (CA Paris 24 février 2004, EDF c/ Société Sinerg, n° 2003/10671, à propos de l’intervention de la CRE ; confirmé par Cass. com. 22 février 2005, n° 04-12618).

Le caractère équitable du procès ne se révèle pas dans la stricte égalité en nombre des participants à l’instance mais dans la possibilité laissée à chacun de pouvoir répondre à l’argumentation des autres. La Cour d’appel de Paris l’a souligné à plusieurs reprises, allant même jusqu’à considérer que le régulateur peut lui soumettre tous éléments de nature à l’éclairer sur les circonstances de la cause et les données techniques du litige, même en exprimant de nouveaux arguments par rapport à ceux qui ont étayé les motifs de sa décision pour répondre aux prétentions de l’une ou l’autre des parties ou critiquer leurs affirmations, à la condition que ces éléments de fait ou de droit soient soumis à la contradiction (CA Paris 8 mars 2005, RDF c/ Société Pouchon Cogen, n° 04/12606 - à propos de la CRE ; CA Paris 7 février 2006, Transdev, BOCCRF du 24 juillet 2008 - à propos de l’Autorité de la concurrence).

La Cour de cassation a, à nouveau, confirmé cette solution dans son arrêt du 25 septembre 2012 rendu dans le contentieux opposant Numéricable à France Télécom (analysé par ailleurs dans KPratique sous le titre « Numéricable c/ France Télécom : suite sans fin »), consacrant ainsi la place du régulateur dans l’instance juridictionnelle : « Attendu que la présentation par une autorité administrative d’observations écrites devant la cour d’appel de Paris saisie d’un recours contre l’une de ses décisions, ainsi qu’il est prévu, pour l’ARCEP par l’article R. 11-5 du code des postes et communications électroniques, ne méconnaît pas en elle-même l’exigence d’un procès équitable, dès lors que les parties disposent de la faculté de répliquer par écrit et oralement à ces observations » (pourvoi n° 11-21.664. Egalement, à propos de la CRE, Cass. com. 10 mai 2010, EDF, pourvoi n° 05-13622 : la CRE peut apporter des éléments nouveaux au soutien de sa décision, dès lors qu’ils sont soumis à la contradiction des parties).

Dans ses matières extrêmement techniques, il semble de bon sens de permettre au régulateur d’expliquer sa décision au juge de cette décision et de la défendre.

Cette solution pragmatique est mise en œuvre devant la Cour d’appel de Paris, par les décrets organisant la procédure de recours contre les décisions de règlement de différends de la CRE, de l’ARCEP ou de l’ARDP notamment et devant le Conseil d’Etat pour les décisions du CSA (en l’absence de texte, le CSA est considéré par le Conseil d’Etat comme une partie à l’instance : CE, 9 juillet 2010 Société Canal + Distribution, req. n° 335336). Elle est confirmée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 7 décembre 2010 VEBIC, aff. C-439/08) : les autorités de concurrence doivent pouvoir défendre leurs décisions devant le juge, en raison, notamment de leur domaine d’intervention « qui comporte des appréciations juridiques et économiques complexes ».

Il faut s’écarter des approches réductrices. Il n’y a pas lieu de s’insurger contre la présence du premier juge du fond devant la juridiction d’appel car telle n’est pas la situation. L’enjeu, bien différent, est de permettre aux juges d’une décision administrative de se prononcer en toute connaissance des données et des finalités, techniques, économiques et financières notamment, de l’action de régulation sectorielle. A cette fin, il n’y a pas meilleur paysage procédural que celui qui permet au régulateur de s’exprimer pour exposer et expliquer, dans le débat contradictoire, les motifs d’intérêt général qui ont commandé sa décision.


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