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La bêtise est leur fort !

Justice au Singulier - philippe.bilger, 20/01/2015

On est obligé de constater que pour l'essentiel Internet est le terreau multiforme à partir duquel les apologies se développent, notamment Facebook. Pourtant, Laurent Solly qui est son responsable pour la France mesure tous les dangers d'une communication sans frein et participe à toutes les actions destinées à moraliser Facebook (Le Figaro). La bêtise n'est pas mon fort, écrivait Paul Valéry. Elle est, pour certains illuminés, le leur.

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Plus une démocratie est attaquée, plus les crimes sont odieux et répétitifs, plus l'émotion collective est intense et sincère, plus, la tempête sanglante à peine apaisée, surgissent dans l'espace public, et avec une ostentation signifiante, des déséquilibrés, des malades ou des irresponsables que les tragédies excitent, stimulent au lieu de les faire taire.

Il y a aussi d'authentiques et résolues apologies du terrorisme qui peuvent être sanctionnées, si elles ont "utilisé un service de communication au public en ligne", par une peine maximale de 7 ans d'emprisonnement.

Une répression accrue de l'apologie des attentats a été évidemment mise en oeuvre au point que le 15 janvier, on avait déjà procédé à 54 interpellations pour ce motif (Le Figaro).

Des peines très sévères ont la plupart du temps été prononcées puisque quasi systématiquement elles édictaient de l'emprisonnement. Cette rigueur a entraîné de vives protestations, notamment de la part d'Amnesty International qui dénonçait la notion "trop vague" d'apologie du terrorisme et donc le "grand risque que ces arrestations violent la liberté d'expression" (Le Monde).

Ces pratiques judiciaires n'étaient pas sans rapport avec la circulaire adressée le 12 janvier par la garde des Sceaux aux parquets, leur enjoignant de poursuivre "avec rigueur et fermeté" les actes et les propos racistes ou antisémites.

C'est bien la première fois, depuis que Christiane Taubira est ministre de la Justice, qu'on la voie délivrer un message "de rigueur et de fermeté". Il est vrai qu'il ne concerne pas la délinquance et la criminalité ordinaires qui se contentent d'augmenter pendant que la lutte contre le terrorisme occupe tous les esprits et mobilise toutes les énergies, dont la sienne apparemment, malgré son relatif effacement depuis le 11 janvier.

L'apologie de terrorisme, entre liberté d'expression d'une part et malfaisance intellectuelle et civique d'autre part, est en effet difficile à définir.

Reste qu'il y a des propos et des affirmations qui, dans le contexte actuel, même s'ils prétendent être inspirés par un goût de la plaisanterie ou une envie de rire, regrettés ensuite, ne laissent pas véritablement place au doute. Ainsi, pour les explications peu crédibles d'un Fadh Jobrani à Paris - "je m'emmerdais dans mon village. Tout cela était ironique" - ou les dénégations qui n'ont pas convaincu d'un agent aéroportuaire à Marseille-Marignane condamné à deux ans d'emprisonnement (Le Parisien).

Ce qui démontrera à quel point ce débat, écartelé entre droit et politique, est complexe sera le procès de Dieudonné bientôt jugé en correctionnelle. Celui-ci avait écrit sur sa page Facebook, le 11 janvier : "Sachez que ce soir je me sens Charlie Coulibaly".

L'apologie de terrorisme, qui lui est reprochée, n'est pas absurde puisque, réunissant, dans sa phrase, en quelque sorte les premières victimes et l'un des assassins, il peut sembler justifier, avec ce lien indécent, ce comportement criminel. Une autre analyse, cependant, pourra être tentée par la défense de Dieudonné si ce dernier ne décide pas de revendiquer cet écrit.

Je suis persuadé toutefois que l'approche juridique pèsera peu, dans tous les cas, parce qu'il conviendrait d'avoir un courage politique exceptionnel pour tirer des conséquences qui ne soient pas répressives.

Le paradoxe est que, pour distinguer les apologies convaincues des aberrations délirantes, l'idéologie et la haine des plaisanteries stupides, saumâtres, la meilleure méthode est de s'attacher au caractère ostentatoire ou non de la provocation.

Que celle-ci soit ouverte, sans équivoque, choquante, énorme et vulgairement débridée, on pourra induire de cette transparence nauséabonde la probabilité d'un comportement non politisé, d'un délire fortuit.

A l'inverse, l'apologie perverse et délibérée est équivoque, cherche à transmettre mais sans immédiatement scandaliser, elle emprunte un chemin faussement naïf mais vraiment dangereux, elle a tendance à mettre un masque, autant que possible, parce que, contrairement à l'autre, elle n'a pas pour vocation de s'exhiber et d'être traduite en justice. Elle est prudente en même temps que cruelle.

Certes il n'est pas toujours commode, dans l'analyse judiciaire et dans l'urgence, de faire la part de la bêtise inconsciente ou de la volonté vicieuse. Mais pour peu qu'on ait la certitude de la première, mieux vaudrait alors l'expertise psychiatrique que l'audience.

On est obligé de constater que pour l'essentiel Internet est le terreau multiforme à partir duquel les apologies se développent, notamment Facebook. Pourtant, Laurent Solly qui est son responsable pour la France mesure tous les dangers d'une communication sans frein et participe à toutes les actions destinées à moraliser Facebook (Le Figaro).

La bêtise n'est pas mon fort, écrivait Paul Valéry.

Elle est, pour certains illuminés, le leur.


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