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Le civisme est-il sadique ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 2/02/2013

Je ne crois pas. Dans le sentiment collectif qui s'exprime confusément ou clairement face à chaque secret levé, chaque scandale dévoilé, à toute compromission révélée, à l'encontre des transgressions, qu'elles soient le fait de l'Etat, de tous les pouvoirs, des institutions et des élites, il n'y a rien d'indigne. Au contraire. Mais du soulagement et de l'espérance.

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La Rochefoucauld qui ne nous a pas laissé une once d'illusion sur nous-mêmes avait prévenu : on supporte aisément les maux d'autrui.

Il me semble que cette vérité décapante et insupportable est encore plus éclatante quand il s'agit de l'infortune des personnalités publiques et des avancées foudroyantes de la justice quand elle a le loisir et la liberté de pouvoir s'en prendre à elles.

Comment ne pas s'interroger ces derniers jours sur cette étrange satisfaction qui a comblé beaucoup de citoyens, dont je suis, et permet de se demander si le civisme n'est pas un tantinet sadique ?

La justice, dans l'affaire communément appelée Tapie-Lagarde, ce qui est offensant pour tous ceux qui y ont été mêlés jusqu'au plus haut niveau de l'Etat sous le précédent quinquennat, mène, depuis peu de temps, un train d'enfer et progresse à bride abattue.

Ce dossier, dont on peut affirmer sans risque qu'il constitue sans doute l'entorse la plus scandaleuse à la République irréprochable promise en 2007, se rapporte au dédommagement de 409 millions d'euros obtenu par Bernard Tapie, intégrant 40 millions de préjudice moral, à la suite d'un arbitrage rendu par trois arbitres dont deux au moins, Pierre Mazeaud et Jean-Denis Bredin, paraissaient insoupçonnables mais ont laissé probablement un troisième, Pierre Estoup, magistrat à la retraite, gouverner la chose comme il l'entendait et selon les prescriptions qui lui avaient été faites, dans un cadre qui ne laissait plus aucune latitude à l'intégrité.

A plusieurs reprises, sur Twitter ou ailleurs, j'avais déploré l'impression désastreuse d'un enlisement procédural destiné à laisser mourir, exsangue, une procédure que l'initiative courageuse de quelques-uns avait eu tant de mal à faire advenir au niveau de la Cour de justice de la République en vertu de cet adage français si souvent vérifié que plus une affaire est grave, moins elle sollicite et plus on la tue avec une sage lenteur. On n'a même pas besoin de coup de grâce, il suffit de bien gérer l'agonie.

Mais, soudain, la justice et la démocratie - qui, depuis le mois de mai 2012, ne font plus morale à part - se sont déchaînées.

Le 24 janvier, perquisitions aux domiciles de Bernard Tapie et de Stéphane Richard, ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde devenu patron de France Télécom.

Le 25 janvier, perquisition au cabinet de Me Gilles August, avocat, alors, du Consortium de réalisations (CDR) et conseil de Jérôme Cahuzac aujourd'hui. Perquisition le même jour au domicile et au cabinet de Me Maurice Lantourne, avocat de Bernard Tapie.

Je suis persuadé que l'exigence du secret professionnel va jouer à plein et que, dans les nombreux documents saisis, certains, peut-être les plus compromettants, seront écartés du débat.

Perquisitions enfin, le 29 janvier - coup de tonnerre - aux domiciles des trois arbitres (Mediapart).

On comprendra pourquoi, face à cette formidable accélération de l'Etat de droit, mes héros n'ont pas été les deux députés socialistes s'embrassant sur la bouche pour la frime lors d'une manifestation ou même Christiane Taubira mais Serge Tournaire, Guillaume Daïeff et Claire Thépaut, les trois magistrats instructeurs qui ont si efficacement poussé les feux et que je ne connais pas personnellement.

Cela fait du bien de pouvoir affirmer, aujourd'hui, que l'instruction chargée des dossiers que la République considère comme importants et sensibles a de l'allure. Non seulement parce que, pour l'instant, le pouvoir politique ne la bride pas mais parce que les magistrats qui assument cette mission sont à l'évidence des personnalités de qualité - compétences et caractères accordés. Notamment Marc Trévidic, Jean-Michel Gentil et ses collègues, Renaud Van Ruymbeke et les trois cités plus haut.

Sur ce plan capital où justice et politique ont eu tendance à se combattre au lieu de conjuguer leurs forces contre l'ennemi commun qu'est l'immoralité publique, dorénavant nous sommes sortis du marasme et des risques d'étouffement pour emprunter les chemins de vive lumière. Je ne suis pas naïf et ne présume pas que l'avenir ne sera fait que de roses judiciaires mais tout de même, quelle embellie ! Rien que pour cela, j'éprouverais le besoin d'être équitable en faveur d'un gouvernement et d'un président qui n'y sont pas pour rien.

Alors, se réjouir quand surgissent dans l'effervescence médiatique et politique des noms comme ceux de Nicolas Sarkozy, de Claude Guéant, de Jean-Louis Borloo, plus tous ceux déjà mis en évidence constitue-t-il une attitude honteuse, médiocre, étriquée ? Applaudir lorsque la justice précipite le mouvement, sans tomber évidemment dans l'expéditif - on en est loin ! - signe-t-il une propension déplorable au sadisme, à une conception dévoyée de la démocratie qui ne serait fidèle à elle-même qu'en causant du mal aux puissants, aux privilégiés, aux intouchables ?

Je ne crois pas. Dans le sentiment collectif qui s'exprime confusément ou clairement face à chaque secret levé, chaque scandale dévoilé, à toute compromission révélée à l'encontre des transgressions, qu'elles soient le fait de l'Etat, de tous les pouvoirs, des institutions et des élites, il n'y a rien d'indigne. Au contraire.

Mais du soulagement et de l'espérance.


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